Qui décide de la planification des transports collectifs dans le Grand Montréal ? De plus en plus, la Caisse de dépôt et placement prend le contrôle.

Les élus ne peuvent pas s’en plaindre. Ce pouvoir, ils l’ont délégué, et cela les sert très bien.

Après la première phase du Réseau express métropolitain (REM), la Caisse planifie maintenant un tronçon vers l’est et le nord de Montréal, et étude la faisabilité d’ajouts à Laval et à Longueuil.

Bien sûr, le gouvernement caquiste a le dernier mot. Il a donné la commande et il devra approuver le projet.

Mais il se libère du boulot difficile. Il n’a plus besoin de le concevoir, de le construire et de le financer autant. Cela réduit la dette. Et cela lui épargne aussi des critiques.

Même si elle espère que ses projets soient rassembleurs, la Caisse n’a pas peur de déplaire, comme on l’a vu en 2017 face au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.

Elle est devenue le bad cop utile, celui qui fait le travail corsé. Et elle le fait sans retard ou presque. Un petit miracle, quand on compare ce délai aux quatre décennies qui ont passé depuis l’annonce officielle du prolongement de la ligne bleue du métro vers Anjou.

À ceux qui se plaignent, je l’imagine répliquer : vous pensez vraiment que c’était mieux avant ?

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Reste que ce n’était pas censé être ainsi.

En 2016, Québec a créé l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM). Le but : dépolitiser la planification. Les experts de l’Autorité devaient désormais trouver les solutions optimales pour déplacer les usagers et décongestionner les routes. C’est le modèle retenu à Toronto (Metrolinx) et à Vancouver (TransLink).

Selon la loi, l’ARTM a « la compétence exclusive pour établir un plan stratégique de développement du transport collectif » dans la Communauté métropolitaine de Montréal. On voulait éviter des gâchis comme le coûteux et impopulaire train de l’Est, ou des projets brouillons comme la ligne rose de Valérie Plante.

Avec le recul, c’était naïf. Le tiers du conseil d’administration de l’ARTM est composé de maires du Grand Montréal. Elle reproduit donc à l’interne les conflits. Chacun y pousse ses projets, et l’Autorité n’ose pas encore dire lequel mettre en priorité.

Elle vient de terminer les consultations de son plan de développement. Le rapport définitif doit être soumis bientôt à Québec. Or, le gouvernement caquiste a déjà tranché.

Lorsqu’elle était dans l’opposition, la Coalition avenir Québec (CAQ) avait développé un plan de décongestion, avec des voies réservées et des ajouts au REM.

Depuis son élection, M. Legault n’attend pas la recommandation de l’ARTM. Il demande à la Caisse de concrétiser ses promesses.

L’ARTM n’a pas beaucoup d’autorité, à part dans son nom. François Legault fait comme si elle n’existait pas.

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En creusant un peu, on se rend compte toutefois que le conflit est moins grand qu’il n’y paraît.

Pour la planification, la Caisse poursuit le travail déjà entamé dans des secteurs mal desservis. Le problème vient de la façon de les réaliser. Quand le train de la Caisse se met en marche, il paraît impossible à arrêter.

Les nouveaux projets de REM ne viennent pas de nulle part.

Le tracé vers l’Est reprend une partie du secteur que Valérie Plante voulait desservir avec sa ligne rose.

À Laval, la réflexion était déjà aussi amorcée. Les maires de Laval et de la couronne nord avaient convenu au printemps 2018 d’un plan de décongestion, qui inclurait un réseau structurant. Il se rabattrait au secteur ouest de la ligne orange, ce qui désengorgerait les trajets partant de la station Montmorency. Les Montréalais en profiteraient donc aussi.

À Longueuil, deux bureaux de projets avaient été lancés pour le boulevard Taschereau et la ligne jaune du métro. La CAQ les a fusionnés en un projet et a demandé à la Caisse de dépôt de faire le travail.

Ces axes étaient aussi déjà étudiés par l’Autorité. Et elle collabore avec la Caisse.

On ne peut donc pas dire que Québec et la Caisse de dépôt font table rase du travail passé et que l’ARTM ne sert à rien. Ils complètent ce qui était déjà en chantier. Mais ils avancent comme un bulldozer.

Rappelez-vous la première phase du REM. Aucun lien n’était prévu avec le métro. Sans pression du public, il n’y en aurait jamais eu.

La Caisse avait cédé, mais je me demande combien de fois elle le fera.

Pour le REM vers l’Est, la structure en hauteur menace de balafrer le centre-ville. Les présidents de l’Ordre des architectes du Québec et de l’Ordre des urbanistes du Québec, ainsi que 12 autres signataires, s’en sont inquiétés dans une lettre publiée dans nos écrans.

>(RE)LISEZ la lettre sur le projet du REM de l’Est

La Caisse soutient que le fait de construire au sol menacerait le projet. Elle entend le démontrer bientôt, mais pour l’instant, on est placé devant le fait accompli.

Certes, la Caisse a intérêt à ce que ses REM soient populaires. S’ils ne sont pas utilisés, ils ne seront pas payants. Et s’ils soulèvent la controverse, le modèle sera difficile à exporter.

Mais plusieurs questions restent sans réponse. Pour être rentable, le REM cannibaliserait-il la ligne verte du métro et le futur service rapide par bus du boulevard Pie-IX ? Et est-ce le meilleur mode ? La façon optimale de décongestionner les routes, de réduire les gaz à effet de serre et de déplacer les résidants ?

Les délais et les échecs passés en transports collectifs rendent les critiques timides. On se dit que le REM pourrait s’avérer formidable. Et que, de toute façon, entre un REM et rien, mieux vaut un REM. Mais le choix ne devrait pas être si binaire.