La pandémie a creusé le fossé des inégalités sociales. Elle a aussi braqué les projecteurs sur les faiblesses de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. La présence de serres au cœur des quartiers urbains défavorisés de Montréal peut-elle aider ses habitants à surmonter les défis d’approvisionnement engendrés par la pandémie ?

C’est la question à laquelle un groupe de chercheurs de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) tentera de répondre, au cours de l’année, après avoir remporté un concours interne pour des projets de recherche portant sur la COVID-19. Doté d’une subvention de 100 000 $, c’est l’un des cinq projets retenus par l’INRS dans le cadre de ce programme spécial de financement.

« L’idée, c’est de ne pas mettre la charrue avant les bœufs », explique Nathan McClintock, professeur-chercheur agrégé au Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS.

« Souvent, les serres et les jardins communautaires sont proposés comme solutions dans les déserts alimentaires. Ce qu’on a vu dans la littérature scientifique qui traite des questions de sécurité alimentaire, c’est qu’en fait, l’accès aux aliments, ce n’est pas vraiment une question de proximité, c’est plutôt la question de si l’on a des sous en poche pour acheter les aliments. »

Les chercheurs se pencheront sur trois quartiers de Montréal. Ils interrogeront d’abord les résidants vivant près du quartier District central, l’ancien quartier du textile où existent déjà différents projets serricoles. Puis, direction parc Frédéric-Back, dans Saint-Michel, où un projet de serre est dans les cartons. Le dernier quartier se trouvera dans les environs de Montréal-Est, où plusieurs projets de serre sont sur la planche à dessin dans le cadre du plan de revitalisation de ce secteur industriel.

« Ceux qui vivaient déjà une certaine insécurité alimentaire sont ceux qui sont encore plus frappés par la pandémie », souligne M. McClintock, qui est aussi l’éditeur d’Urban Geography.

Boîte à outils

L’idée de ce projet de recherche est née de la volonté du gouvernement provincial de doubler la superficie des serres d’ici cinq ans afin d’accroître l’autonomie alimentaire du Québec.

Le but est de voir si des projets de serres communautaires ou d’économie sociale pourraient améliorer la sécurité alimentaire dans les quartiers urbains défavorisés, mais surtout, de déterminer la meilleure manière de les intégrer au tissu social.

« Il y a beaucoup d’exemples de ce genre de projets qui n’ont pas réussi parce qu’il n’y avait pas d’adhésion de la population. Finalement, c’était des gens de l’extérieur, des hipsters bien intentionnés qui voulaient sauver les gens. En fait, les gens se ferment parce qu’ils deviennent beaucoup moins réceptifs que si l’on arrive dès le début et on leur demande : “Qu’est-ce que vous voulez ? Quels sont les problèmes auxquels vous faites face sur le plan alimentaire ? Voici ce qui existe comme proposition : est-ce que c’est quelque chose qui vous intéresse ?” »

Nathan McClintock souligne que sans consultation des résidants, ces projets sont en danger de devenir « de petits îlots » d’embourgeoisement. « Les gens deviennent soupçonneux et ils se disent : finalement, ça, ce n’est pas un endroit pour moi. Ce n’est pas mon truc, je ne me sens pas à l’aise d’aller là-bas. »

À l’issue de la tenue de plusieurs groupes de discussion, les chercheurs réaliseront donc une boîte à outils pour guider les organismes communautaires et les villes qui souhaitent implanter des serres urbaines dans leurs quartiers. Comme le projet se veut multidisciplinaire, les différentes options techniques et énergétiques seront aussi détaillées dans le document.