Du temps pour niaiser, le Conseil du trésor en a beaucoup, depuis le début des négociations avec les enseignants.

Elles traînent depuis novembre 2019. Plus d’une année à prolonger le déplaisir. Pour paraphraser François Pérusse : « On est rendus au milieu de la 13e manche, Rodger, et ça semble interminable… »

Les enseignants sont à bout de nerfs et je les comprends. Ce mauvais suspense ne sert personne, à part l’industrie de la négociation.

J’hésite habituellement à commenter les négos. Comme journaliste, je ne suis pas à la table et je ne comprends pas le débat technique. Chacun semble avoir des arguments valides, et il est difficile de les démêler.

Mais cette fois, c’est différent. Ce qui est en cause, c’est la parole de la Coalition avenir Québec (CAQ) et la valorisation du métier d’enseignant.

Dans l’opposition, la CAQ s’inquiétait de la pénurie de profs et de leurs conditions de travail difficiles. Elle promettait d’éliminer les six premiers échelons salariaux. Dès la première année de travail, le salaire serait passé à plus de 53 000 $.

Or, cette promesse a été rompue. L’offre patronale est de 4000 $ de moins que prévu.

En campagne, la CAQ s’engageait aussi à établir un ratio maximal d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage. Les syndicats le réclament à leur tour. La réponse des négociateurs : niet.

Vrai, cela exigerait plus de locaux et d’enseignants alors qu’il en manque. Mais pourquoi l’avoir promis alors ? Et si la mesure est inapplicable, pourquoi ne pas trouver une autre façon d’alléger leur tâche ? Parce qu’au-delà des tactiques de négociations, un fait est indéniable : les jeunes en difficulté deviennent plus nombreux. Cela alourdit le travail des enseignants, et des élèves en souffrent.

L’enjeu dépasse le conflit syndical-patronal. Il porte sur la qualité de l’enseignement.

Je ne dis pas que les syndicats ont raison sur toute la ligne. J’avance que les conditions de travail des profs doivent être vite améliorées.

Car tant qu’ils seront épuisés, tant que beaucoup d’entre eux songeront à quitter le métier, le Québec en payera le prix.

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Les négociations avec le secteur public ressemblent à un mauvais western. Les vis-à-vis se défient du regard au loin. Ils savent qu’ils finiront par trouver un terrain d’entente à mi-chemin. Mais ils s’y rendent en se traînant les pieds, les mains dans les poches, en jouant les durs.

Et cette fois, c’est pire. On dirait que la machine à négociations a pris le contrôle. Elle revient avec des demandes qui, pour la plupart, avaient été présentées il y a cinq ans sous le gouvernement libéral. Elle oublie qu’elle est au service d’un gouvernement élu avec un programme différent.

Autre exemple du blocage : les enseignants réclament de la latitude pour organiser leur travail hors de la classe, tandis que les négociateurs veulent leur en enlever. Or, la CAQ avait promis de leur redonner de l’autonomie.

En mars, au début de la pandémie, François Legault réclamait un blitz de négociation. Il voulait que le conflit se règle avant le difficile retour en classe en pleine crise sanitaire.

On croyait que le message avait été entendu. Après tout, il est premier ministre… Mais le dossier a avancé à son habituelle vitesse géologique.

Pendant ce temps, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, passe de mauvais moments. Il est à la remorque de la Santé publique, qui lui dicte les mesures sanitaires à appliquer. Et il est à la merci du Conseil du trésor, qui gère les négociations.

Les mains attachées derrière le dos, il ressemble à une piñata format géant. Alors que sa collègue Sonia LeBel, présidente du Conseil du trésor, s’en tire étonnamment bien.

Bien sûr, même si les négos étaient réglées demain, les enseignants auraient encore plusieurs choses à reprocher à M. Roberge. Mais l’air serait un peu assaini pour recommencer à parler de réussite scolaire.

L’opposition veut créer un sommet pour en débattre, mais la collaboration avec les professeurs sera pénible. La Fédération des syndicats de l’enseignement a obtenu un mandat de grève, et la Fédération autonome de l’enseignement pourrait l’imiter.

Ce n’est pas un climat serein pour enseigner durant la deuxième vague. Déjà que la COVID-19 fragilise la santé mentale de tout le monde…

Il y a quelques jours, Mme LeBel a repris le contrôle. Elle va créer une table restreinte. Il y aura moins de négociateurs pour la partie patronale. Les gestionnaires des centres de services scolaires seront relégués aux banquettes.

Ils ragent d’être tassés vers la fin de la partie. Mais en fait, la prolongation a commencé il y a plusieurs mois sans que rien se passe. Les habitués diront que cela n’a rien d’inusité. Je sais, c’est ainsi que les choses se sont toujours déroulées. Et c’est justement le problème.

Il fallait que quelqu’un ouvre les lumières et remette la balle en jeu.

Tant mieux si les gens sortent de leur coma. Maintenant, parlez-vous. Ça presse.