En précisant que les nouveaux mécanismes de contrôle pour les voyageurs commenceront le 22 février, le premier ministre Justin Trudeau a répondu à l’un des griefs des Québécois qui se trouvaient à l’étranger lors de l’annonce de ces mesures, il y a deux semaines : le flou et l’imprécision des politiques fédérales.

Parmi les Québécois qui se sont rendus à l’étranger et qui se sont confiés à La Presse, certains ont précipité leur retour de peur d’être forcés à une quarantaine à l’hôtel dont ils ne connaissaient pas la date de mise en vigueur. D’autres ont choisi de ne pas rentrer au Canada pour ne pas avoir à payer les 2000 $ exigés pour le séjour hôtelier obligatoire de trois jours.

Si tous ceux et celles à qui La Presse a parlé reconnaissent le bien-fondé de mesures de contrôle aux frontières, ils ont néanmoins deux motifs d’agacement. D’abord, le caractère arbitraire d’un changement des règles du jeu en cours de route qui pénalise ceux qui avaient quitté le pays avant leur annonce. Ensuite, le niveau prohibitif de la somme de 2000 $ par personne qui sera exigée pour trois jours à l’hôtel.

« On ne peut pas changer les règles à la troisième période »

Avant de partir rejoindre sa copine en France, le 16 janvier, Bernard Ross a suivi les règles. Il a obtenu une autorisation dérogatoire du consulat de France, parce qu’il a une relation amoureuse avec une Française, et subi un test de dépistage de la COVID-19. Puis, les règles ont changé…

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Bernard Ross est de retour d’un voyage en France, où il est allé voir sa copine.

Les règles, il faut les établir au début de la partie, pas dans le milieu du match. Quand on connaît les conditions au départ, on peut prendre une décision en conséquence. Là, le problème avec la mesure, c’est qu’il n’y a rien de précis. On dirait qu’ils font ça pour faire peur au monde.

Bernard Ross

M. Ross, 66 ans, devait revenir le 7 février. Mais il a devancé son retour de quatre jours après avoir entendu le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, dire que l’obligation pour tous les voyageurs de passer trois jours à l’hôtel en rentrant au Canada pourrait commencer le 4 février.

Retournera-t-il en France ? « Pas tant qu’il va y avoir la quarantaine à 2000 $. C’est totalement exagéré. »

« Je ne suis pas partie en vacances »

En apprenant que son père avait été hospitalisé à la suite d’un infarctus, Delphine a acheté un billet d’avion pour Paris et s’est envolée le 13 décembre vers son pays d’origine.

Son père a souffert de complications et est mort le 9 janvier. Ce drame l’a obligée à prolonger son séjour pour assister à l’enterrement, qui a eu lieu le 20 janvier. Elle a donc reporté son vol au début de février.

Entre-temps, le gouvernement fédéral a durci les mesures destinées aux voyageurs canadiens de retour de l’étranger par avion.

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Delphine est en quarantaine depuis qu’elle est revenue d’un voyage en France pour voir son père, gravement malade.

Les 2000 $, ça m’a stressée. Ça me mettait en colère, en fait. Depuis le 24 décembre, moi qui suis coiffeuse, je n’aurais pas pu travailler. Je n’ai eu aucun soutien parce que je suis allée en France faire ce qu’il faut là-bas, soutenir ma famille et voir mon père.

Delphine, 39 ans

Delphine insiste : « Je ne suis pas partie en vacances. Je n’ai même pas fait de câlins à ma famille. Je faisais très attention. Je comprends la mesure des 2000 $, mais pas qu’elle soit aussi radicale et aussi précipitée. On ne peut pas changer les règles de cette manière-là, en disant : c’est comme ça et ce n’est pas autrement. »

« Ça commence à être du vol »

Marc Tardif n’a rien contre le resserrement des restrictions pour les voyageurs, mais il trouve que 2000 $ pour un court séjour à l’hôtel, c’est franchement « exorbitant ».

« Dans ma tête, en haut de 1500 $ pour deux, ça commence à être du vol, lance l’homme de 59 ans. Normalement, je suis un individu qui respecte les règles. Mais si on me demande 4000 $ pour aller passer trois jours à l’hôtel avec ma conjointe, je peux vous dire que je vais passer par la route ! Là, je vais pouvoir faire ma quarantaine chez moi. »

Nous l’avons joint à Mission, au Texas, où il passe l’hiver avec sa conjointe dans une « petite maison mobile ».

PHOTO FOURNIE PAR MARC TARDIF

Marc Tardif est à Mission, au Texas, où il passe l’hiver avec sa conjointe.

Je ne suis pas naïf. Je ne pense pas que tous les voyageurs respectent à la lettre la quarantaine. Ça devient donc très important de faire passer des tests.

Marc Tardif

Mais plutôt que d’imposer un séjour de trois jours à l’hôtel de 2000 $, M. Tardif se demande pourquoi le gouvernement ne fait pas subir aux voyageurs un test de dépistage rapide à l’aéroport. Il parle en connaissance de cause. Technicien en télécommunications, il travaille depuis six ans dans le secteur minier, réputé pour ses mesures de contrôle extrêmement rigoureuses.

« Nous, c’est ça qu’on fait, dit-il. On arrive le matin, à Mirabel. On fait le test et on attend trois, quatre heures pour avoir le résultat. »

« C’est la cerise sur le sundae »

À 64 ans, Lucie Roy vient de prendre sa retraite. Elle prévoyait passer trois mois au Mexique, du 7 janvier au 27 mars, dans un appartement loué. Mais son aventure a tourné court au bout d’un mois.

PHOTO PATRICK WOODBURY, LA PRESSE

Lucie Roy est en quarantaine chez elle, à Gatineau.

Air Transat a d’abord annoncé la suspension de ses vols vers Puerto Vallarta, où elle se trouvait. Puis, le lendemain, c’était au tour d’Air Canada. « Ce qui a beaucoup influencé ma décision de revenir, c’est quand le Mexique a décidé de suspendre tous les vols à destination du Canada, en réponse à ce que le Canada venait de faire. Aeromexico, c’était mon plan B », explique-t-elle.

La décision d’Ottawa de serrer la vis aux voyageurs qui entrent au Canada a été prise, selon elle, « sur le bout d’une table à la va-vite, en totale incohérence ».

Mme Roy déplore que les nouvelles restrictions imposées aux personnes qui reviennent au pays par avion plutôt que par la route soient très grandes. « C’est une incohérence ahurissante, note-t-elle. Ça, c’est la cerise sur le sundae. Je trouve qu’on a été traités de façon très cavalière par les autorités gouvernementales. »

« Où est la logique dans tout ça ? »

Alex Bussières a raté son vol au départ de Chicago pour une affaire de 19 minutes, le 26 janvier.

Trois jours avant le départ, l’athlète de 26 ans, entraîneur du développement au Club d’athlétisme de l’Université Laval, s’était rendu à New Smyrna Beach, en Floride, pour subir un test de dépistage, en prévision de son retour, après un mois en Floride dans un camp d’entraînement.

Il a pu décoller d’Orlando avec la preuve écrite d’un résultat négatif. Mais à Chicago, où il avait une correspondance, l’agente d’Air Canada a refusé de le laisser monter à bord. La raison : son test de dépistage devait avoir été fait 72 heures avant l’heure de départ prévue de l’avion. Or, il avait été fait le 23 janvier à 14 h 56. Le vol au départ de Chicago vers Montréal était à 15 h 15. Un écart de 19 minutes…

Ces 19 minutes lui ont coûté cher : 500 $ US pour un nouveau test de COVID-19 et deux nuits dans un appartement loué sur Airbnb. Mais ç’aurait pu être pire. Sans l’intervention de Travelers Aid Chicago, programme qui vient en aide aux voyageurs, Air Canada aurait exigé qu’il achète un nouveau billet.

« C’est correct dans un sens », dit-il, en parlant des nouvelles mesures imposées aux voyageurs. « Il faut limiter les voyages non essentiels. Mais le fait que les programmes sport-études et les concentrations des écoles secondaires puissent utiliser les infrastructures sportives, mais que les étudiants-athlètes universitaires n’y soient pas autorisés est un non-sens. Où est la logique dans tout ça ? »

L’un de ses coéquipiers, Olivier, a décidé de rester aux États-Unis. Il se trouve à Flagstaff, ville du nord de l’Arizona, où il s’entraîne en altitude.

« À la place de payer 2000 $ pour trois jours à l’hôtel, je vais rester ici, dit l’étudiant de 20 ans. Je comprends les mesures prises au Canada avec les nouveaux variants et tout ça. Mais, en même temps, le monde continue de tourner et, en sortant de la pandémie, ceux qui ont continué à s’entraîner vont juste être meilleurs que moi. »