« On se fait mener par des anarchistes féministes extrémistes. Elles sont crinquées parce qu’elles ont eu leur fameux congrès de féminazies la semaine passée. »

« As-tu déjà vu ça, toi, un groupe de femmes qui règle un problème ? Non. C’est non. »

« On n’est pas faits pour vivre ensemble [avec les musulmans]. C’est-tu assez clair ! »

« On sait que les Amérindiens n’acceptent pas, surtout quand ils sont intoxiqués, l’autorité. Ça prend un peu de discipline, ça prend des gens qui brassent un peu. »

« Les gens aptes au travail… Mets ton cadran, peigne-toi et va travailler […]. Lave-toi […] On tolère des gens 10 ou 11 ans sur le BS alors qu’ils sont aptes au travail […] Ces gens-là sont des voleurs ! »

« Quand on a une niaiseuse comme la mairesse de Montréal qui n’est rien que bonne pour rire, qui viole le drapeau du Québec à l’hôtel de ville et qui nous dit que le territoire est mohawk… C’est une ignorante de première classe. »

Ces propos ne sont pas des messages publiés sur des réseaux sociaux par des quidams du nom de Jofly ou Chosebine. Ils ont été proférés par des animateurs et des chroniqueurs qui travaillent pour des médias de masse du Québec.

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Catherine Dorion, Joël Lightbound, Boufeldja Benabdallah et Michel Juneau-Katsuya, membres du collectif Liberté d’oppression, en conférence de presse à Québec, vendredi

La députée Catherine Dorion n’en peut plus d’entendre ces horreurs. C’est pourquoi, avec une trentaine de personnalités publiques, elle a décidé d’intensifier sa lutte contre l’injure, la bêtise et la violence verbale qui émanent de certains médias en lançant le collectif Liberté d’oppression.

Outre Catherine Dorion, on trouve parmi les signataires Joël Lightbound, député fédéral de Louis-Hébert, Boufeldja Benabdallah, cofondateur du Centre culturel islamique de Québec, Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Martine Delvaux, professeure de littérature à l’UQAM, Xavier Camus, enseignant en philosophie et blogueur, ainsi que les artistes musicaux Safia Nolin et Hubert Lenoir.

Le but est de souligner les outils qui s’offrent aux victimes d’intimidation, de désinformation et de propos discriminatoires ou diffamatoires de la part de certains médias, majoritairement des journaux et des stations de radio.

Lors de la conférence de presse tenue vendredi, on n’a pas voulu nommer les médias concernés. Mais quelques journalistes n’ont pas hésité à associer les propos servis en guise d’exemples à certaines radios privées de Québec.

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Joël Lightbound, député de Louis-Hébert

Également présent à la conférence de presse, Joël Lightbound a souligné que la dureté du discours médiatique contribue à dissuader ceux et celles qui seraient tentés de faire le saut en politique.

On a eu quelques exemples récemment de politiciens qui ont annoncé leur retrait de la vie politique à cause d’attaques personnelles à répétition dont ils sont la cible sur les réseaux sociaux. L’exemple le plus récent est le maire de l’arrondissement de Verdun, Jean-François Parenteau, qui a pris la décision de ne pas se présenter aux prochaines élections.

Vous me direz que les réseaux sociaux n’ont rien à voir avec les médias traditionnels. Je crois, au contraire, que cela a tout à voir. Le ton hargneux et baveux que certaines personnes adoptent sur les réseaux sociaux a un impact sur tout le reste.

Les animateurs et chroniqueurs de certains médias savent qu’ils doivent concurrencer les réseaux sociaux. Il y a donc une surenchère de méchanceté et de hargne. Les médias sociaux ont élevé le niveau de « baveusité » et l’ont étendu. Ils en ont fait une norme.

Les radios auxquelles font référence les créateurs du collectif Liberté d’oppression séduisent leurs auditeurs de cette façon. Ce n’est pas autant l’idée qui est véhiculée par l’animateur qui compte que le ton employé.

Les plus vieux me diront que ce n’est pas d’hier que les médias s’en prennent à des personnalités publiques avec véhémence. Avant l’omniprésence des avocats et la montée de la rectitude politique, les chroniqueurs, les journalistes et les animateurs savaient être très durs.

Ce qui a changé, c’est l’agressivité, c’est le mépris, c’est le désir de faire mal. Ce changement de ton, je l’observe partout en ce moment. Les courriels que certains lecteurs m’écrivent sont parfois remplis de fiel et de bile. Je mets ça sur le compte du confinement et de la pandémie.

Les auteurs du collectif demandent donc aux gens qui se croient victimes d’intimidation de la part d’un média de dénoncer la chose en portant plainte directement auprès de l’entreprise, au CRTC ou au Conseil de presse. On suggère également d’alerter les annonceurs du média visé, car, pensent les membres du collectif, ces médias ne comprennent que le langage du fric.

Le hic, c’est que ce ne sont pas tous les médias québécois (ceux de Québecor notamment) qui acceptent de faire partie du Conseil de presse du Québec. N’étant pas sous l’égide de cet organisme qui veille à la qualité du journalisme, ces médias n’en ont que faire des décisions de plaintes rendues par ce tribunal d’honneur.

Je ne sais pas ce que donnera cette offensive. Au mieux, une forme de conscientisation ou l’envie aux autorités compétentes de faire bouger les choses, au pire, une réaction négative et revancharde de ces médias toxiques.

Mais il ne faudrait pas, a contrario, que cette « liberté d’oppression » brime la liberté d’expression. Il ne faudrait pas tomber dans l’excès et invoquer l’intimidation pour une peccadille. Les médias doivent continuer à être des chiens de garde et assurer un regard critique sur ce qui nous entoure.

Je souhaite que le geste de ce collectif nous rappelle que le journalisme, le vrai, se construit sur des faits et des idées solides (salutations à mes collègues qui sont nommés aux prix Judith-Jasmin cette année), pas sur des flashs et des émotions mouillées d’acide.