Dimanche dernier, à Tout le monde en parle, Monic Néron et Émilie Perreault sont allées parler de leur documentaire à venir, La parfaite victime, sur le fléau des agressions sexuelles. On a montré un extrait de la bande-annonce du film.

Dans l’extrait, on voyait une femme qui a été agressée, enfant.

Des années plus tard, elle s’est souvenue. C’est remonté, comme un tsunami. Plainte, enquête, enfin, bref, ça n’a pas abouti, comme souvent. C’était il y a 10 ans.

Elle s’appelle Lily Thibeault.

Elle m’a joint cette semaine, un peu désemparée. C’est que les enfants de 4 ans sont très, très souvent agressées par un proche parent. Pas tout le temps. Mais principalement.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, LA PRESSE

Lily Thibeault, comédienne et réalisatrice

Et là, m’a dit Lily, il est arrivé quelque chose qu’elle n’avait pas anticipé dans la foulée de cet extrait diffusé à Tout le monde en parle : « Malheureusement, depuis dimanche, mon père reçoit des messages de gens qui croient qu’il est mon agresseur… »

Comment je peux rectifier le tir ? m’a demandé Lily.

Je peux en parler en chronique, lui ai-je suggéré. Deal, a répondu Lily, qui ne soupçonnait pas que cette chronique faisait aussi office de babillard communautaire…

Donc, voilà, message d’intérêt public : Lily Thibeault, comédienne et scénariste, qui a grandi à Grand-Mère dans les années 1980, n’a pas été agressée par son père. C’est dit. Répandez le mot en Mauricie, s’il vous plaît…

On a parlé, Lily et moi, et elle m’a raconté des fragments de sa vie, comment c’était remonté à la surface à l’âge adulte, comment le corps se souvient, même quand l’esprit enfouit des gestes indicibles très, très profondément…

Comment elle a plongé dans une fosse océanique d’une noirceur inimaginable après que sa plainte eut fait patate. Ç’a été, en elle, violent. D’abord, comprendre la crispation qui la tenaillait, depuis toujours. Comprendre ça. Ensuite, le système… Qui ne l’a pas officiellement crue.

À l’époque, dit-elle, j’aurais voulu que quelqu’un me dise : “Tu peux t’en sortir vivante…”

LIly Thibeault

Parce qu’au cœur de ces mois-là, dans sa mi-vingtaine, quand elle a compris, quand elle a revu les images, quand elle s’est replongée dans le corps violé qui était le sien à 4 ans, elle pensait mourir, elle ne pensait pas survivre.

J’écoutais Lily et je me suis souvenu d’une discussion avec une travailleuse sociale auprès des sans-abri : « Cinquante pour cent de nos clients ont vécu des abus sexuels dans l’enfance… »

Les personnes qui ont subi des abus sexuels parlent souvent d’elles-mêmes comme de « survivantes », de « survivants ». Le mot n’est sans doute pas trop fort. Le trauma de l’abus sexuel doit être gelé, d’une façon ou d’une autre. La bouteille, la piqûre, la pilule, la poudre sont formidables pour geler la douleur…

Et se tuer à petit feu.

Lily a flirté avec ça, avec un gel de la douleur. « J’ai été inondée de messages depuis TLMEP, me dit-elle. Je veux que le monde sache que je vais mieux, beaucoup mieux. »

Lily est dans l’action. Elle s’implique auprès de la Fondation Marie-Vincent, qui aide les enfants victimes de sévices sexuels. Lily Thibeault me sort des statistiques, des études et une évidence : une enfant aidée dans la foulée de son agression a plus de chances de bien naviguer dans la vie que si on attend que le trauma explose, plus tard, à l’âge adulte.

Le problème, c’est qu’il y a une liste d’attente de deux ans, à la Fondation Marie-Vincent, pour de l’aide thérapeutique. Il y a plus de 500 enfants qui attendent…

Lily Thibeault

J’ai arrêté de prendre des notes. Fuck, deux ans d’attente ! Et 500 petites âmes à réparer qui poireautent…

Des fois, j’ai l’impression que le Québec est une immense liste d’attente. Ce sera le sujet d’une autre chronique, promis.

« T’as un enfant, je pense, Lily ? »

(Je me souvenais d’avoir vu un statut Facebook de Lily au sujet de sa fille…)

« J’en ai trois ! Mon plus jeune a 7 mois… »

Lily a trois enfants, elle est bien vivante…

La vie, mon Dieu, la vie, y a rien de plus fort.

Les enfants du banc de neige

C’est l’histoire d’un gars qui perd son jonc de mariage. Évidemment, comme il l’a perdu, il ne sait pas il l’a perdu. À mesure qu’il remonte le fil des évènements de cette journée, il se rend compte qu’il y était attaché, à cet anneau. Il y a des objets qui sont sans prix.

Eurêka ! il finit par cliquer : il se revoit glisser sur une plaque de glace, beding, bedang, face première, maudit hiver, il se revoit nettoyer ses mains souillées dans un banc de neige…

Le banc de neige !

Direction l’école de sa fille, pas de temps à perdre, il faut trouver le jonc. Le gars arrive et… Et le banc de neige est plein d’enfants. Ce qui est bien : il y aura plein de paires d’yeux pour l’aider. Ce qui est poche : les pas des enfants ont dû pousser le jonc dans le fond du banc de neige…

Des enfants sont enrôlés pour une chasse au trésor bien spéciale : il faut retrouver le jonc de mariage du papa de Béatrice, les amis !

Sans succès.

Le banc de neige n’a pas restitué le jonc. Le gars se dit que le jonc n’a pas été perdu dans ledit banc de neige. Il meurt un peu en dedans.

Il annonce à sa blonde que son jonc de mariage est disparu. On en achètera un autre, qu’elle lui dit. Le gars, il devine qu’elle est aussi triste que lui…

Ding, dong, trois semaines plus tard. Ça cogne à la porte du gars : Vincent et Elisabeth, deux amis de Béatrice, sont là, leurs parents derrière eux. Vincent tient un kleenex.

Dans le kleenex, le jonc.

Le gars s’est mis à pleurer, parce qu’il y a des objets qui n’ont pas de prix, qui ne se remplacent pas. Ce jonc-là est dans la courte liste de ce genre d’objets…

Et c’est ainsi que le gars, Guy A. Lepage, a retrouvé son jonc de mariage. Il a raconté cette belle histoire sur ses réseaux sociaux cette semaine, une histoire qui a fait mouche dans le cœur des gens : 13 000 « J’aime » sur Instagram. Je vois ça comme un symptôme, celui de notre besoin de choses belles, ces jours-ci.

Comment, Guy A. Lepage qui pleure ? Ben oui, sous la carapace, il y a un des gars les plus sensibles que je connaisse…

Trois enfants, David et les jumeaux Vincent et Elisabeth, ont spontanément décidé d’aller fouiller dans le banc de neige, trois semaines plus tard, pour tenter de retrouver le jonc. Ce banc de neige ne fait pas partie de la cour d’école, mais il attire les enfants ; c’est le fun, jouer dans des bancs de neige.

Ça n’a pas pris longtemps. Vincent a tout de suite vu l’anneau brillant, restitué par le banc de neige, trois semaines plus tard…

Et je ne sais pas trop pourquoi, mais des enfants généreux, ça me donne envie de penser que la fin du monde n’est (peut-être) pas pour après-demain.