La pénurie de logements se répand comme un feu de brousse dans le Grand Montréal et plusieurs autres régions, provoquant une flambée des loyers affolante pour les locataires. Certains redoutent le pire pour le 1er juillet.

(Saint-Paul) Alexandre Perreault et sa colocataire Cynthia Houle ne savent pas où ils habiteront le 1er juillet. Leur grand 5 ½ avec cour et garage situé au bout d’une rue paisible de Saint-Paul, à une dizaine de minutes de Joliette, est visé par une reprise de logement qui a été autorisée par le Tribunal administratif du logement (TAL, qui a remplacé la Régie du logement). Alexandre tente de faire casser la décision, mais en attendant, les colocataires n’ont pas le choix de chercher un nouveau toit.

« Le moins cher que j’ai trouvé, c’est 1200 $ par mois, c’est 530 $ de plus que ce que ça me coûte ici, ça n’a pas de bon sens ! », s’exclame Alexandre.

« Dans le coin, il n’y a rien à louer », déplore Cynthia, dont la fille, Athéna, est déjà inscrite à l’école pour la rentrée. Le père habitant à 10 minutes d’ici, Cynthia redoute d’avoir à déménager dans une autre ville. « C’est moi qui serais punie puisqu’il faudra que j’aille la reconduire à l’école matin et soir quand ce sera ma semaine. »

Les reprises sont permises par la loi. Mais pour les locataires de régions comme Lanaudière, autrefois épargnés par les pénuries de logements, c’est affolant.

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Amélie Pelland, coordonnatrice de l’organisme Action-Logement Lanaudière, situé à Joliette

En près de 10 ans à Action-Logement Lanaudière, je n’ai jamais vu une crise du logement d’une telle ampleur, c’est vraiment catastrophique !

Amélie Pelland, coordonnatrice de l’organisme Action-Logement Lanaudière, situé à Joliette

Les appels pour avis d’augmentation de loyer abusive, de 50 $ à 300 $ par mois, ont plus que doublé cette année. Ceux pour reprise de logement ont presque triplé.

L’organisme a même publié une alerte à la mi-mars pour rappeler qu’un avis de reprise reçu en cette période n’est probablement pas légal : pour les baux se terminant le 30 juin, le locataire doit être avisé avant le 31 décembre.

Dans Lanaudière, les locataires de maison sont particulièrement touchés par les reprises, constate Mme Pelland.

« On a l’impression que beaucoup de propriétaires ou de locataires de Montréal cherchent à acheter des maisons en région à cause du télétravail. Mais ceux qui sont en banlieue n’ont habituellement pas le revenu plus élevé des personnes qui travaillent à Montréal », soutient Amélie Pelland.

À Saint-Hyacinthe, en Montérégie, les demandes pour hausse de loyer abusive ont plus que triplé, signale l’organisme Logemen’mêle.

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Alexandra Gibeault (à gauche) et Julie Lanthier, intervenantes au comité de défense des locataires Logemen'mêle de Saint-Hyacinthe

« C’est vraiment toutes sortes de logements : des gens qui paient 550 $ comme des gens qui paient 875 $ reçoivent une augmentation de 100 $ », témoigne la coordonnatrice, Alexandra Gibeault. En appliquant la grille de calcul du TAL, qui tient compte des taxes, des travaux et des autres dépenses de l’immeuble, l’organisme constate souvent que l’augmentation devrait plutôt être de 7 à 8 $ par mois. Mais tous n’osent pas contester ou aller au Tribunal. « Parfois, les locataires ont l’impression qu’ils risquent de perdre leur logement s’ils refusent », témoigne Julie Lanthier, également intervenante chez Logemen’mêle.

En plus des reprises, une quarantaine de logements abordables sont littéralement partis en fumée depuis le début de la pandémie à Saint-Hyacinthe, en raison d’une série d’incendies.

Montréal fait tache d’huile

« On vient en aide à beaucoup de gens qui étaient dans un grand centre urbain et qui se sont déplacés en région », témoigne le porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), Maxime Roy-Allard.

Certes, le taux d’inoccupation de l’île de Montréal a doublé en 2020, à 3,2 %. Mais c’est grâce à des phénomènes passagers comme la disponibilité des logements touristiques, la baisse de l’immigration, l’absence de cours universitaires en personne et l’augmentation des taux d’inoccupation dans les tours des quartiers centraux, signale la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).

Montréal risque toujours de devenir comme Toronto ou Vancouver, « où il y a un exode des populations à faible revenu parce qu’elles ne peuvent plus se permettre de vivre dans leur ville », prévient M. Roy-Allard.

Partout en province

La grande région de Montréal n’est pas la seule touchée. « Avant de résilier votre bail, trouvez-vous un autre logement », martèle le coordonnateur du Comité logement Rimouski-Neigette, Guy Labonté. Le taux d’inoccupation, qui était d’environ 5 % en 2015, est tombé à moins de 1 % – et même 0,2 % pour les appartements de trois chambres et plus.

Il y a bien la conversion du couvent des Sœurs du Saint-Rosaire, au centre-ville, qui pourrait ajouter rapidement 84 logements abordables, mais le projet, qui devait démarrer au printemps pour livraison à la fin de l’année, a été mis sur la glace faute de financement fédéral.

Plusieurs autres villes, comme Granby, Saint-Georges, Alma, Mont-Laurier ou Val-d’Or, ont des taux d’inoccupation de moins de 1 %.

Pour les locataires ayant des moyens limités, c’est un cauchemar. « Tous les jours, on reçoit au moins un ou deux appels de locataires en pleurs », glisse Amélie Pelland.

Avant, j’étais intervenante en prévention du suicide, et parfois, je me sens obligée de demander à des gens d’aller consulter tellement la pression est forte sur eux.

Julie Lanthier, intervenante au comité de défense des locataires Logemen'mêle de Saint-Hyacinthe

À Saint-Hyacinthe comme à Rimouski ou dans Lanaudière, on s’organise en vue du 1er juillet, mais l’inquiétude est vive. « On fait notre possible pour aider, mais c’est sûr que si le gouvernement ne fait rien pour amoindrir la crise, il faut s’attendre à ce qu’il y ait beaucoup de personnes à la rue le 1er juillet », prédit Mme Pelland.

La Société d’habitation du Québec (SHQ) souhaite que davantage de villes participent à son Programme d’aide d’urgence, qui comprend notamment des suppléments au loyer pour les ménages.

Le Regroupement des comités de locataires exige des mesures plus musclées. Il demande à Québec d’imposer un gel rapide des loyers et, à terme, un contrôle obligatoire des loyers assorti d’un registre.

À Saint-Paul, dans Lanaudière, les colocataires Alexandre Perreault et Cynthia Houle voudraient garder leur logement au moins un an de plus, pour avoir le temps d’en trouver un autre.

« Il faudrait que le gouvernement suspende les reprises pour cette année parce que, vraiment, ça n’a pas de bon sens », plaide M. Perreault.

Taux d’inoccupation dans différentes villes de la province

Île de Montréal : 3,2 %

Banlieues de Montréal : 1,2 %

Rimouski : 0,9 %

Alma : 0,9 %

Val-d’Or : 0,9 %

Mont-Laurier : 0,7 %

Saint-Georges : 0,6 %

Joliette : 0,4 %

Saint-Hyacinthe : 0,3 %

Granby : 0,2 %

Sources : Société canadienne d’hypothèques et de logement et Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec

Reprises de logement

Les demandes de reprises de logement devant le Tribunal administratif du logement ont augmenté de 40 % l’an dernier. Les deux tiers visaient Montréal, mais les dossiers, quoique moins nombreux, sont aussi en augmentation dans plusieurs régions, dont Longueuil, Laval, Gatineau et Joliette.

Gare à la section F du bail !

Recevoir un avis d’augmentation de loyer de 200 $ par mois et, l’année suivante, de 400 $ par mois ? C’est ce qui arrive à Camille Guénette et à sa sœur Jolyane, qui louent une maison de ville à Saint-Calixte, dans Lanaudière. Leur propriétaire a coché la section F de leur bail, réservée aux constructions de cinq ans ou moins, pour lesquelles les locataires ne peuvent pas demander au Tribunal administratif du logement (TAL) de fixer le loyer pour en limiter la hausse.

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Camille Guénette (à gauche), et sa fille Éliane Rose, 2 ans, ainsi que sa sœur Jolyane Guénette et son fils Nicolas, 7 ans

« J’étais au courant, mais le propriétaire n’informe pas les gens de combien il va les augmenter avant de signer le bail, et on ne peut pas s’attendre à des montants énormes comme ça », déplore Mme Guénette.

Leur loyer mensuel, qui était de 1250 $ en 2019, a grimpé à 1450 $ l’été dernier. L’augmentation annoncée pour juillet le fera bondir à 1850 $.

Cette exception inscrite au Code civil du Québec vise à donner le temps aux propriétaires de logements neufs d’en ajuster le loyer aux conditions du marché. Ainsi, un propriétaire qui loue ses logements neufs au rabais pour s’assurer de trouver preneur a cinq ans pour ramener ces loyers à des prix comparables à ceux de la concurrence, avant qu’ils ne soient soumis aux limites du TAL.

Mais bien des locataires ne réalisent pas à quoi ils s’exposent en signant un bail dont la section F est cochée, témoigne Mme Guénette, qui est en contact avec de nombreux locataires de maisons et appartements du même propriétaire. Une trentaine d’entre eux se sont ainsi regroupés afin d’engager un avocat pour contester leurs augmentations.

Pression sur les familles et les aînés

Mme Guénette et sa sœur, qui sont toutes deux aux études, ont chacune un enfant. Pour trouver une autre maison à louer, il leur faudrait déménager dans une autre ville, donc chercher un autre CPE pour la fille de Mme Guénette et imposer un changement d’école à son neveu. Beaucoup de locataires de leur groupe ont aussi des enfants.

La clause F n’a pas lieu d’être, ça amène des situations catastrophiques pour les familles.

Camille Guénette, locataire

Il existe quelques causes où le tribunal a rejeté les augmentations liées à la section F du bail, mais la jurisprudence est rare. Et en cas d’échec, le locataire risque de devoir partir. Une crainte qui en a dissuadé certains de se joindre aux contestataires, dit Mme Guénette. « Ils ont vraiment peur. Ils aiment mieux accepter l’augmentation et se serrer la ceinture pour pouvoir avoir la certitude de garder leur logement. »

Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), qui reçoit régulièrement des demandes de locataires surpris des conséquences de cette fameuse section F, a déjà demandé qu’elle soit abolie. Dans les résidences pour aînés (RPA), souvent récentes, « c’est un réel fléau », dénonce le porte-parole du RCLALQ, Maxime Roy-Allard. « Les locataires aînés s’installent et, pour eux, c’est un plan à long terme. Lorsqu’arrive une augmentation de 200 $, 300 $ ou parfois plus la première année, ils se retrouvent à l’accepter parce que pour eux, déménager, c’est un fardeau incroyable. »