Deux jours plus tard, le chef de la police de Montréal a finalement déclaré Mamadi III Fara Camara innocent. Le scientifique « n’a rien à se reprocher » dans la tentative de meurtre contre le policier Sanjay Vig. Le chef Sylvain Caron lui a donc présenté des excuses publiques pour « les inconvénients ».

Six jours en prison pour un innocent, c’est plus qu’un inconvénient. C’est une injustice.

Mais ne minimisons pas pour autant ce qui est arrivé vendredi. Même si c’était « la bonne chose à faire », ce genre d’excuses n’arrive pratiquement jamais. La police peut dire qu’elle n’a aucune preuve. Ou pas assez de preuves contre quelqu’un. Elle ne décerne pas de certificats d’innocence. Ce n’est pas son travail, ce n’est pas son esprit. Elle est là pour résoudre des crimes, et il y avait un crime grave à résoudre.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Mamadi III Fara Camara, accompagné de ses proches, à sa sortie de la salle d'audience, au palais de justice de Montréal, mercredi

Sauf qu’aujourd’hui, M. Camara n’est pas seulement une personne contre qui on n’a aucune preuve pour le moment, comme vous et moi : il est officiellement innocent, preuve d’ADN, vidéo et témoignages à l’appui.

C’est dire s’il en faut, pour obtenir des excuses.

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Quand une « erreur » se produit, les troupes policières serrent les rangs. C’est normal. On risque sa vie, dans ce métier. La preuve : Sanjay Vig a failli être tué dans l’exercice de ses fonctions, à coups de barre de fer et de pistolet.

Alors, quand, de l’extérieur, on critique, on résiste, ça ne passe pas. Quand des politiciens osent exprimer leur indignation, ça devient de « l’ingérence politique », comme a dit à la mairesse Valérie Plante le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, Yves Francœur.

Peut-être les mots de la mairesse n’ont-ils pas été parfaitement pesés. Peut-être a-t-elle parlé trop vite. Mais elle a dit l’essentiel : un innocent a été emprisonné à tort, et il faut comprendre pourquoi. L’ingérence, la vraie, c’est quand le politique dicte sa façon de procéder à un corps de police, lui dit sur qui enquêter ou ne pas enquêter.

Émettre des opinons hâtives sur ce qui est au moins une gaffe policière objective, c’est peut-être maladroit, mais ce n’est pas de l’ingérence. Soutenir le travail des policiers n’empêche pas de dénoncer les bavures.

Je comprends : un président de syndicat est là pour défendre ses membres. Mais ce même président de syndicat s’est distingué particulièrement en attaquant toutes les instances politiques qui étaient sur son chemin au fil des ans.

Quand le gouvernement libéral a décrété que les policiers allaient payer un peu plus pour leur régime de retraite, il ne s’est pas gêné pour attaquer deux ministres, allant jusqu’à dire qu’ils avaient partie liée avec la mafia (rien que ça !) et devraient être accusés au criminel. Quand la Sûreté du Québec a dégonflé ses fausses allégations, le maire de Québec, Régis Labeaume, l’a traité officiellement de menteur et appelé à sa démission – sans succès, comme on le voit. M. Francœur ne s’est pas excusé pour cela. Ni pour les pantalons « de clown » portés par les troupes le jour des funérailles officielles de Jacques Parizeau.

C’est le même Yves Francœur qui, dans une rencontre privée avec l’ex-maire de Montréal Denis Coderre, a sorti de sa poche un constat d’infraction du maire pour excès de vitesse à Laval (que M. Coderre avait payé). Le maire y a vu ce que c’était : de l’intimidation. Le président du syndicat a reconnu les faits, mais a dit que c’était uniquement pour montrer l’exaspération des troupes – et la solidarité au-delà des limites de la municipalité. Dans sa lutte syndicale, Yves Francœur a attaqué Denis Coderre de toutes sortes de manières, souvent par médias interposés.

Bref, ce syndicat puissant, qui a joué parfois un jeu politique pas très propre, n’est pas super bien placé pour dénoncer une apparence d’ingérence aussi minime.

N’attendons pas non plus d’expression de sympathie de la Fraternité envers M. Camara. Pourtant, qu’est-ce que ça coûte ? Même quand on fait une erreur de bonne foi, en en voyant les conséquences, on a le droit de dire : désolé, monsieur…

Oubliez ça. Une mentalité d’assiégés, l’impression d’être incompris, traités injustement… C’est ce qui domine, apparemment.

Ça ne veut pas dire que le député de Papineau et premier ministre du Canada, par ailleurs, a eu une bonne idée en disant que l’incident est la « preuve » du racisme systémique qui afflige toutes les institutions, en particulier la police. C’est ce qu’on appelle une conclusion rapide pour un chef de gouvernement hors compétence.

Dans la foulée, si les policiers demandent aux politiciens de ne pas tirer de conclusions hâtives dans une affaire encore pleine de confusion, faudrait aussi arrêter de capoter parce qu’on soulève la question raciale. C’est une question légitime dans les circonstances.

Je ne parle pas du moment de l’arrestation, puisque le policier victime a identifié M. Camara et qu’il était sur les lieux du crime. De même, on voit mal le Directeur des poursuites criminelles et pénales refuser d’autoriser une dénonciation criminelle dans une situation d’urgence pour un crime aussi grave où la victime pense reconnaître son agresseur.

Les questions se posent sur les jours qui suivent, quand la preuve se désagrège.

Sur le temps qu’il a fallu pour démêler tout ça. Pour finalement croire un peu le suspect. Analyser et réanalyser les bandes vidéo. Les autres éléments de preuve. Qu’a dit M. Camara aux policiers, au fait ? Tout cela est encore nébuleux.

Quand un homme noir au-dessus de tout soupçon est emprisonné pendant six jours et libéré sans autre explication officielle (car l’affaire de la vidéo a été révélée par les médias, pas par la police), qu’on ne se scandalise pas de voir la question raciale au moins posée. L’histoire des erreurs judiciaires est pleine de policiers « de bonne foi », mais aussi de gens « différents » qu’on refusait de croire, ou moins, soit parce qu’ils avaient mauvaise réputation, soit parce qu’ils étaient marginaux, mais souvent, aussi, parce qu’ils appartenaient à une minorité. Ça aussi, ça doit être entendu.

Peut-être qu’au bout du compte, on conclura à un triste concours de circonstances où tout le monde a fait de son mieux. Qui n’a rien à voir avec les préjugés conscients ou inconscients. Une histoire sur un million qui aurait pu arriver à « n’importe qui ». On verra.

Ça n’en est pas moins inquiétant de savoir qu’il a fallu une preuve vidéo indépendante pour faire arrêter l’engrenage judiciaire.

Les erreurs judiciaires arrivent généralement « innocemment », je veux dire : avec la sincère volonté de résoudre un crime par des policiers honnêtes.

J’en reviens donc à ce que je disais l’autre jour : la mécanique des erreurs. S’il y a une bonne chose à tirer de cette affaire, c’est l’indignation générale qu’elle a suscitée. M. Camara a payé de sa liberté pour nous rappeler que « ces choses-là » arrivent dans la vraie vie.

Les exigences qui entourent l’exercice périlleux de juger un être humain, de le priver de sa liberté, ce ne sont pas des caprices d’avocats. Mais une nécessité.