Supposons une minute – juste une minute, ne vous énervez pas — supposons, disais-je avant que vous vous énerviez, que ce soit « rentable » de financer un nouveau stade de baseball.

Laissons de côté toutes les bonnes questions comme : à quelle hauteur ? En échange de quoi ? À quelles conditions ?

On ne fait que supposer. Mettons que ce soit une bonne idée.

Et là vous regardez le dossier et vous vous rendez compte que ce n’est pas un nouveau stade pour le « retour des Expos ». C’est un nouveau stade pour une équipe malheureuse de Tampa Bay qui viendrait jouer ici… la moitié de sa saison « locale ».

Une saison de baseball comprenant 162 parties, une équipe en joue 81 chez elle et 81 un peu partout en Amérique du Nord (dans des stades presque tous subventionnés par les contribuables).

Aux dernières nouvelles, jusqu’ici, il s’agit d’un projet de « garde partagée » : 40 (ou 41) matchs en Floride, 40 à Montréal. Peut-être les « Rays » à Tampa et les Achigans à Montréal ?

Ça la fout mal, question retombées économiques. C’est un peu comme une nouvelle église qui n’offre qu’une moitié d’Éternité à ses fidèles à la fin de leurs jours. T’as beau croire à des trucs mystérieux, ça sème le doute.

Or, les retombées économiques du sport professionnel sont plus douteuses que la transsubstantiation.

Mais tu es un fervent, un mystique, même. Tu veux y croire !

Oups, tu vois que le propriétaire Stuart Sternberg ne veut pas vendre son équipe. Le seul plan de survie, a-t-il encore dit en décembre, est une garde partagée Montréal-Tampa à partir de la saison 2028.

Jusqu’ici, donc, le projet de « retour » des Expos consiste à construire un stade à Montréal pour la demi-équipe d’une autre ville, propriété majoritairement d’un Américain. Il coûtera le même prix à construire pour 40, 81 ou 23 matchs. Mais une fois construit, il fera retomber deux fois moins des dollars promis.

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Le sport professionnel le plus riche aux États-Unis est, de loin, le football de la NFL. L’année précédant la pandémie, les revenus de la ligue s’élevaient à 16 milliards de dollars américains. Les contrats de télévision sont plantureux, les revenus sont partagés et tout le monde fait beaucoup d’argent.

Pourtant, entre 1997 et 2017, cette même ligue archi-rentable a réussi à obtenir des subventions totalisant 6,7 milliards pour construire des stades — 335 millions par année.

Comment fourre-t-on le contribuable américain d’aussi magistrale manière ?

En plaidant les « retombées économiques », bien entendu. Mais aussi en menaçant de déménager le club. On a par exemple vu une équipe de Los Angeles partir à St. Louis avant de retourner à Los Angeles.

M. Sternberg, pas plus fou qu’un autre, essaie lui aussi le même truc à Tampa. Il n’aime pas le stade de St. Petersburg. Sauf que les autorités locales ne veulent rien savoir.

D’où ce projet sans précédent d’une saison partagée.

PHOTO MARY HOLT, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Le Tropicana Field, domicile actuel des Rays de Tampa Bay

Comment ne pas voir dans ce projet une ultime tentative de chantage ? Ce n’est peut-être pas le cas. Mais on a vu ça ici comme ailleurs. Quelle garantie aura la Ville de Montréal ou le gouvernement du Québec quant à la pérennité du projet ? Qu’est-ce qui empêchera l’équipe de repartir pour une autre ville, de retourner en Floride, ou d’aller n’importe où ailleurs ? Il ne manque pas de gogos sur ce continent pour pomper de l’argent public vers les milliardaires du sport en échange d’un chandail avec le logo de la ville.

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J’en entends au fond de la salle qui me crient : on n’a même pas vu le projet et déjà vous êtes en train de le planter !

Ce à quoi je réponds : depuis trois ans qu’ils en parlent ou en font parler, les promoteurs du projet de baseball de Montréal nous en ont exposé plusieurs des grandes lignes, d’où il est ressorti jusqu’ici 1) une garde partagée ; 2) un actionnariat minoritaire, donc pas de contrôle ; 3) un stade dans un des derniers terrains à développer du bas de la ville, au milieu d’un riche complexe immobilier.

On n’a pas vu le projet final ? OK. Mais on en a vu passer d’autres, des vendeurs itinérants d’encyclopédie avec des alphabets à 13 lettres et des flippeurs de terrains marécageux floridiens avec vue sur e-rien. On se souvient de la fin des Expos, quand nos hommes d’affaires locaux avaient eux-mêmes acheté les poches de farine pour se faire rouler dedans.

Vrai, comme disait le ministre Pierre Fitzgibbon mardi (au 98,5 FM) : si le dossier assure un gain pour le Québec, que ce soit une usine de batteries ou une entreprise de sport professionnel, l’État peut le soutenir. Autrement dit : si les bénéfices dépassent les coûts. Ça se calcule. Ça se démontre. Avec ou sans pandémie. Et SVP, pas avec des arguments de « visibilité médiatique » bidon répétés par des gens qui ne savent même pas où est Green Bay, ou qui n’y mettront jamais les pieds, même si les Packers sont une des équipes les plus fameuses du football.

Le hic, c’est que généralement, passé quelques légers abattements et de minimes contributions, ça ne se démontre pas, justement. Les profits sont privatisés par les propriétaires, et les pertes « socialisées », comme on dit. Ça ne tient pas la route fiscalement, économiquement, socialement. C’est pourquoi on a recours à des arguments « intangibles », romantiques même.

Hâte de voir comment ils vont nous vendre ça avec un demi-chandail.

En attendant, c’est un gros non, un non et demi, je dirais.