Il y a eu Joyce Echaquan, et on a dit : « Plus jamais. »

La mort de cette femme atikamekw sous les injures racistes, à l’hôpital de Joliette, serait assurément un point de bascule. Un incident tragique, mais transformateur, pour la suite des choses. Un électrochoc.

Eh bien, non. Six mois plus tard, nous voici de retour à la case départ. Faisant face, une fois de plus, à un incident troublant de racisme, impliquant deux infirmières de Joliette.

Mardi, les deux femmes ont été congédiées. Le ministre responsable des Affaires autochtones a dénoncé une « situation tout simplement inacceptable ». Les députés ont adopté une motion à l’unanimité pour présenter leurs excuses aux Autochtones. Les chefs des partis de l’opposition ont exprimé en chœur un « mélange de colère et de honte ».

Vous avez une impression de déjà-vu ? C’est normal.

On a déjà joué dans ce film d’horreur.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Joyce Echaquan est morte le 28 septembre dernier.

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Il y a six mois à peine, après la mort de Joyce Echaquan, une infirmière et une préposée aux bénéficiaires avaient été mises à la porte. La cheffe de service des urgences avait démissionné. Même le PDG du CISSS de Lanaudière avait fini par être limogé.

Bref, assez de têtes avaient roulé pour que les employés du CISSS comprennent le message. À l’avenir, les racistes se garderaient une petite gêne.

Enfin, c’est ce qu’on aurait pu croire.

Quand Jocelyne Ottawa, 62 ans, s’est rendue au CLSC de Joliette, vendredi, pour une blessure à un pied, elle a été accueillie par deux infirmières qui n’ont rien trouvé de mieux que de faire des blagues douteuses.

« On va t’appeler Joyce. Ça sonne comme Jocelyne. Ça va être Joyce pour les intimes », lui ont-elles dit, selon Le Devoir. Elles riaient.

Elles trouvaient ça drôle.

Rien de plus comique, en effet, que de déshumaniser une femme atikamekw venue se faire soigner. L’effet comique se trouve multiplié quand on se moque au passage d’une autre femme atikamekw, morte à l’hôpital dans des circonstances abjectes.

Pas de doute, les deux infirmières, maintenant au chômage, pourront se recycler au festival de l’humour.

Jocelyne Ottawa a sans doute joué de malchance. Sûrement est-elle tombée sur deux employées bouchées qui n’avaient pas reçu le mémo, pour le racisme.

Mais je me demande… combien d’autres employés bouchés le CISSS de Lanaudière compte-t-il ? Combien de situations inacceptables le ministre responsable des Affaires autochtones devra-t-il encore dénoncer ?

Combien d’autres évènements isolés ?

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Le 25 février, le gouvernement a annoncé une série de mesures censées marquer le début d’une nouvelle ère. Un poste d’adjoint au PDG réservé à un Atikamekw. Une formation pour le personnel soignant. Un comité de réconciliation. Des agents de liaison à la sécurisation culturelle…

Tout cela est parfait. Mais ça ne fera pas de miracle ; les deux infirmières du CLSC, tout compte fait, avaient reçu le mémo : elles avaient tout récemment suivi la formation !

On peut dire qu’elles ont échoué aux travaux pratiques…

« Ça va prendre d’autres formations », a dit le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, mardi soir. « Ça va prendre d’autres choses pour être capables de changer. Mais on va continuer, et je pense que le message commence à passer qu’on ne laissera pas ça passer. »

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En effet, le message n’a manifestement pas réussi à faire son chemin partout. Il faut lui donner une poussée. Marquer les esprits. Imposer un traitement-choc.

Il faut en finir avec les solutions à la pièce. Adopter le Principe de Joyce, qui vise à « garantir aux Autochtones un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé ».

Le gouvernement refuse net d’adhérer à ce principe, proposé par la Nation atikamekw, parce qu’il serait alors forcé de reconnaître le racisme systémique.

Il répète qu’il n’a pas le temps de s’empêtrer dans un débat sémantique, qu’il préfère l’action aux grands principes un peu vaseux.

Soit. Sauf qu’en s’obstinant ainsi, il inflige un camouflet à la Nation atikamekw, avec qui il cherche justement à rétablir des ponts…

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Jocelyne Ottawa n’a pas répliqué aux deux infirmières qui l’ont humiliée. Elle s’est tue, parce qu’elle avait peur d’être privée des soins dont elle avait besoin.

Ce silence, c’est sans doute ce qui brise le cœur, par-dessus tout, dans cette histoire.

Mme Ottawa n’a pas porté plainte par la suite, parce qu’elle craignait une fois de plus d’en subir les conséquences. Elle s’est contentée d’écrire son histoire en atikamekw sur Facebook. Sa publication a été repérée. Le reste a déboulé.

Il faut leur donner ça : les autorités ont réagi au quart de tour. On peut voir cette prompte réaction comme une preuve de leur détermination à ne plus rien tolérer.

Mais on peut aussi constater que, six mois après Joyce Echaquan, malgré les têtes qui ont roulé, malgré toutes les annonces et les belles promesses, Jocelyne Ottawa s’est tue, parce qu’elle était convaincue que rien n’avait changé.

Pour rétablir la confiance, ce n’est pas gagné.