Le REM dans l’est de Montréal et le tramway à Québec ressemblent à deux univers parallèles.

Pour le Réseau express métropolitain (REM), François Legault commence sa réflexion en cherchant le meilleur projet, peu importe le coût. Alors qu’à Québec, il pense petit. Il impose un corset budgétaire, puis ratatine le projet.

Pour le REM, un jeune projet qui divise les experts, il fonce. Mais pour le tramway, qui mûrit depuis plus d’une décennie et qui fait consensus chez les urbanistes, il freine.

Ce que M. Legault veut, le Québec l’obtient. C’est ainsi qu’on avance vers l’arrière, de retour aux laides années de la politisation arbitraire des transports en commun.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault à la conférence de presse où a été présenté le projet de prolongement du REM vers l’est, le 15 décembre 2020

S’il subsistait un doute, il a disparu lors de la conférence de presse de mardi. M. Legault s’est défendu d’improviser en bloquant la nouvelle mouture du tramway. Il a assuré « consulter » des gens.

Qui ? Des membres. Des conseillers et des députés.

M. Labeaume est un grizzly mal léché. Plusieurs caquistes de la région l’aiment aussi peu que son tramway, et cela inclut la vice-première ministre Geneviève Guilbault, responsable de la Capitale-Nationale.

Ils voudraient s’approprier le tramway pour en faire un projet bleu caquiste, et le lancer de préférence en même temps que le troisième lien.

Pour la Coalition avenir Québec (CAQ), le tramway et le troisième lien doivent aller ensemble. Mais l’un est presque prêt, tandis que l’autre reste embryonnaire. Par exemple, le coût du tramway a bondi à cause des complications liées à la difficulté de creuser sous la colline Parlementaire, alors imaginez un tunnel reliant Lévis à Québec…

Il est vrai que le BAPE a critiqué le tracé du tramway. Mais le défaut se corrigerait en investissant plus. À l’échelle du budget en infrastructures (130 milliards pour 2020-2030), un ajout de 300 millions est marginal. La capitale de la nation québécoise – la seule ville de sa catégorie au pays sans réseau de transport structurant – le mérite.

Mais des caquistes font le contraire. Ils demandent des modifications aux allures de sabotage. Après avoir demandé au maire de rétrécir le trajet pour économiser, ils lui reprochent de mal desservir les banlieues. Ils s’opposent à la branche menant à Cap-Rouge, sachant que cela déplacerait le garage et retarderait donc l’appel d’offres imminent, pour lequel trois consortiums étaient préqualifiés.

Selon ce qu’a rapporté M. Labeaume, le ministre des Transports, François Bonnardel, a proposé un compromis en décembre : écourter la ligne menant à Charlesbourg, et développer plutôt des voies réservées et des circuits d’autobus en banlieue. Une entente de principe aurait été conclue, dit la Ville. Il ne s’agissait que de propositions, rétorque M. Bonnardel.

Peu importe qui dit vrai, cela ne change rien au nœud : des élus caquistes ne veulent rien savoir d’un projet cosigné par le maire, et ils ont eu l’oreille de M. Legault.

Pourtant, ce n’était pas les gens les plus fiables à consulter…

Les députés aiment dire qu’ils connaissent leur circonscription, mais ce n’est pas en additionnant leurs intérêts qu’on trouvera le bon tracé.

Planifier les transports collectifs exige de se mettre à une certaine hauteur pour voir les gens se déplacer comme des petites fourmis. Cela requiert des calculs. Des modèles pour prévoir les déplacements. Une vue d’ensemble de l’impact d’une décision sur tout le réseau.

Bref, une expertise.

Après tout, on parle de milliards de dollars investis pour gérer les déplacements durant les prochaines décennies dans la capitale nationale.

C’est plate à dire, mais le gros bon sens ne suffit pas toujours.

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Le même problème se reproduit avec le REM, mais de façon inverse.

Vendredi dernier, la Caisse de dépôt et placement (par l’entremise de sa division CDPQ Infra) présentait ses premières études sur le futur REM reliant l’est de Montréal au centre-ville.

La conclusion : il ne peut être souterrain. Chaque scénario de tunnel pose des risques critiques d’effondrement. La Caisse soutient que sans structure en hauteur dans le centre-ville, le projet est techniquement impossible. Jusqu’à preuve du contraire, aucun ingénieur ne l’a contredite.

Reste que personne n’a encore vu ces piliers de béton…

Face aux craintes des ordres des architectes et des urbanistes ainsi que de la mairesse Valérie Plante, la Caisse créera un comité d’experts en intégration urbaine et consultera la population. Ce ne sera pas facile – Le Journal de Montréal rapportait mardi que deux firmes d’architectes se sont désistées, pour ne pas être associées à une structure qui défigurerait le centre-ville.

Pour la Caisse, le choix se fait entre un tronçon du REM en hauteur ou rien. Sauf qu’il y a une autre possibilité. Une technologie roulant sur le sol, qui ne cicatriserait pas le cœur de Montréal.

Si la Caisse n’en parle pas, c’est parce que ce serait incompatible avec le REM, qui fonctionne sans chauffeur.

La Caisse fait son travail. Elle propose la façon optimale de prolonger le REM. Mais était-ce alors la meilleure option pour les usagers, la congestion et la pollution ? Cette question, c’était à Québec de la poser aux experts.

M. Legault ne semble pas y avoir réfléchi longtemps. Comme pour le tramway, il a tranché : ce sera un REM, le choix du chef.

Au moins, pour le REM, il accélère les travaux au lieu de les bloquer. Peut-être que l’avenir lui donnera raison.

Mais c’est tout de même artisanal comme recette qui sera servie si longtemps.