Il faut qu’on parle du CHSLD Herron.

Pas des détails cauchemardesques du printemps 2020. Pas des résidants morts de soif. Pas des couches pleines. Ça, on le sait déjà. On ne le sait que trop.

Il faut qu’on parle de ce qui se passait, avant la pandémie, dans ce CHSLD privé de Dorval. Herron, c’était une bombe à retardement. Une catastrophe annoncée.

Et si rien n’est fait, il y en aura d’autres.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

« Contrairement à ce qui a été véhiculé, les infirmières n’ont pas déserté en masse. Elles sont tombées malades ou ont été retirées à titre préventif. Personne n’a organisé leur remplacement. C’était le chaos », écrit notre chroniqueuse.

On le craint à la lecture du rapport d’enquête du Collège des médecins, de l’Ordre des infirmières et infirmiers et de l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec. Une lecture qui donne une impression de vertige.

L’impression que les gestionnaires de CHSLD privés non conventionnés, à qui l’on confie la responsabilité de prendre soin de personnes âgées en lourde perte d’autonomie, trouvent leur permis dans une boîte de Cracker Jack.

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Page après page, l’incompétence des exploitants du CHSLD Herron saute au visage.

Bien avant que le virus ne s’y infiltre, le CHSLD de 138 places était effroyablement désorganisé.

Un fouillis sans nom, où le roulement du personnel était énorme, les équipements trop rares, les ratios infirmières-résidants, dangereusement inadéquats, et l’expertise des gestionnaires, nulle.

Un exemple parmi d’autres : l’expérience antérieure de l’agente de location de l’établissement se limitait à la gestion d’un… service de garde à la petite enfance !

Responsable de l’admission des nouveaux résidants, cette agente n’y connaissait rien en soins gériatriques de longue durée. Elle n’était pas en mesure de déterminer les besoins des futurs locataires ni de s’assurer qu’ils seraient soignés adéquatement par des équipes décharnées.

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Depuis l’achat du CHSLD Herron par le groupe Katasa, en 2015, quatre infirmières novices se sont succédé au poste de directrice des soins. La dernière a démissionné en janvier 2020 et n’a pas été remplacée.

Ce taux de roulement s’explique entre autres par le « très peu de soutien du directeur exécutif, dont le souci prioritaire était la diminution des coûts d’exploitation », lit-on dans le rapport.

À lui seul, ce directeur devait assurer la gestion de tous les services. Les repas. La salubrité. L’entretien. La récréologie. La comptabilité. La rémunération. Et, depuis janvier 2020, les soins infirmiers.

Imaginez : ce directeur qui devait, en plus de tout le reste, gérer les équipes de soins auprès d’une clientèle extrêmement lourde n’avait pas de formation en sciences infirmières. Pas d’expertise clinique en gériatrie.

Pas la moindre foutue compétence.

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On dit « clientèle lourde », mais on parle d’êtres humains fragiles et vulnérables, qui requièrent une attention de tous les instants.

Ces gens-là n’entrent pas au CHSLD pour le plaisir. Ils sont affligés de maladies graves. Ils souffrent de démence, pour la plupart. Ils sont au bout du chemin.

Et ils sont de plus en plus nombreux.

Le gouvernement caquiste promet des « maisons des aînés ». Excellent. Personne n’a envie de voir ses proches finir dans une chambre vétuste et sans fenêtre.

Mais le terme ne reflète pas la réalité. Les CHSLD n’ont jamais été des maisons. À mesure que les cas s’alourdissent, ils le seront de moins en moins.

Peu importe les millions qu’on engloutira dans le béton, les futurs résidants auront aussi — surtout — besoin d’être soignés par des équipes formées, expérimentées et bien garnies.

Ça relève de l’évidence. Pourtant, au Québec, certains CHSLD privés semblent gérés comme des fast-foods. Avec les résidants dans le rôle des hamburgers.

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Quand un premier résidant du CHSLD Herron a été déclaré positif à la COVID-19, le 27 mars, tous les ingrédients étaient réunis pour un désastre.

Et désastre, il y a eu. Au total, 47 morts pendant la première vague.

Contrairement à ce qui a été véhiculé, les infirmières n’ont pas déserté en masse. Elles sont tombées malades ou ont été retirées à titre préventif. Personne n’a organisé leur remplacement. C’était le chaos.

Des décisions cruciales auraient dû être prises dès le départ. Mais le directeur sans compétence n’a pas cru bon demander l’aide du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

Quand le CIUSSS a voulu prendre le contrôle de la situation, les gestionnaires ont refusé de collaborer. Leur obstination a duré des jours, pendant lesquels leurs clients tombaient comme des mouches.

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Le CHSLD Herron fermera ses portes. Mais combien y a-t-il d’autres Herron au Québec ?

Combien d’autres bombes à retardement ?

Les auteurs du rapport redoutent que la situation « puisse se reproduire dans d’autres types de ressources privées qui n’ont pas une structure de soins et d’encadrement solide, notamment les ressources intermédiaires et les résidences privées pour aînés ».

Ils font 31 recommandations. J’en retiens une : « Revoir les règles entourant la délivrance de permis pour l’exploitation d’un CHSLD privé afin de s’assurer que les gestionnaires détiennent les compétences requises pour administrer ce type d’établissement. »

La base, quoi.

La ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, promet d’agir. Elle prévoit conventionner la moitié des CHSLD privés d’ici deux ans, a-t-elle confié à La Presse.

Espérons que ce ne soit qu’un début et que ce rapport-là ne se retrouve jamais sur une tablette. Pour ne plus avoir à parler d’un autre Herron.