En 2019, l’Église française a invité les fidèles à dénoncer des agressions sexuelles dont ils auraient été victimes à une ligne téléphonique centrale. Plus de 6500 dénonciations ont été reçues en 18 mois. Cette approche pourrait-elle fonctionner ici ?

Un numéro central

La ligne téléphonique a été mise sur pied par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, créée en 2018 par les évêques et les religieux de France, pour recueillir les témoignages d’agressions sexuelles commises par des prêtres. La ligne était gérée par France Victimes, une ONG d’accompagnement des victimes d’actes criminels, et a permis de constater que seulement une agression sur sept a été dénoncée aux autorités. Le bilan publié en novembre dernier conclut que plus de 85 % des évènements sont survenus avant 1990 et que 30 % concernaient des enfants de moins de 10 ans.

À Québec aussi

L’archevêque de Montréal, Christian Lépine, n’a pas voulu commenter cette démarche. Mais celui de Québec, Gérald Cyprien Lacroix, a envoyé quelques commentaires à La Presse : « Comme plusieurs diocèses, l’Église catholique de Québec a constitué un comité indépendant pour traiter les allégations d’abus ou d’inconduite. Ce comité indépendant a ouvert une ligne d’assistance pour signaler toute situation, passée ou présente, d’abus sexuel ou faire part d’un témoignage à ce sujet : 581 316-2010. » Ce comité a été créé en 1990 et, depuis février dernier, comporte une ligne téléphonique directe. Jusqu’à 2018, une centaine de dénonciations avaient été rapportées, mais en 2018 et en 2019, il y a eu une trentaine de dénonciations, selon Valérie Roberge-Dion, responsable des communications au diocèse de Québec. « Peut-être suite à l’appel du pape François, aux invitations des évêques canadiens, au mouvement #metoo ? Il est pertinent de noter que des appels et courriels reçus, une faible proportion concerne effectivement des cas d’abus sexuels sur mineurs. Lorsque c’est le cas, ils réfèrent presque tous à des cas très anciens : les personnes tiennent à dénoncer avant la fin de leur vie. »

Un rapport et une enquête à Montréal

Un rapport diffusé en novembre de la juge à la retraite Pepita Capriolo sur un prêtre agresseur, Brian Boucher, proposait la création d’un « ombudsman » pour ce type de dénonciations. Ce genre de point de contact unique ressemble à une ligne réservée, selon Philippe Vaillancourt, du site Présence information religieuse. Mgr Lépine avait annoncé en 2019 une grande enquête sur les archives du diocèse. Mais la juge à la retraite Anne-Marie Trahan, qui devait diriger l’enquête, est morte quelques mois plus tard, et cette enquête n’est toujours pas commencée.

Portrait statistique

La ligne sur les agressions sexuelles cléricales en France ressemble davantage à une opération statistique qu’à une ouverture réelle envers les victimes, selon Thomas Reese, jésuite de l’Université de Santa Clara, en Californie, qui a dirigé le magazine jésuite America de 1998 à 2005. « Des lignes réservées comme ça, il y en a dans de nombreux diocèses aux États-Unis, dit le père Reese. On ne les ferme pas après 18 mois. Je dirais que ce projet français ressemble à une enquête du collège de criminologie John Jay en 2004 qui avait fait le portrait des abus par les prêtres. » Ce rapport américain avait conclu que 4 % des prêtres s’étaient rendus coupables d’agressions sexuelles et que 149 prêtres étaient multirécidivistes, responsables de 15 agressions chacun.

Trois départs surprenants

Philippe Vaillancourt, du média Présence information religieuse, trouve étrange le sort de trois hauts prélats fortement impliqués dans le cas de Brian Boucher, selon le rapport de la juge Capriolo. Thomas Dowd, évêque auxiliaire à Montréal depuis 2011, vient d’être nommé évêque de Sault Ste. Marie, et selon M. Vaillancourt, il a eu l’air contrit en commentant la nouvelle sur Twitter. François Sarrazin, longtemps chancelier du diocèse de Montréal, a démissionné quelques jours après la publication du rapport Capriolo, pour des raisons de santé. Et Anthony Mancini, longtemps évêque auxiliaire à Montréal et évêque de Halifax depuis 2007, a pris sa retraite inopinément en novembre. « Mancini avait 75 ans, l’âge canonique de la retraite, mais souvent, les évêques restent plusieurs années de plus en poste, dit M. Vaillancourt. Il avait été nommé pour régler des histoires d’abus sexuels dans le diocèse et avait joué un rôle important dans un rapport sur les abus sexuels dans les années 1990. » Gilles Routhier, théologien à l’Université Laval, estime que « la démission de Mancini peut être au moins indirectement liée à ce rapport. Ceci dit, d’autres facteurs étaient en jeu. Le nonce a essayé de régler quelques nominations avant son départ. » Le nonce apostolique Luigi Bonazzi, ambassadeur du Vatican au Canada, vient de partir pour prendre les mêmes fonctions en Albanie.