Alors que l’écœurantite covidienne est à son comble et que la seule issue est la vaccination, il peut être tentant de lancer à ceux qui ralentissent le groupe : « Faites-vous vacciner, bande d’imbéciles ! »

C’est tentant, mais ça ne donne absolument rien. Et ça repose sur un mythe voulant que les réfractaires au vaccin soient des idiots.

Si l’on veut en finir avec cette pandémie et atteindre l’immunité collective, il faudra veiller à mieux convaincre ceux qui hésitent.

Comment y arriver ? C’est une question que le DArnaud Gagneur, professeur à l’Université de Sherbrooke et pédiatre d’origine française installé au Québec depuis 13 ans, a dû se poser après avoir été secoué par une tragédie. Une tragédie qui, bien qu’évitable, n’a pas pu être évitée.

PHOTO FOURNIE PAR ARNAUD GAGNEUR

Le DArnaud Gagneur, professeur à l’Université de Sherbrooke et pédiatre

À l’époque où il travaillait en France, le pédiatre a vu aux soins intensifs un bébé de six mois mourir d’une méningite à pneumocoque, maladie pour laquelle il existe pourtant un vaccin.

« Quand j’ai essayé de comprendre avec la maman pourquoi le bébé n’était pas vacciné, elle m’a simplement dit : “Je ne savais pas…” »

La mère n’était pas nécessairement contre le vaccin. Mais comme son bébé avait eu un rhume au moment où il devait le recevoir, elle pensait que ça pouvait attendre.

« Ça m’a vraiment marqué. Je me suis dit que le manque d’information sur la vaccination était vraiment un problème très important », observe le pédiatre qui a un doctorat en virologie et est aussi chercheur au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS).

Dès son arrivée au Québec, le DGagneur s’est attelé à trouver une stratégie pour réduire l’hésitation vaccinale.

De toute évidence, il fallait mieux informer les gens. Mais comment ?

Leur donner un cours magistral sur la vaccination, ça ne marche pas.

Faire peur en citant les conséquences des maladies, ça ne marche pas.

Faire la morale, encore moins.

Personne ne veut être montré du doigt comme un mauvais citoyen. Personne ne veut se sentir jugé parce qu’il a des doutes sur la vaccination.

« Ça aboutit à un clivage de la société avec les provaccins et les antivaccins. Tout le monde se tape sur la tête, personne ne cherche à se comprendre et ça ne fonctionne pas. »

Ce qui fonctionne ? « Les études ont vraiment montré que les deux attitudes qui permettent à quelqu’un de changer, c’est l’empathie et le respect de l’autonomie. »

C’est en misant là-dessus que le DGagneur et son équipe ont mis sur pied il y a dix ans une stratégie de promotion de la vaccination en maternité (Promovac). Cela a eu un tel succès que ce qui était au départ un simple projet pilote en Estrie est devenu un programme provincial, implanté dans toutes les maternités au Québec, qui a suscité l’intérêt de plusieurs pays.

On a évalué et démontré dans la première année du programme que l’on améliorait l’intention de vaccination de plus de 10 %. Au départ, un peu plus des trois quarts des parents veulent vacciner leur enfant. Mais après les interventions, c’est près de neuf parents sur dix.

Le DArnaud Gagneur

Le programme appelé EMMI (pour Entretien motivationnel en maternité pour l’immunisation des enfants) a aussi mené à une diminution importante (près de 30 %) du niveau d’hésitation.

Pour développer sa stratégie, le DGagneur s’est inspiré des travaux de psychologues dans le domaine de la dépendance. « Ils avaient bien vu que dire à quelqu’un : “Ne fume pas ! Ne bois pas ! Ne te drogue pas ! Ce n’est pas bon pour toi ni pour ta famille !”, ça ne marche pas. »

Ce qui marche beaucoup mieux, c’est l’entretien motivationnel. Une approche bienveillante qui vise à essayer d’abord et avant tout de comprendre la personne. Ne pas lui dire quoi faire, mais plutôt essayer d’échanger pour l’aider à trouver elle-même les ressources pour changer et les solutions à son hésitation.

On a ainsi réalisé qu’une simple rencontre de 20 minutes avec un conseiller en vaccination à l’hôpital après l’accouchement peut être très bénéfique. « On arrive avec un discours sur la vaccination complètement ouvert où l’on va surtout répondre aux questions des parents. On ne va pas les juger. On va vraiment chercher à leur donner les informations qui répondent à leurs besoins. Le cœur de l’intervention, c’est de renforcer la motivation des personnes à prendre leur propre décision sur la vaccination et une décision qui a du sens pour elles. »

A priori, on pourrait penser que c’est moins efficace qu’une approche plus directive, en mettant son poing sur la table. Mais c’est exactement le contraire qui se produit. « Paradoxalement, en respectant l’autonomie des gens, en ne les jugeant pas, en leur disant que c’est leur choix et qu’il leur appartient, c’est là que les gens changent le plus souvent d’avis et choisissent de se faire vacciner. »

Le phénomène est bien connu en psychologie. Lorsqu’une personne se sent jugée ou qu’elle sent qu’elle n’est pas libre de faire ses propres choix, elle risque de s’opposer. Pas forcément parce qu’elle est contre. Mais parce que cela devient sa seule façon d’affirmer son autonomie.

La majorité de ceux qui hésitent à se faire vacciner n’ont rien à voir avec les « antivax » purs et durs avec qui le dialogue est impossible. On parle de gens qui, bien souvent, croient à la science, mais ont des questions tout à fait pertinentes et légitimes. Des questions auxquelles il faut répondre. « Ce qui est important, c’est d’accepter l’hésitation. C’est normal que les gens hésitent ! »

On peut bien sûr tirer des leçons de tout ça pour réduire l’hésitation vaccinale covidienne. Le DGagneur travaille en ce moment à un projet avec l’UNICEF, les CDC américains ainsi que d’autres partenaires universitaires au Canada et ailleurs dans le monde afin de mettre sur pied des formations pour les professionnels de la santé pour qu’ils utilisent l’entretien motivationnel pour parler du vaccin contre la COVID-19.

Récemment, les travaux du chercheur ont aussi attiré l’attention du psychologue américain Adam Grant, collaborateur au New York Times et auteur de Think Again – The Power of Knowing What You Don’t Know. Le psychologue a consacré un chapitre à l’approche douce et efficace du DGagneur que l’on a surnommé aux États-Unis « le chuchoteur de vaccins ».

Pour tenter de faire changer d’avis un ami réfractaire à la vaccination, le psy a lui-même invité le DGagneur à s’entretenir avec l’ami en question.

Le « chuchoteur » n’a pas réussi à le convaincre. Mais ce n’était pas un échec pour autant. Avant de lui parler, l’ami réfractaire évaluait à 0 % la probabilité de se faire vacciner contre la COVID-19. Après, il lui a dit : « Je pense que je ne suis plus à 0 % ! »

« Pour moi, c’est un immense succès. Parce qu’on ne peut pas, après une seule discussion avec une personne très opposée à la vaccination, faire en sorte qu’elle aille se faire vacciner. Mais au moins, j’avais semé une graine. Il s’est dit : “OK, peut-être que je peux y réfléchir autrement.” »

Après la discussion, le DGagneur a continué à échanger des courriels avec l’ami réfractaire, toujours de façon respectueuse, en s’inspirant des mots du philosophe Marcel Conche, qu’il aime beaucoup. « Dialoguer, c’est considérer l’autre comme étant autant capable de vérité que soi-même. »

Devant ceux qui hésitent, rien ne sert de hurler. Il faut chuchoter à point. Un doute à la fois.