(Ottawa) Au moment où le gouvernement Trudeau envisage d’ajouter plus de groupes de droite à une liste noire du terrorisme, les opposants de longue date à ce processus exhortent les décideurs à trouver des moyens plus démocratiques et transparents pour lutter contre le néo-fascisme et le suprémacisme blanc.

Les groupes qui se retrouvent sur la liste d’entités terroristes, créée dans la foulée des attaques du 11 septembre 2001 aux États-Unis, peuvent voir leurs biens saisis. Et des sanctions criminelles graves sont également prévues pour avoir aidé des organisations inscrites à mener des activités extrémistes.

En 2019, le gouvernement fédéral a ajouté à la liste deux groupes extrémistes de droite : Blood & Honor, un réseau international néo-nazi, et sa branche armée, Combat 18. Ils ont rejoint plus de 50 autres organisations, dont Al-Qaïda, le groupe armé État islamique, Boko Haram et les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul.

À la suite de la prise d’assaut du Capitole à Washington par des extrémistes de droite au début du mois, plusieurs ont demandé au gouvernement d’y ajouter des groupes tels que les Proud Boys et The Base. Le ministère de la Sécurité publique dit qu’il rassemble des preuves dans ce but.

Les députés ont accru la pression en adoptant une motion à la Chambre des communes appelant le gouvernement à utiliser tous les outils disponibles pour lutter contre la prolifération des suprémacistes blancs et des groupes haineux, en commençant par la désignation immédiate des Proud Boys comme entité terroriste.

La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC), établie à Ottawa, estime qu’il est impératif que le gouvernement libéral prenne des mesures concrètes pour lutter contre la haine et la violence. Mais selon le groupe, la liste des entités terroristes est une disposition « profondément problématique » qui mine les principes fondamentaux de la justice.

Dans une longue déclaration, la coalition qui rassemble des dizaines d’organisations de la société civile a noté que le processus d’inscription fédérale se déroule en secret, sur la base des conseils des agences de sécurité.

Les groupes qui sont ajoutés ne sont pas informés à l’avance et n’ont pas la possibilité de répondre aux accusations portées contre eux. Ce n’est qu’une fois qu’un groupe est ajouté que la liste devient publique, et qu’ils sont en mesure de contester leur inscription.

La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC)

Même dans ce cas, un groupe n’a pas accès à toutes les informations utilisées contre lui, qui peuvent être retenues sur la base de plusieurs exceptions – dont pour des raisons de sécurité nationale – ce qui rend « incroyablement difficile » la mise en place d’une défense, a souligné la coalition.

Une défense difficile

L’avocat Yavar Hameed est allé en cour au nom de la branche canadienne de l’International Relief Fund for the Afflicted and Needy (IRFAN-Canada), qui venait d’être ajouté à la liste en 2014.

Le gouvernement affirme que de 2005 à 2009, le fonds a transféré des ressources d’une valeur de 14,6  millions à diverses organisations liées au Hamas.

Bien que le procureur général puisse autoriser des transactions spécifiques pour un groupe sur la liste, il a refusé de permettre à IRFAN-Canada de collecter des fonds pour payer les frais juridiques, selon M. Hameed.

« En fin de compte, cela a paralysé la capacité de l’organisme de bienfaisance à maintenir sa demande d’être radié de la liste et à contester la constitutionnalité des dispositions d’inscription elles-mêmes », a-t-il soutenu.

Cela signifiait également que tous les dons ont cessé, car contribuer à l’organisme de bienfaisance rendrait les donateurs passibles de poursuites, a ajouté M. Hameed.

« En conséquence, l’inscription a eu un effet dissuasif au sein des communautés musulmanes partout au Canada, car la menace de poursuites judiciaires a forcé les donateurs à se dissocier complètement de tout lien avec l’organisme de bienfaisance. »

Le chef néo-démocrate Jagmeet Singh, qui a été le fer de lance de la motion de la Chambre sur les groupes haineux blancs, a contesté l’idée que la liste terroriste puisse nuire aux minorités religieuses ou aux groupes racialisés.

Le racisme systémique signifie que les ressources policières ont été consacrées à des personnes qui ne causent aucun problème, tandis que d’autres qui constituent une menace ont été autorisées à agir en toute impunité, a-t-il expliqué lors d’un entretien.

M. Singh plaide pour un réalignement des « ressources limitées dont nous disposons, qui causent vraiment une menace à la sécurité, et ce sont les suprémacistes blancs et les groupes d’extrême droite. »

D’autres outils possibles

Selon M. Hameed, tout élargissement de la notion de sécurité nationale de manière à contourner fondamentalement l’équité procédurale et les garanties constitutionnelles de base est dangereux.

« En fin de compte, plus nous louangeons et nous insistons sur la nécessité d’inscrire des entités sous le Code criminel, plus le régime se renforce, a-t-il indiqué. Les critiques sont étouffées et la perception grandit que l’inscription est la réponse appropriée qui rendra les Canadiens plus en sécurité. »

C’est plus facile à dire qu’à faire, mais le Canada peut utiliser d’autres outils du Code criminel pour protéger la sécurité et lutter contre la violence organisée, selon la coalition.

« Nous avons besoin que les législateurs aient la volonté politique et le courage de consacrer les ressources nécessaires pour s’attaquer à ces groupes et lutter contre la violence et la haine en général », souligne-t-il.