Le bégaiement est un sujet tabou. Le président des Alouettes de Montréal, Mario Cecchini, a choisi de le briser en racontant comment il avait bégayé de l’adolescence au début de sa vie adulte, dans l’espoir que cela suscite une plus grande acceptation sociale du bégaiement, qui touche 1,5 % des Québécois de plus de 18 ans.

Quand on a présenté M. Cecchini au public comme nouveau président du club de football des Alouettes de Montréal, des dizaines de journalistes étaient réunis pour la conférence de presse en cette journée de janvier 2020.

Après des années difficiles sur le plan financier, les Alouettes avaient de nouveaux propriétaires ontariens, un nouveau président québécois, Mario Cecchini, et un nouveau directeur général québécois, Danny Maciocia.

Cette journée-là, on a souligné le ton rassurant de Mario Cecchini, son aisance devant les caméras.

Il n’en a pas toujours été ainsi.

Adolescent et jeune adulte, Mario Cecchini bégayait. À l’époque, celui qui deviendra patron de stations de radio, de chaînes de télé, puis d’une équipe de sport professionnel était souvent incapable de dire son nom devant un groupe d’inconnus.

À l’école secondaire, quand il avait un exposé oral de deux minutes à faire devant la classe, il devait le répéter une cinquantaine de fois devant le miroir. « C’était ponctuel, se souvient Mario Cecchini. Dès que j’étais en confiance, avec ma famille, mes amis, ça allait bien. Mais quand j’étais face à l’autorité, en situation de stress ou devant du nouveau monde… »

Mario Cecchini a un long parcours dans le milieu des communications et des affaires. Avant de devenir président des Alouettes de Montréal, il a été président de Corus au Québec et PDG de RNC Média, où il a dirigé des stations de radio et des chaînes de télé. Sa réputation de gestionnaire n’est plus à faire.

Au Québec, très peu de personnes ont parlé publiquement de leur bégaiement. Les chanteurs Luc De Larochellière et Dramatik l’ont fait. Si Mario Cecchini a choisi de raconter son histoire publiquement, c’est pour aider d’autres personnes qui bégaient et pour faciliter l’acceptation sociale du bégaiement.

C’est cliché, mais si ça peut aider une seule personne, ça en aura valu la peine.

Mario Cecchini, président des Alouettes de Montréal

Encore aujourd’hui, Mario Cecchini se rappelle très bien cette journée où, à 14 ans, il est arrivé dans un club de golf pour travailler comme cadet (caddy). Des ados étaient en file devant le responsable, qui leur demandait leur nom. « Quand il est arrivé à mon nom, je n’étais pas capable de le dire, je bégayais, et c’est sorti tout croche. Il m’a répondu, étonné : “Quoi, t’es pas sûr de ton nom ?” Les autres sont partis à rire. C’est sûr que c’est drôle, et le monsieur ne savait peut-être même pas que je bégayais. Heureusement, au secondaire, j’étais dans une école [le Collège Charles-Lemoyne] où on était dans la même classe durant cinq ans. Je connaissais tout le monde, donc j’étais plus à l’aise. Mais chaque présentation orale était un défi. Tu développes des trucs, tu essaies de faire des blagues, tu es plus tannant que la moyenne. Il faut que tu te trouves une autre identité. »

« Un stress permanent »

Mario Cecchini a vécu l’un de ses souvenirs les plus humiliants à l’âge de 17 ans. Fraîchement débarqué au Saguenay pour étudier les médias au cégep, il ne connaissait personne dans sa classe. « Dans le cours de lecture dirigée, quand c’est arrivé à mon tour, j’ai bloqué complètement, j’ai eu la tête en bas, dit-il. Quand j’ai relevé la tête [après son bégaiement], tout le monde riait. Ça riait de bon cœur ; les gens n’étaient pas méchants, c’était drôle pour eux. Moi, ça m’a complètement humilié, il n’y a pas d’autre mot. Ça laisse des traces. Encore à ce jour, je suis incapable de voir une scène de film où une gang se moque de quelqu’un… »

Quand il était au cégep au Saguenay, il a joué Le petit prince au théâtre sans bégayer. « Au théâtre, c’est comme si tu deviens quelqu’un d’autre », dit-il. Par contre, impossible pour lui, à l’époque, d’approcher des filles dans un contexte social. Faire son cours de conduite avec des inconnus a été particulièrement éprouvant. « Tu arrives en dernier, tu pars le premier, tu ne te mêles pas aux gens, tu ne poses pas de questions. Tu es toujours en train de prier le bon Dieu que, quand on te pose une question, la réponse soit “oui”, “non” ou “lumière rouge”. »

Au début de ses études collégiales au Saguenay, il a donc décidé d’aller consulter un orthophoniste à l’hôpital de Jonquière, qui lui a donné des exercices à faire pour réduire et pour maîtriser son bégaiement. Des exercices comme exagérer son articulation, travailler les muscles de son cou quand il parle, s’exprimer plus lentement.

Pour Mario Cecchini, ces exercices ont fonctionné.

Après ses études au Saguenay, Mario Cecchini a déroché un emploi en recherche chez CKAC. L’une de ses tâches : expliquer les cotes d’écoute aux patrons durant les réunions. Ça tombait mal : il pouvait difficilement prononcer le début du mot « auditoire ». « Je prolongeais le “o”. Un collègue s’amusait avec ça. Je l’ai pris à part, je lui ai dit pourquoi. Juste de lui dire, ça m’avait aidé. J’utilisais souvent des synonymes pour auditoire, comme “la foule qui nous écoute” ou “les gens à l’écoute”. Quand j’écrivais mes textes, j’évitais les grosses consonnes, les A, B, D, Q. Les gens ne s’en rendaient pas compte. Mais pour moi, en dedans, c’était un stress permanent. »

Aujourd’hui, Mario Cecchini ne bégaie plus. Mais il est conscient de son trouble – et du chemin qu’il a parcouru. « Pour moi, quand j’avais 17 ans, c’est comme la semaine passée, dit-il. Ça n’arrive pratiquement plus, mais ça peut revenir en haute période de fatigue et de stress, quand je suis nerveux, devant des gens que je ne connais pas. Dans ma tête, il y a des moments où je le sens revenir [le bégaiement]. Je peux alors utiliser mes trucs pour le maîtriser. »

Un trouble neurologique

Environ 1,5 % des adultes sont aux prises avec une forme de bégaiement. Au Québec, cela représente donc environ 100 000 adultes. Chez les enfants d’âge préscolaire, c’est jusqu’à 10 % d’entre eux.

Ce trouble de la parole est très méconnu du grand public. Bien des mythes y sont associés. Par exemple, le bégaiement n’est pas un trouble psychologique. Une personne ne bégaie pas parce qu’elle est stressée ou nerveuse. Dans 99 % des cas, le bégaiement a une cause neurologique. En résumé, le cerveau fonctionne différemment.

« Il y a une prédisposition génétique. Des mutations génétiques causent un dysfonctionnement dans le réseau du cerveau responsable de la parole qui amène un système de parole plus fragile », dit Anne Moïse-Richard, orthophoniste au Centre de réadaptation Marie Enfant–CHU Sainte-Justine et professeure clinique à l’Université de Montréal.

Le stress ne cause pas le bégaiement. Si ce mythe est tenace, c’est parce que, concrètement, une personne a souvent tendance à bégayer dans des situations stressantes.

Deux approches

Chez les enfants d’âge préscolaire, il existe des traitements efficaces qui font en sorte que la majorité de ceux qui bégaient peuvent améliorer leur fluidité verbale sans faire d’efforts particuliers. Toutefois, de nombreux enfants continuent de bégayer à l’adolescence et à l’âge adulte. Les orthophonistes ont alors deux façons de les aider.

Premièrement, avec des exercices pour améliorer leur fluidité à l’oral. C’est ce que Mario Cecchini a fait au Saguenay quand il avait 17 ans. « Chez les adolescents et les adultes, le bégaiement est souvent plus ancré dans le cerveau, dit l’orthophoniste Anne Moïse-Richard. On peut améliorer la fluidité en changeant leur façon de parler, en ralentissant leur débit. »

Si la personne parle plus lentement et fait des pauses, ça va être plus facile pour elle de moins bégayer.

Anne Moïse-Richard, orthophoniste

Il y a aussi une seconde façon d’intervenir : l’acceptation du bégaiement. « On veut qu’ils [les adolescents et les adultes] continuent à faire ce qui est important pour eux, et on les accompagne là-dedans, dit l’orthophoniste Anne Moïse-Richard. Les gens doivent discerner ce qui est important, et on les amène à micrograduer les situations de communication difficiles, avec des exercices répétés, notamment. Le stress de la personne diminue, et elle a l’impression de monter une marche à la fois plutôt que de voir une montagne. »

Quand les exercices fonctionnent à l’âge adulte, ils permettent de diminuer le bégaiement ou de le rendre quasi inexistant. Toutefois, certaines personnes devront vivre toute leur vie avec leur bégaiement, peu importent les efforts qu’elles font pour tenter de le maîtriser.

« C’est une minorité [d’adultes] qui arrivent à maîtriser les techniques pour que le bégaiement ne laisse plus de traces », dit Jean-François Leblanc, président de l’Association bégaiement communication. « Il faut une plus grande acceptation sociale, il faut que les personnes qui bégaient ne soient pas victimes de discrimination. C’est plus difficile pour les gens qui bégaient sur le plan professionnel, que ce soit pour des entrevues d’embauche ou pour des promotions. Le fait de traiter le bégaiement comme un éléphant dans la pièce, de faire comme si ce n’était pas là, ce n’est pas une bonne attitude. »

« On est rendu à mettre notre énergie aussi pour voir comment la population peut mieux accepter le bégaiement, dit l’orthophoniste Anne Moïse-Richard. Le fait que cette particularité soit identifiée comme un handicap repose beaucoup sur les valeurs véhiculées par la société. En acceptant de montrer leur bégaiement, les personnes qui bégaient favorisent une société plus tolérante et inclusive. »