(Edmonton) Le mouvement visant à donner des noms autochtones à des lieux géographiques ou à des rues prend de l’ampleur au Canada. Ses sympathisants espèrent de cette façon effacer en partie le colonialisme dont ils ont été victimes.

Ainsi à Edmonton, le conseil municipal a voté au début de décembre un règlement visant à rebaptiser ses 12 districts électoraux — connus sous un simple chiffre — par des noms autochtones.

Un comité de femmes autochtones a choisi les noms parmi des mots provenant de neuf groupes différents : Cris, Dénés, Inuits, Pieds-noirs, Anishinaabe, Michif (Métis), Mohawk, Sioux et Papaschase.

Le comité a décidé très tôt de ne pas choisir des noms de personne. « Personne ne peut être placé au-dessus ou au-dessous des autres, plaide sa coprésidente Terri Suntjens. Nous ne mettons personne sur un piédestal. Ce n’est pas notre façon de faire. »

Par exemple, le district 2 portera sera nommé « Aniriq ». Ce mot signifie souffle de vie ou esprit en inuktun. Ce sont des Anciens qui ont recommandé ce nom afin d’honorer les Inuits morts de la tuberculose à Edmonton.

Au cours des années 1950 et 1960, environ un tiers des Inuits du Nord ont été infectés par cette maladie et la plupart ont été transportés dans le sud pour y être soignés. Beaucoup sont morts sans que leur famille en soit informée et ont été enterrés dans les cimetières de la ville.

Rob Houle, un écrivain et chercheur autochtone qui a également siégé au comité, dit que les commentaires ont été majoritairement positifs, même si des conseillers ont montré de la résistance.

Cette hostilité a incité le conseiller Aaron Paquette d’écrire sur Twitter : « Pour ceux qui pourraient s’inquiéter de prononcer les nouveaux noms de district potentiel, si nous pouvons prononcer Saskatchewan, nous pouvons prononcer n’importe quoi. »

En 2019, la rue Amherst à Montréal est devenue la rue Atateken, un mot mohawk signifiant « frère et sœur ». L’ancien toponyme faisait référence au général de l’armée britannique Jeffery Amherst qui a dirigé la conquête de Montréal en 1760 et envoyé des effectifs à Detroit pour mater le soulèvement autochtone de Pontiac en 1763.

La toponymie n’est pas le seul domaine où les Premières Nations souhaitent effacer les relents du passé.

Au cours du dernier été, des manifestants ont renversé une statue de John A. Macdonald au centre-ville de Montréal. Plusieurs reprochent au premier premier ministre du Canada un racisme envers les peuples autochtones.

À Halifax, un groupe comprenant l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse a recommandé le retrait d’une statue dédiée au fondateur de la ville, Edward Cornwallis. Il a aussi demandé qu’une rue et un parc nommés en son honneur soient rebaptisés.

Selon lui, saluer la mémoire de Cornwallis, un officier britannique accusé de génocide contre les peuples autochtones, est incompatible avec les valeurs actuelles.

En Colombie-Britannique, un projet visant à utiliser des noms autochtones pour certaines communautés le long de la Sunshine Coast a rencontré en mars une forte opposition.

Peter Robson, un président d’une association locale de résidents, dit que la population non autochtone n’a pas été consultée ni avertie des changements.

Il mentionne que l’endroit où il demeure, Madeira Park, une municipalité non constituée en corporation, devait être rebaptisé « Salalus » dans le cadre d’un accord entre la Colombie-Britannique et la Nation Sechelt en 2018.

« On ne peut nier que les peuples de la Nation [Sechelt] ont vécu ici avant les non-autochtones. Cependant, il y a aussi une histoire plus récente qui mérite également d’être reconnue », peut-on lire dans la lettre de protestation que M. Robson avait envoyée au gouvernement provincial.

En septembre, le nom raciste et misogyne d’un piton rocheux du mont Charles-Stewart, en Alberta, a été remplacé par Anu katha Ipa (sommet de l’Aigle à tête blanche).

Christina Gray, une avocate et une chercheuse du Yellowhead Institute, salue les nouveaux noms de district à Edmonton. Elle espère que d’autres juridictions emboîteront le pas.

« Cette année en particulier, nous avons assisté à un changement de perspective, particulièrement en ce qui concerne les figures problématiques de l’histoire du Canada, souligne Mme Gray. Cela change également dans plusieurs autres pays qui ont également subi le colonialisme et l’impérialisme. »