« Ce qui m’a réveillée, c’étaient les grands coups de marteau sur ma tête. Il était en train de m’achever. »

Jessica G. avait quitté le domicile familial depuis quelques mois à cause des gestes violents de son conjoint. Elle y était revenue pour chercher des vêtements pour ses enfants.

Son ex-conjoint l’a surprise dans la maison. Il s’est jeté sur elle, l’a d’abord étranglée. Elle s’est évanouie. C’est le choc du marteau sur sa tête qui l’a fait reprendre connaissance.

« Quand il me frappait, il me disait : je t’aime, Jess. »

C’est ainsi que la femme de 36 ans résume l’agression sauvage dont elle a été victime, il y a maintenant sept ans. Ses enfants ont été en bonne partie témoins de cette scène d’horreur.

« Je leur ai dit : sauvez-vous ! »

Pendant 10 ans, Jessica G. avait vécu avec cet homme.

Son tempérament agressif est apparu assez vite, mais je ne me rendais pas compte à quel point c’était violent.

Jessica G.

Après un grave incident de violence physique, elle le quitte et porte plainte. Un interdit de contact est imposé.

Après l’agression au marteau, son ex-conjoint a plaidé coupable à des accusations de voies de fait graves. Il a été condamné à sept ans de prison.

« Augmentation assez fulgurante »

Au moment où le Québec est frappé par une série sans précédent de féminicides, des chiffres obtenus par La Presse du ministère de la Sécurité publique montrent que de telles infractions en matière de violence conjugale sont en forte hausse depuis six ans. Voies de fait graves, agressions sexuelles, harcèlement criminel : le nombre de ces infractions a grimpé, et de façon parfois très importante.

Le nombre de voies de fait graves (voies de fait de niveau 3) a augmenté de 30 % entre 2013 et 2019. Les voies de fait armées ou causant des lésions corporelles (voies de fait de niveau 2), de 24 %. Et les voies de fait de niveau 1, de 14 %.

À titre de comparaison, pour cette même période, le nombre de meurtres et de tentatives de meurtre est demeuré à peu près stable. Bien sûr, les chiffres d’homicides en contexte conjugal seront vraisemblablement plus élevés pour 2021, mais jusqu’en 2019, on en dénombrait en moyenne 10 par an. Du côté des tentatives de meurtre, on parle de 32 en moyenne par an.

La hausse des infractions est encore plus marquée du côté des agressions sexuelles. On est passé de 423 agressions en 2013 à 975 en 2018, une hausse de près de 130 %. Les autres infractions d’ordre sexuel, incluant la distribution non consensuelle d’images intimes, ont aussi grimpé de façon spectaculaire, passant de 26 en 2013 à 188 en 2019.

« C’est une augmentation assez fulgurante », estime la criminologue Claudine Simon, spécialiste de la violence conjugale, qui travaille chez Juripop.

Les femmes sont plus informées et dénoncent plus. Les policiers aussi dénoncent plus et les procureurs déposent aussi plus d’accusations.

Claudine Simon, criminologue

En effet, le nombre d’accusations déposées en matière conjugale devant les tribunaux, l’étape qui suit l’infraction dans le processus judiciaire, est aussi clairement en hausse. Depuis 2015, le nombre d’accusations criminelles devant les tribunaux de la province est passé de 11 476 dossiers à 16 676 en 2020, selon des données du ministère de la Justice révélées récemment par Le Journal de Montréal.

Effet #moiaussi

Pour Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, cette hausse du nombre d’infractions est plutôt une bonne nouvelle. « On est dans des crimes sous-dénoncés. Ça ne veut pas dire qu’il y a plus de violence, ça veut dire qu’on la dénonce plus. »

Pour Mme Riendeau, en matière d’agression sexuelle, on dénote manifestement un effet des vagues de dénonciations publiques. « Il y a eu #moiaussi en 2017, mais aussi #agressionnondénoncée en 2014. Clairement, cela a eu un effet », estime-t-elle.

De même, les infractions en matière de harcèlement criminel, une infraction ajoutée en 1995 au Code criminel, ont grimpé de près de 20 % en six ans. Le nombre d’infractions en la matière a littéralement été décuplé depuis le début des années 2000, note Louise Riendeau.

Depuis 2001, le nombre d’infractions de harcèlement criminel a augmenté de 58 %. Au départ, les policiers étaient un peu réticents, mal à l’aise avec ce nouveau concept, mais on voit que leur attitude a clairement changé.

Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale

Et c’est extrêmement positif, croit-elle, puisque, avec le harcèlement criminel, « on n’est pas dans les coups, on est dans l’essence même de la violence conjugale, centrée sur le contrôle de la conjointe ».

Plaidoyer pour l’ajout de ressources

Cette augmentation des infractions devrait conduire à consacrer davantage de ressources à ce type de crimes dans les palais de justice, croit Claudine Simon. « Ces chiffres sont un important plaidoyer pour l’ajout de ressources. Le manque est criant dans plusieurs palais de justice. Le nombre d’intervenantes par victime, et de procureurs par victime, est beaucoup trop bas. »

« Nous avons déjà posé plusieurs actions en matière de violence faite aux femmes, avec des sommes historiques qui y sont dédiées, plus que n’importe quel autre gouvernement. Mais il reste beaucoup de travail à faire pour aider ces femmes », indique Amélie Paquet, porte-parole du cabinet de la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault. La ministre pilote d’ailleurs un groupe d’action sur la question, dont les travaux avancent bien. « Des annonces suivront sous peu. » À son cabinet, on tient à « saluer le courage » des femmes qui portent plainte.

Des marques profondes

Contrairement aux neuf femmes qui ont perdu la vie depuis le début de l’année, Jessica G. n’a pas péri lors de l’agression de son ex-conjoint. Sa vie a cependant été profondément marquée par cette agression. Elle souffre d’un choc post-traumatique grave. Elle qui travaillait depuis l’âge de 16 ans n’a pas été capable de reprendre le boulot depuis les évènements. Elle vit des compensations que lui accorde le programme d’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC).

Après deux années passées en prison, son ex-conjoint a repris son travail. Il a pu revoir ses enfants, dont il a désormais la garde une fin de semaine par mois.

Lors du procès de son ex-conjoint, Jessica G. a résumé ainsi sa situation : « Ce jour-là, il n’a pas réussi à me tuer, mais je suis morte pareil. »

Infractions commises dans un contexte conjugal au Québec

Homicides

2013 : 13
2019 : 13
Trois premiers mois de 2021 : 9

Voies de fait de niveau 2

2013 : 2171
2019 : 2693

Voies de fait de niveau 3

2013 : 44
2019 : 59

Agressions sexuelles

2013 : 423 2018 : 975

Harcèlement criminel

2013 : 2184
2019 : 2565

Source : ministère de la Sécurité publique du Québec