La Ville de Montréal souhaite augmenter le nombre de patrouilles mixtes composées de policiers et d’intervenants sociaux. La mairesse Valérie Plante réclame 15 millions de dollars à Québec pour atteindre cet objectif.

Voilà un plan qui, en apparence, a toutes les raisons du monde de nous séduire. J’ai quand même voulu en discuter avec des spécialistes qui s’intéressent de près à ce concept qui est apparu dans les années 80 et qui a pris une ampleur considérable partout dans le monde.

Guillaume Ouellet est chercheur au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (CREMIS) et professeur au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Le concept d’escouades mixtes n’a plus de secret pour lui.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

« Depuis quelques années, le rôle des policiers s’élargit. Ils deviennent carrément des acteurs de l’intervention sociale », affirme Guillaume Ouellet, chercheur au CREMIS, à notre chroniqueur.

« Depuis quelques années, le rôle des policiers s’élargit, dit-il. Ils deviennent carrément des acteurs de l’intervention sociale. Des policiers nous disent que 70 % de leur temps est maintenant consacré à cela. Nul besoin de vous dire qu’ils se questionnent beaucoup sur ce que leur métier est en train de devenir. »

En effet, les policiers sont maintenant considérés comme les « premiers répondants » des interventions psychosociales. Au Canada, en 2012, une intervention policière sur cinq impliquait une personne connaissant un problème de santé mentale ou ayant consommé une substance, selon Statistique Canada.

Il est maintenant fréquent qu’un policier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) appelé à intervenir auprès d’une personne en détresse inscrive le terme « VU » dans son rapport d’évènement. VU, c’est pour « vulnérable ». Autrefois, on écrivait « MM » pour « maladie mentale ». Mais on trouvait que le terme était péjoratif et trop restrictif.

Il n’y a pas de listes officielles de diagnostics pour désigner une personne faisant partie de la catégorie VU. Mais les policiers identifient, parmi une vingtaine de situations, des cas de déficience intellectuelle, d’autisme, de schizophrénie, de pensées suicidaires, de grande impulsivité, de jugement affecté, de psychopathie, etc.

Au cours de notre échange, Guillaume Ouellet a souvent eu recours à l’expression « police thérapeutique ». Le terme, qui peut paraître étonnant, résume très bien la nouvelle réalité qui touche l’univers de la sécurité publique de nos jours et dont le phénomène des patrouilles mixtes fait partie.

« Certains policiers se réjouissent de cette approche, mais d’autres souhaitent que ça soit temporaire et que les services sociaux reprennent les choses en main, dit Guillaume Ouellet, coauteur, avec ses collègues Emmanuelle Bernheim, de l’Université d’Ottawa, et Daphné Morin, du CREMIS, d’un article sur le point d’être publié. On retrouve actuellement ces deux discours. »

Guillaume Ouellet me confiait qu’au moment de commencer leur quart de travail, des policiers qui font partie de ces patrouilles mixtes se font dire par d’autres collègues : « Bon, tu t’en vas faire le TS [travailleur social]. Ils sont la risée des autres patrouilleurs réguliers. »

Des policiers qui ont accepté d’être interviewés par Guillaume Ouellet ont parlé des gestes qu’ils faisaient parfois à l’endroit de certaines personnes vulnérables. Ces gestes vont au-delà de leurs tâches quotidiennes.

« Une policière m’a raconté qu’elle était intervenue auprès d’une dame vivant seule. Par la suite, elle a pris sur elle le soin d’aller vérifier si tout allait bien. Elle allait même voir dans son frigo si elle avait de quoi manger. Il est arrivé qu’elle achète des œufs et du pain pour cette femme. Un autre policier est débarqué chez un homme seul qui avait divers besoins. Le policier s’est résolu à changer la couche de ce monsieur. Vous voyez, ça peut aller très loin. »

Guillaume Ouellet est incapable de confirmer l’efficacité de cette approche thérapeutique qui repose, entre autres, sur les patrouilles mixtes. « Aucune étude ne s’entend là-dessus. Ça dépend de plusieurs facteurs. C’est très complexe. »

Eduardo Castillo González, professeur de criminologie à l’Université d’Ottawa, s’intéresse également de près au phénomène des patrouilles mixtes. « Il ne faut pas croire que c’est une formule magique. Le succès de cette approche repose beaucoup sur la relation qui va exister entre le policer et l’intervenant social. Ça dépend aussi du type de valeurs qui vont encadrer cette collaboration. Elle doit être accompagnée, par exemple, d’une réflexion autour du racisme systémique. »

Pour le moment, la Ville de Montréal a recours à l’approche des patrouilles mixtes grâce à l’Équipe mobile de référence et d’intervention en itinérance (EMRII), mise sur pied en 2009, et à l’Équipe de soutien aux urgences psychosociales (ESUP), née en 2012.

Le travail de ces équipes, issues de policiers du SPVM et d’intervenants du CSSS Jeanne-Mance, est extraordinaire. Mais voilà, on parle ici d’une petite poignée de ressources. Face au défi gigantesque de l’itinérance et de la santé mentale à Montréal, c’est littéralement David contre Goliath.

Ce mariage, qui est présent dans les grandes villes, cause un véritable choc de culture. Qui aurait dit il y a 25 ans que le métier de policier, basé depuis toujours sur le respect de l’ordre public, allait aussi englober des enjeux de réinsertion sociale, de santé publique et de santé mentale ?

« C’est un peu comme si la main gauche de l’État quittait ses responsabilités en matière de santé et de services sociaux tout en transférant cela à la droite, explique Guillaume Ouellet. Il faut le reconnaître, la police est devenue une porte d’entrée sur les soins de santé et les services sociaux. Mais il faut ensuite que le reste suive. »

Depuis la désinstitutionnalisation, les budgets consacrés aux missions sociales ne cessent de diminuer alors que les dépenses fédérales et provinciales pour les services correctionnels continuent de croître. L’équilibre semble être une chose impossible à retrouver.

Alors, laisser entrer l’aide psychosociale par la porte de la police est une piste que nous n’avons pas le luxe de refuser. Nous avons même l’obligation de la faire grandir.