J’ai 10 ans. Mes héros sont Batman, Tintin, Ulysse, Astérix, Thierry la Fronde, Sherlock Holmes, Columbo et Atomas, la fourmi atomique. Ce sont tous des bons qui se battent contre des méchants. Et qui gagnent. Ils sont droits, forts et honnêtes. Des exemples exemplaires.

Puis arrive au petit écran la série Arsène Lupin. Les aventures d’un gentleman-cambrioleur. Et pour la première fois, je tombe du côté des voleurs. Du méchant. Du gentil méchant.

Tout dans cette émission est charmant. À commencer par le comédien qui incarne Lupin, Georges Descrières. Élégant, pétillant, au sourire désarmant tant ses conquêtes que ceux qui le combattent. Et puis, il y a Paris, la France de la Belle Époque et des Années folles. Même la chanson thème est un succès, interprétée par le mauvais garçon du music-hall, Jacques Dutronc. Elle fut si acclamée que Dutronc en a chanté une deuxième en rappel. C’est à cause d’elles que l’on reste rivé sur le générique, pour ne pas en perdre une seule note. Et c’est en restant rivé sur le générique que j’apprends qu’Arsène Lupin, c’est avant tout un personnage de romans. Il me les faut ! Tous. Il y en a beaucoup. Près d’une vingtaine, sans compter les nouvelles.

Une bonne note dans le bulletin, une chambre bien rangée, un bobo à becquer, tout est prétexte à ce que je reçoive un Lupin en récompense. Je les dévore : Le bouchon de cristal, Les dents du tigre, L’île aux trente cercueils, Les huit coups de l’horloge, 813, La demoiselle aux yeux verts, Le triangle d’or

Mon préféré : L’aiguille creuse. La télé a fait de moi un lecteur compulsif. Ma mère est contente. Elle qui aime tant les livres. Notre maison est une longue bibliothèque.

Dans un livre, il n’y a pas de pubs, de raccourcis, d’ellipses. Tout est là. Dans notre tête. Ça se passe à notre rythme. Et la musique est le silence de la chambre. Le souffle de notre respiration. Et le bruit des pages que l’on tourne.

Le personnage de Lupin, imaginé par son auteur Maurice Leblanc, est captivant. C’est un érudit, un sportif, avec un côté anarchiste. Il maîtrise l’art du déguisement, à la Mission impossible, bernant tous les flics tentant de l’arrêter. Même Sherlock Holmes devenu Herlock Sholmès. Mes excuses à mon ancien héros, mais j’ai changé de camp. Ça se lit comme un roman policier, mais au fond, c’est un roman brigand. Qui traverse le temps.

La première aventure du gentleman-cambrioleur a été publiée en 1905, presque 70 ans plus tard, c’était à mon tour de le découvrir, comme si c’était une nouveauté. Et voilà que depuis une semaine, l’Arsène est toujours d’actualité. La série Lupin, dans l’ombre d’Arsène trône au sommet du palmarès Netflix pas seulement dans les pays francophones, mais aussi en Espagne et au Brésil. Même aux États-Unis.

PHOTO EMMANUEL GUIMIER, LA PRESSE CANADIENNE

Omar Sy incarne un voleur inspiré par le personnage d’Arsène Lupin dans la série Lupin, diffusée sur Netflix.

Lupin, c’est Lupin, sans être Lupin. Comment dirais-je ? C’est du Lupin réinventé. Ça se déroule aujourd’hui. Omar Sy joue le rôle d’un voyou des HLM marqué par la lecture des romans de Maurice Leblanc. Il décide de venger la mort de son père, poussé au suicide par de fausses accusations de vol, faites par les bourgeois chez qui il travaillait. Et il se venge à la Arsène Lupin. Une lutte des classes faite avec classe. Avec minutie et audace, aussi. En volant aux riches pour donner aux pauvres, lui compris. Nous sommes dans le pur divertissement. Lupin rencontre James Bond. Ça court, ça vole et ça revole. Même la pyramide du Louvre explose. Encore une fois, on prend pour le délinquant. Parce qu’il est tellement plus attachant que la loi et l’ordre. Comme dans La casa de papel, on veut que le malfaiteur réussisse son coup.

Omar Sy perce l’écran. Il est l’incarnation du gagne-petit. De tous ces gens que les puissants tiennent pour acquis. Que les puissants ne voient pas. Tant qu’à passer inaperçu, il décide de s’en servir, pour voler et s’envoler.

Ce qui est merveilleux avec cette réincarnation d’Arsène Lupin, c’est que des tas de gens vont découvrir le héros de Maurice Leblanc. Et ça va peut-être leur donner le goût de le lire. Comme moi, il y a longtemps. Cent seize ans plus tard, Arsène Lupin n’a pas fini de voler. De voler notre temps, pour nous donner, en échange, de la légèreté. On en a bien besoin, en ce moment.

Le couvre-feu passe plus vite, quand une série ou un livre nous allume. Avec Lupin, vous avez les deux. Profitez-en. Vous ne l’avez pas volé. Lupin non plus.