Il a ému tout le Québec, l’an dernier. Et voilà qu’un nouvel épisode de Bambi se joue à Longueuil.

Souvenez-vous. En novembre, Bambi et sa bande ont échappé à la mort grâce à la courageuse intervention de valeureux résidants. Dans leur plus récente aventure, ils font face à un nouveau péril.

Cette fois-ci, les méchants sont des ronds-de-cuir incompétents et pétris de mauvaise foi qui font tout pour mettre des bâtons dans les roues de ceux dont la tâche héroïque est de sauver Bambi et ses amis.

Ça, c’est la version Walt Disney de l’histoire. Celle que vous avez lue ou entendue, au cours des derniers jours, sur toutes sortes de tribunes.

Mais enlevez-lui son filtre romanesque et vous vous retrouverez devant une tout autre histoire.

Enlevez-lui son eau de rose et vous trouverez même qu’elle pue un peu.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Chevreuil du parc Michel-Chartrand, à Longueuil

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La semaine dernière, l’équipe de Sauvetage Animal Rescue (SAR) s’est vu refuser un permis pour capturer 15 chevreuils du parc Michel-Chartrand, à Longueuil, afin de les transférer dans un « sanctuaire ».

SAR a aussitôt publié un communiqué. « Nous cumulons, à l’heure actuelle, plus de 150 heures de bénévolat, sans compter les heures de nos vétérinaires pour leur recherche, leurs pistes de solution, afin de mener à terme cette mission. Nous trouvons que ce processus bureaucratique est excessivement lourd. »

Ça, c’est le filtre romanesque. Le spin, en bon français.

Le directeur général de SAR, Éric Dussault, a expliqué sur les ondes de QUB radio que le dossier des chevreuils était une « corde sensible pour le gouvernement ».

Imaginez un peu, disait-il, qu’un entrepreneur comme lui fasse mieux que des fonctionnaires. Imaginez la honte de ces derniers. Ils ne pourraient plus justifier leur job !

Voilà ce qui explique l’obstruction de ces gratte-papiers. Ne cherchez pas plus loin.

Parce que si vous cherchez plus loin… vous pourriez découvrir autre chose. Vous pourriez découvrir qu’en réalité, ce sont les « ronds-de-cuir » qui ont sauvé les « héros » de l’humiliation.

Et les chevreuils de la catastrophe.

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Jean-Pierre Vaillancourt est professeur à la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal et président du comité d’éthique qui a rejeté le plan de sauvetage des chevreuils soumis par SAR.

Dans la version Walt Disney, c’est lui, le rond-de-cuir en chef.

Depuis le début, il sait que la solution proposée n’a aucun mérite scientifique. Déplacer 15 chevreuils ne réglera pas le problème de surpopulation du parc Michel-Chartrand. Dans quelques années, tout sera à recommencer.

Son comité a tout de même accepté d’évaluer le plan de sauvetage, parce que c’est ce qu’exigeait à hauts cris la foule sentimentale. Le Québec peut bien abattre 48 000 chevreuils par an, ces quinze-là ont des noms, on les nourrit le dimanche, on les aime. Il faut les sauver. D’accord.

Le comité d’éthique comprend des vétérinaires, des biologistes, des éthologistes et d’autres experts en santé animale. Avant de rendre sa décision, il a consulté cinq des plus grands spécialistes des cervidés au Canada, qui comptent des dizaines d’années d’expérience sur le terrain.

Et qui ont tous rejeté le plan soumis par SAR.

« Ils étaient unanimes à dire que cela aurait été catastrophique », dit Jean-Pierre Vaillancourt. En termes de relations publiques, l’équipe de SAR – qui fait l’objet d’une série à TVA – courait au désastre. « Si quelqu’un avait filmé ça, cela aurait été spectaculaire… »

Les chevreuils couraient un risque très élevé de se blesser, de souffrir de stress et d’anxiété, de s’étouffer avec leurs régurgitations, de paniquer… et d’en mourir. À toutes les étapes du plan – la capture, l’anesthésie, le transport, le suivi –, les experts ont relevé des manquements graves et contraires aux normes de protection des animaux.

Bref, c’était un plan voué à l’échec. Un travail d’amateur.

L’équipe de SAR est peut-être pleine de bonne volonté, mais elle n’a pas la moindre expérience dans la manipulation de cervidés sauvages. Elle se mettait elle-même à risque, insiste Jean-Pierre Vaillancourt. « Un chevreuil, ce n’est pas un koala. Un gros mâle, quand ça panique, c’est Laurent Duvernay-Tardif qui te fonce dessus à la vitesse de d’Usain Bolt au 100 mètres… »

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Sur Facebook, on s’étrangle de rage. Qu’y a-t-il de si compliqué à déplacer de mignons petits cerfs ? Maudits bureaucrates ! Il faut sauver les chevreuils ! On va se battre jusqu’au bout !

Mais se battre pour quoi, au juste ?

Pour les mettre au zoo.

Pas un zoo agréé comme ceux de Granby ou de Saint-Félicien, qui ont au moins le mérite de poursuivre une mission d’éducation et de conservation. Sans surprise, ces zoos-là ne veulent rien savoir des chevreuils de Longueuil. Pas un seul n’a levé la main.

Ainsi, selon le plan de SAR, les chevreuils échoueraient dans des ménageries qui n’ont de « sanctuaire » que le nom.

Vous savez, le genre d’endroit où l’on raconte volontiers aux visiteurs que les animaux qu’ils paient pour admirer étaient perdus, éclopés, rejetés ou maltraités ?

Ça s’appelle du spin, ça aussi.

Une partie des chevreuils se retrouveraient au cœur d’un complexe de Lanaudière qui compte déjà un camping, un parc aquatique, un manoir hanté, un château magique, un parcours aérien et des jeux gonflables.

Le zoo est la nouveauté du parc d’attractions. Déjà, les familles peuvent y admirer un dromadaire allergique, des lions atteints de strabisme, des renards tout droit sortis de l’usine à fourrure, des lynx destinés à l’euthanasie et des loups voués à une mort certaine, selon le journal local.

Ne manque plus que Bambi et sa bande. Pas de doute, ils y vivraient heureux jusqu’à la fin des temps.

> Pour (re)lire la chronique « Foule sentimentale » (26 novembre 2020)