« On ne veut pas jouer à la police. » Au bout du fil, Christine Aubin insiste : son but premier est de sensibiliser les motoneigistes. « Je n’irai pas m’asseoir et les avertir les uns après les autres ! »
Avec son conjoint, Rémi Daignault, elle exploite une ferme laitière de 200 vaches située en plein cœur du village de Saint-Mathias-sur-Richelieu, en Montérégie.
À l’instar de nombreux agriculteurs, elle accorde un droit de passage sur ses terres au club de motoneige de la région. Au Québec, la moitié des 33 000 kilomètres de sentiers de motoneige traversent des terres agricoles privées.
C’est vraiment juste pour faire plaisir et pour garder une belle relation avec les résidants. D’emblée, juste le sentier, ça nous cause des pertes, mais là, que les gens ne respectent pas les sentiers, c’est inacceptable.
Christine Aubin
Christine Aubin et Rémi Daignault affirment qu’il y a toujours eu quelques fautifs qui sortaient des pistes tracées pour s’aventurer dans la neige folle, mais avec la pandémie, le problème s’est beaucoup aggravé cette année. « On en a vu de toutes sortes », déplore Christine Aubin.
Le problème, c’est que lorsqu’il y a un redoux puis un gel, les traces dans la neige se transforment en glace, et les plantes meurent étouffées. Au printemps, rien n’y poussera. Il faudra semer de nouveau, retravailler le sol.
L’enjeu est à ce point préoccupant que l’Union des producteurs agricoles et la Fédération des clubs de motoneigistes du Québec ont fait une sortie commune sur le sujet, la semaine dernière.
« Malheureusement, même si la très grande majorité des motoneigistes pratiquent ce loisir de façon respectueuse et responsable, le nombre de comportements délinquants entache la pratique du sport. Selon nous, ces mauvais comportements mettent à risque les bonnes ententes de gré à gré que les clubs de motoneigistes ont avec les producteurs agricoles », a averti Réal Camiré, président de la Fédération des clubs de motoneigistes du Québec.
Dommages sérieux
Christine Aubin et Rémi Daignault racontent que certains piquent à travers leurs champs pour se rendre au sentier officiel, tandis que d’autres se promènent partout dans la neige folle à la recherche de sensations fortes ou roulent carrément à côté de la piste. « Donc, ça commence que le sentier mesure de 30 à 40 pi de large et ça finit qu’il en fait 80 parce que tout le monde passe à côté, car c’est plus beau que dans la piste », explique Rémi Daignault.
Alors que le Québec est en proie à des sécheresses et à des pénuries de foin historiques, ces parcelles perdues leur font mal au cœur.
Mais le comble, c’est quand des motoneiges ont roulé sur leur bande riveraine. Soucieux de l’environnement, Christine Aubin et Rémi Daignault ont aménagé l’été passé une bande riveraine au coût de 60 000 $ le long de la rivière des Hurons. Sous un soleil de plomb, ils ont planté des arbres et de petits arbustes.
Ça ne me mettra pas d’argent dans mes poches, ce projet-là. C’était pour l’environnement, carrément. On perd des superficies cultivables. Le fait que les gens ne prennent pas la peine de faire attention, c’est enrageant.
Rémi Daignault
Le président du Club de motoneige du centre de la Montérégie, Donald Viens, admet qu’il observe plus d’indiscipline chez une minorité de motoneigistes cette année. À preuve, il raconte que certains ont même déchiré des banderoles pour rouler sur la rivière Richelieu alors que la glace n’avait pas été vérifiée. « Pour moi, la COVID-19 a de quoi à voir là-dedans. Je ne sais pas si ç’a rendu le monde fou. »
Il a l’intention d’installer davantage de pancartes aux abords des champs. Il s’est rendu sur les lieux après notre appel. « On passe sur beaucoup de leurs terres. Donc, si un cultivateur décide qu’on ne passe plus, on serait quasiment obligés de fermer le club. Donc, on essaye de faire attention et on surveille ça ben gros. »
Trente secondes qui coûtent cher
Agriculteur de la relève à Bécancour, Benoit Pellerin a aussi subi des dommages importants dans sa jeune plantation de camerises. Pourtant, aucun sentier de motoneige ne longe sa terre agricole. Et l’endroit est délimité par 17 piquets de cèdre sur lesquels sont perchés des nichoirs à hirondelles.
Durant le week-end du 23 janvier, une motoneige a traversé 12 rangs de sa plantation, puis rebroussé chemin et retraversé les 12 rangs à un autre endroit.
La personne a dû rester environ 30 secondes dans mon champ, mais c’est un 30 secondes qui va me coûter cher.
Benoit Pellerin
Il estime qu’une cinquantaine de plants ont été touchés. « Scénario optimiste : les tiges sont cassées, mais les plants survivent. Je perds maximum 500 $ de production cette année, et ça rentre dans l’ordre l’année prochaine. Scénario pessimiste : les plants meurent. Les deux dernières années sont gaspillées, et je dois recommencer pour ces 50 plants-là. »
Il faut au moins deux ans avant qu’un camérisier produise des fruits. Benoit Pellerin en sera à la troisième année, l’été prochain. « Cette année, elle est importante pour moi parce que ça fait deux ans que je soutiens des dépenses d’implantation sans avoir de revenus », a-t-il ajouté en entrevue.
Le jeune producteur agricole témoigne lui aussi dans le but de sensibiliser les motoneigistes.
« J’ose croire que les gens sont bien intentionnés, mais ne réalisent juste pas l'ampleur des conséquences de leurs actes. Motoneigistes, s’il vous plaît, restez dans les sentiers ou restez chez vous et, si vous voulez faire autrement, demandez minimalement la permission avant. »