Lundi matin, le site du Los Angeles Times a publié un reportage photographique foudroyant sur la situation des sans-abri dans la plus importante ville de Californie. Selon le dernier comptage, il y aurait 66 000 personnes qui vivent actuellement une situation d’itinérance à L.A.

Plusieurs campements ont été dressés. Ils ressemblent à des dépotoirs. Parmi des amas de détritus vivent des hommes et des femmes. Ces images de désolation brisent le cœur.

Mais ce reportage n’est pas celui qui a le plus intéressé les habitués du Los Angeles Times. Une autre souffrance lui a volé la vedette. Celle-là elle se niche dans les hauteurs de Montecito, un quartier hyper sélect de Santa Barbara. C’est là que le duc et la duchesse de Sussex ont élu domicile il y a quelques mois.

C’est de ces hauteurs que le couple de la famille royale a raconté ses malheurs au grand public dimanche soir. Le public préfère regarder cette souffrance, car elle est divertissante. Elle fait même un peu de bien à entendre.

PHOTO DANIEL LEAL-OLIVAS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le prince Harry et sa femme, Meghan Markle, ont accordé dimanche une entrevue historique à l’animatrice américaine Oprah Winfrey.

La nouvelle résidence de Meghan et Harry a couté 14,5 millions. Pour l’obtenir, ils ont contracté une hypothèque de 9,5 millions. Je ne sais pas s’ils ont opté pour des versements mensuels ou toutes les deux semaines, mais cela doit représenter une jolie somme à payer.

Ils doivent donc trouver de l’argent. C’est pour cela qu’ils sont allés renforcer leur image monnayable face à l’impératrice Oprah. Devant elle, ils ont fait part de la misère qui les frappe depuis leur départ de Buckingham Palace.

C’est cette indécence-là que j’ai vue dimanche soir à la télé. Une indécence qui se fout du véritable malheur des autres, le grave, le cruel, l’insupportable.

Tout dans cette entrevue était fait de sous-entendus, de demi-déclarations et d’insinuations destinés à faire du duc et de la duchesse en exil de pauvres victimes. Et cela m’a révolté.

Comprenez-moi bien : se faire demander quelle couleur aura son enfant lorsqu’il arrivera au monde est quelque chose de complètement inacceptable en 2021. C’est sans aucun doute la chose la plus abjecte qui est ressortie de cette entrevue. Qui a bien pu poser cette question ? Que se cachait-il derrière cette interrogation ? Cela dépasse l’entendement.

Que faut-il retenir de cela ? Qu’un membre (ou des membres) de la famille royale britannique aurait tenu des propos racistes ? Faut-il se s’étonner de cela ? Niet !

Ce n’est pas parce que tu vas visiter des enfants malades ou des personnes âgées entouré de caméras avec un air compatissant et un complet Ted Baker ou une robe Lanvin que tu es nécessairement bienveillant et ouvert sur le monde.

L’autre grande déclaration choquante de cette entrevue touche la demande d’aide psychologique qu’aurait formulée Meghan et qu’on lui aurait refusée afin de sauver les apparences. Encore là, faut-il s’étonner ? Re-niet !

Depuis des décennies, la réalité de cette famille est entièrement faite d’apparences, qu’une armée de conseillers et de domestiques astique tous les jours au chiffon doux.

Et ça, il me semble que Meghan le savait très bien quand elle a rejoint les rangs de cette entreprise. Car il s’agit bien de cela. La famille royale d’Angleterre est une multinationale, et y accéder comme duchesse revient à obtenir un poste de direction chez Microsoft.

C’est sûr que ça vient avec de la pression, des exigences, des promesses de performances et des règles qu’il faut suivre.

Durant ces deux heures d’entrevue, je songeais à la succursale de cette multinationale que Meghan et Harry sont allés créer en Californie. Pour la faire fonctionner, ils ont besoin de gonfler la valeur de leur marque de commerce, qui souffre de comparaisons de toutes sortes.

Le passage « Non, ce n’est pas moi qui ai cassé la poupée de Kate, c’est Kate qui a cassé ma poupée ! » était d’ailleurs assez éloquent à cet égard.

Les deux tourtereaux incompris qui réclament qu’on les laisse en paix et qui ne cessent de répéter qu’ils n’en peuvent plus de la pression des médias se sont tournés vers leur nouvelle voisine et partenaire d’affaires pour s’assurer d’une cote d’écoute mirobolante. Et c’est ce qu’ils ont eu avec 17 millions de téléspectateurs sur CBS.

PHOTO JOE PUGLIESE, ASSOCIATED PRESS

Meghan Markle lors de l’entrevue avec Oprah Winfrey, dimanche

Meghan & Harry inc. peuvent maintenant faire rouler la machine et facturer des milliers de dollars pour chaque invitation sur un tapis rouge.

Ces deux trentenaires ont très bien compris comment ça marche. Ils ont grandi sous l’œil des caméras, la célébrité, les réseaux sociaux. Ils savent qu’à défaut de ne pouvoir contrôler le monstre, il faut s’arranger pour lui faire cracher des dollars.

Meghan et Harry sont finalement des youtubeurs royaux. Ils sont un produit qui possède une valeur. Ils en sont pleinement conscients. Mais ils pratiquent leur métier en reniant la source qui leur a fourni cette valeur.

De l’indécence, que je vous dis…

Tout au long de cette entrevue de deux heures, je me suis dit plusieurs fois à quel point le duc et la duchesse vivent sur une autre planète. Depuis un an, des gens partout sur le globe voient des proches mourir ou devenir malades, perdent leur emploi, assistent à la chute de leur commerce ou vivent une terrible solitude.

Et eux débarquent avec leurs vêtements signés dans la tiédeur du vent de Santa Barbara pour laver leur linge sale devant des millions de gens.

C’est cet esprit de vengeance que j’ai également vu dimanche soir à la télé. Cette arme redoutable, les sans-abri des campements de Los Angeles n’y ont cependant pas droit.

Il y a quand même un moment qui m’a fait sourire dans cet instant télévisuel surréaliste (à part celui où l’on voit Harry dialoguer avec ses poules). C’est celui où Oprah demande à Meghan et Harry s’ils regardent la série The Crown, produite par Netflix, l’entreprise avec laquelle ils viennent de signer une entente.

Ils ont répondu qu’ils en avaient vu quelques bouts seulement.

Je comprends tout à fait qu’ils n’aient pas le temps de regarder cette fiction, ils sont trop occupés à inspirer les prochains épisodes.