Quand j’ai vu la couverture du livre Ville contre automobiles, je me suis dit qu’il y avait sans doute un manque de précision et que l’auteur voulait dire « Ville contre automobiles à essence ». Après tout, on ne cesse de chanter les louanges des véhicules électriques, de nous dire qu’ils régleront tout et qu’il faut collectivement aller dans cette direction.

J’avais tout faux. Olivier Ducharme, auteur de cet essai qui vient de paraître chez Écosociété, met dans le même panier ces « requins d’acier » qu’il faut sortir au plus vite des espaces urbains.

Si vous êtes allergique aux « freaks antichar », ce livre vous donnera des plaques rouges partout sur le corps. Vous êtes prévenu. Si, en revanche, vous souhaitez nourrir votre réflexion sur la place de l’automobile dans nos vies, sur la manière dont elle a transfiguré les villes au fil du temps et sur la suprématie qu’elle exerce aujourd’hui, alors cet ouvrage est pour vous.

Une fois de plus, et plus que jamais, un recul historique s’impose. L’auteur consacre plusieurs pages à raconter comment l’automobile est apparue au début du XXe siècle et comment elle s’est imposée. Mais surtout, on nous dit comment elle a changé le caractère des villes. « La ville appartient à l’automobile : et pourtant elle n’a ni l’espace ni la dimension pour l’accueillir. L’automobile mange tout l’espace qu’elle trouve. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Plusieurs voitures électriques en recharge, rue Saint-Antoine, à Montréal

Même si des efforts considérables sont faits pour réhumaniser les villes (Montréal en est un bon exemple), force est d’admettre que la plupart des grandes villes se définissent en fonction de l’automobile, et non en fonction des pas que les résidants font tous les jours sur ses trottoirs, dans ses rues et ses espaces publics.

Avant d’aller plus loin, voici quelques chiffres. Le nombre d’automobiles en circulation au Québec est en baisse depuis 2010. Nous sommes passés de 3 015 902 véhicules à 2 776 988 en 2019. C’est une diminution de 8 %.

Mais avant de sortir vos pompons faits avec du papier recyclé pour crier victoire, il faut savoir qu’il y a un hic. Et ce hic, c’est la forte progression des camions légers, les fameux VUS. Ceux-ci sont passés de 816 997 en 2000 à 2 059 359 en 2019. C’est une augmentation de 152 %.

Si on combine les automobiles et les camions légers, cela donne un total de 4 836 544 véhicules en circulation en 2019 au Québec. Le parc de véhicules augmente d’environ 1 % par année au Québec.

Ces chiffres inquiétants sont cachés par d’autres qui disent que le nombre de véhicules électriques monte sans cesse. À cela s’ajoute l’annonce de l’interdiction imminente de la vente d’automobiles à essence et les objectifs de réduction des gaz à effet de serre que se fixent invariablement les pays, les provinces et les villes.

Cela nous permet de chanter en chœur Tout va très bien, madame la marquise alors que nous roulons en direction du chalet.

« Avec le marché de l’automobile électrique, on assiste à une nouvelle étape de la production et de la consommation des voitures individuelles », écrit Olivier Ducharme. Bref, en créant de nouveaux parcs de voitures, on augmente l’empreinte écologique qu’ils laissent et on grossit les cimetières où l’on entasse les carcasses de véhicules.

L’auteur n’est pas tendre avec les partisans du développement durable, de la mobilité durable, des transports durables et de tout ce qui est durable. « Ils agissent comme s’ils venaient de découvrir une source d’énergie renouvelable à l’infini, sans impact environnemental et sans gaspillage des ressources naturelles. »

Olivier Ducharme nous dit, en fait, qu’il faut voir plus loin que le bout de notre nez et arrêter de nous cacher derrière la notion d’une économie fondée sur la croissance infinie. Selon lui, cette pensée est vouée à l’échec. Rien de moins. « L’automobile est du capitalisme roulant et l’automobile électrique est le modèle du capitalisme vert. »

Vous aurez compris que, pour l’auteur, le nerf de la guerre, c’est le capitalisme.

« Une expression doit être bannie de notre vocabulaire : zéro émission, écrit-il plus loin. Elle porte à confusion, faisant croire qu’il existe un véhicule capable de rouler sans consommer aucune énergie et sans dépenser aucune ressource naturelle […]. Dire que [d]es véhicules électriques n’émerge aucun polluant, c’est soit être de mauvaise foi soit se cacher la vérité sur les conditions qui permettent à un véhicule électrique de rouler. »

Si les Québécois veulent adopter en masse la voiture électrique, ils doivent être conscients de l’incidence que cela aura sur l’industrie de l’hydroélectricité, sur l’exploitation des rivières, sur l’environnement, etc. Visiblement, l’auteur a vu la pièce J’aime Hydro, de Christine Beaulieu.

Pour Olivier Ducharme, la promotion de la voiture électrique cache quelque chose de sournois, voire d’hypocrite. « En dédouanant le conducteur et la conductrice de toute conscience environnementale et en faisant de l’automobile un modèle de technologie verte, on ne fait qu’inciter les Québécois et Québécoises à utiliser davantage leur automobile. »

Bref, Olivier Ducharme nous dit que les villes doivent se passer des véhicules, qu’ils soient à essence ou électriques. Il en fait admirablement bien la démonstration. Il martèle que les résidants des villes doivent se tourner vers les transports collectifs.

Jusque-là, tout va.

Mais, et c’est la faiblesse de ce livre, il omet d’inclure la réalité des banlieues et des régions éloignées. Il oublie de parler des longs déplacements essentiels ou d’agrément que nous faisons tous. On ne vit quand même pas emprisonnés dans les villes.

Qu’est-ce qu’on fait, pour remédier à cela ?

En attendant de réfléchir à cette autre réalité, la lecture de cet essai m’apparaît incontournable. Alors que nos véhicules ont droit à une pause forcée à cause du confinement et du couvre-feu, l’occasion est belle de plonger dans cette réflexion.

IMAGE FOURNIE PAR ÉCOSOCIÉTÉ

Ville contre automobiles, d’Olivier Ducharme

Ville contre automobiles
Olivier Ducharme
Écosociété