Je l’avoue, j’ai ri.

On est des milliers à avoir ri. Des millions, même.

L’histoire du député libéral Will Amos, flambant nu à la période de questions, mercredi, a fait le tour du monde. Je l’ai lue dans le Washington Post et sur le site de la BBC. Elle a été reprise par tous les médias, jusqu’en Indonésie…

Ce n’est pas comme ça que le député fédéral de Pontiac aurait espéré faire un jour les manchettes internationales…

« Ça va me suivre toute ma vie, c’est clair, m’a-t-il confié en entrevue, vendredi. Dans l’ère numérique, une image se propage de façon incontrôlable. Mais je ne permettrai pas que cette image-là me définisse. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE WILLIAM AMOS

Will Amos, député fédéral de Pontiac

Trois jours après l’incident, on aurait pu croire que Will Amos serait mortifié. Il ne l’est pas. Il n’a aucune raison de l’être, d’ailleurs ; dans cette lamentable histoire, ce n’est pas lui qui a des comptes à rendre.

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Au départ, il n’y avait pas d’histoire, ou si peu. Nous avions affaire à une simple distraction. Le genre de truc qui aurait pu arriver à tout le monde, en ces temps de pandémie où une vidéoconférence n’attend pas l’autre.

Depuis un an, nos vies sont rythmées par ces réunions virtuelles. Le travail s’est invité à la maison. Les risques de faux pas, aussi. Zoom, boulot, dodo. Zoom, boulot… Attends un peu, ai-je bien fermé ma caméra ?

Will Amos revenait donc d’un jogging, mercredi. Dans son bureau, il a enfilé ses vêtements de travail, en prévision de la séance virtuelle aux Communes, sans réaliser que sa caméra était allumée.

« C’était une erreur. C’est regrettable. Si je pouvais retourner 36 heures en arrière… »

Il ne peut pas. Quelqu’un a fait une capture d’écran et l’a envoyée à un chroniqueur de Toronto.

L’image s’est retrouvée sur l’internet. Elle est devenue virale. Une source infinie de blagues et de jeux de mots.

On a bien ri. Mais ce n’était pas drôle.

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En fait, c’était criminel.

L’article 162.1 du Code le stipule en toutes lettres : quiconque transmet une image intime d’une personne sans le consentement de cette dernière est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement de cinq ans.

Le leader du gouvernement en Chambre, Pablo Rodriguez, a réclamé une enquête sur la fuite de cette image plus qu’embarrassante pour son collègue.

Aux Communes, jeudi, Pablo Rodriguez fulminait : « Sommes-nous vraiment rendus, dans notre vie politique, au point où il serait maintenant acceptable d’essayer de détruire la réputation et d’humilier un collègue parce que quelqu’un trouve comique une malheureuse erreur involontaire ? »

Pablo Rodriguez n’exagère pas.

Il faut s’arrêter un instant et se demander pourquoi, au juste, on trouve cette affaire à ce point désopilante.

Parce que Will Amos est un politicien et qu’on peut tout se permettre, avec les politiciens ?

Parce qu’il est un homme ?

Imaginez s’il avait été une femme. Le tollé que cette affaire aurait provoqué ! Avec raison, du reste.

Vous me direz que je n’ai pas le sens de l’humour.

C’est exactement ce qu’on reprochait aux femmes qui se faisaient harceler par un patron, par un collègue, par un type dans un bar, il n’y a pas si longtemps : elles manquaient d’humour.

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Will Amos refuse de poser en victime.

Il ne veut surtout pas en faire une affaire personnelle.

Dans le contexte, je lui soumets que c’est un peu difficile. Une photo de lui, nu, circule partout dans le monde. Ça ne peut pas être plus personnel. Comment va-t-il, au juste ?

« Je vais le mieux possible, dans les circonstances », répond le député de 46 ans. Sa femme lui a offert un « appui extraordinaire ». Ses parents accusent difficilement le coup. Ses enfants sont conscients qu’il a « fait une erreur », mais comprennent que « papa n’a pas honte ».

Bref, le député tient le coup du mieux qu’il peut.

Mais la plus grande victime de cette histoire, estime-t-il, c’est le Parlement. Will Amos s’attend à ce que les responsables collaborent à l’enquête. « Ce n’est pas pour moi, c’est pour le Parlement, pour l’institution, insiste-t-il. On ne veut pas que les jeunes se découragent de participer à une vie politique où tous les coups seraient permis. »

On a besoin de prendre soin de la démocratie. Et pour y arriver, il faut protéger les parlementaires. Il ne faut jamais laisser reproduire ce genre de choses.

Will Amos, député fédéral de Pontiac

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Qui a fait le coup ? Qui a pensé que c’était une bonne idée d’immortaliser l’image d’un homme nu, au mépris des règles parlementaires et de la décence élémentaire, puis de transmettre cette image aux médias ?

Will Amos refuse de s’avancer. Mais le bassin des suspects potentiels n’est pas très large.

« Le flux vidéo était privé et non visible par le public, a écrit jeudi le whip en chef du gouvernement, Mark Holland. Seuls les députés ou un très petit nombre de membres du personnel auraient eu accès à ce flux vidéo. »

Autrement dit, c’est un collègue de Will Amos qui a cru bon immortaliser le député dans son plus simple appareil, en sachant très bien que ça se retrouverait partout et pour toujours, puisque l’internet n’oublie jamais.

Ce député mystère a fait subir à son collègue ce qu’on répète sans cesse à nos enfants de ne pas faire subir à leurs camarades : de l’intimidation extrême.

« Immédiatement après l’évènement, j’ai reçu des communications des whips du Bloc et du NPD. Ils ont tous deux exprimé leur sympathie et ont expliqué de manière convaincante que cette violation de la vie privée ne s’était pas produite de la part de leurs bureaux », a écrit Mark Holland.

Il n’a pas mentionné le Parti conservateur.

La capture d’écran, d’abord publiée sur Twitter par le chroniqueur de droite Brian Lilley, a été relayée avec enthousiasme par plusieurs députés conservateurs. « Finalement, la fin du cover-up libéral », a écrit Pierre Poilievre.

« Quand nous avons demandé une plus grande transparence, nous aurions dû être plus spécifiques », a renchéri Garnett Genuis.

Au diable le décorum, la pudeur, la bienséance et toutes ces nobles valeurs si chères aux conservateurs.

Qu’est-ce qu’on se marre, dites donc.

La capture d’écran de Will Amos a malheureusement été publiée sur LaPresse.ca. L’image a été retirée dès que La Presse a réalisé l’erreur.