Dans le but de freiner l’exode du personnel de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), des primes pour les intervenants sont actuellement sur la table dans le cadre des négociations avec le secteur public, a indiqué mardi la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel.

« Il y a actuellement dans les tables sectorielles des primes d’attraction et de rétention parce qu’on reconnaît que c’est important, a-t-elle déclaré en Chambre, en réponse aux questions de l’opposition. J’ai les marges de manœuvre qu’il faut pour régler ces questions-là. »

La Presse a fait état mardi d’une situation que plusieurs qualifient d’« exode » des intervenants, épuisés par les conditions de travail difficiles. « Ce qu’on a pu faire sans négocier, c’est déjà fait », ajoute Mme LeBel. Mais les primes doivent faire l’objet d’une discussion avec les syndicats.

Au moins deux CISSS sont aux prises avec une telle pénurie de main-d’œuvre qu’ils ont été contraints d’avoir recours aux services d’agences de placement, a révélé La Presse. Le recours aux agences est « un mal nécessaire », a souligné le ministre de la Santé, Christian Dubé, sinon, c’est « la rupture de services ».

À l’échelle du Québec, entre 10 % et 20 % des postes sont vacants à la Direction de la protection de la jeunesse, a pour sa part reconnu le ministre délégué Lionel Carmant au micro de Paul Arcand, mardi matin. Mais il estime que « la situation est en train de s’améliorer globalement ».

De leur côté, les partis de l’opposition ont dénoncé mardi l’utilisation d’agences de placement dans le réseau de la DPJ. La députée de Québec solidaire Christine Labrie a affirmé qu’elle avait été « scandalisée » en lisant La Presse.

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Christine Labrie, députée de Québec solidaire

C’est fondamental que les intervenantes qui ont entre leurs mains les dossiers puissent établir un lien de confiance durable avec les familles. D’avoir recours à des agences de placement, c’est le contraire de ce qu’on devrait être en train de faire.

Christine Labrie, députée de Québec solidaire

La cheffe du Parti libéral, Dominique Anglade, y voit pour sa part un exemple criant des problèmes liés à la pénurie de main-d’œuvre. « Les conditions de travail, la manière de traiter le personnel, sentir qu’ils ont tous les moyens financiers pour y arriver, tout ça doit être mis sur la table », a-t-elle dit.

« C’est très grave. Comment se fait-il qu’on a un gouvernement, depuis la crise, qui nous dit qu’il déploie des moyens, qu’il n’y a plus de pénurie, que les actions sont là et que, de mois en mois, on voit que ce n’est pas du tout la réalité sur le terrain ? », dénonce la députée péquiste Véronique Hivon.

Une institution « aux soins intensifs »

Pour le psychologue Camil Bouchard, auteur du rapport Un Québec fou de ses enfants, le recours aux agences de placement est un non-sens. Il salue cependant la nomination de la Directrice nationale de la protection de la jeunesse (DNPJ). « Il faut réanimer l’institution, qui est rendue aux soins intensifs. »

Il s’oppose cependant au rapatriement de programmes de prévention qui s’adressent à la petite enfance sous l’aile de cette nouvelle DNPJ. Lundi, dans nos pages, les directeurs régionaux de santé publique ont eux aussi dénoncé ces modifications. Trois professeurs d’université s’inquiètent aussi vivement de ces changements.

Jade Bourdages, professeure à l’École de travail social de l’UQAM, Mélanie Bourque, qui occupe les mêmes fonctions à l’Université du Québec en Outaouais, et Emmanuelle Bernheim, professeure à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, estiment que ces changements pourraient mener à du « profilage social » de familles vulnérables.

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Jade Bourdages, professeure à l’École de travail social de l’UQAM

On connaît les conséquences du profilage social. C’est une vieille technique. Beaucoup de familles ne voudront pas être fichées par la DPJ, donc elles risquent de refuser des services, qui sont parfois de nature purement alimentaire.

Jade Bourdages, professeure à l’École de travail social de l’UQAM

Le fait que la même personne gère la prévention et les services sociaux pourrait faire en sorte que les programmes de prévention deviennent « une sorte de radar, qui cherche le mauvais dans la société », acquiesce sa collègue Mélanie Bourque.

La professeure Bernheim craint pour sa part que le Québec connaisse une dérive semblable à celle de la Grande-Bretagne, où on identifie très rapidement les familles dites à risque. « Leur enfant leur est retiré à la naissance. Ensuite, c’est aux parents de démontrer qu’ils peuvent être de bons parents. Ils ont six mois pour ce faire et après, ils perdent leur enfant. Ils n’ont plus aucun recours. »