Dès le petit matin, samedi, ça hurlait. Le texte de La Presse a fait le tour du web : « Les voyageurs admissibles à une aide de 1000 $ d’Ottawa ».

Traduction : allez dans le Sud, ramassez 1000 $ au retour au pays pour rester chez vous en quarantaine, en vertu de la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique (PCMRE)…

Déjà que le public avait la mèche courte face aux Québécois qui ont choisi d’aller dans le Sud, ce 1000 $ potentiel à ceux qui en reviennent était la goutte de rhum qui a fait déborder le verre de mojito.

Permettez que je commence l’année 2021 dans la dissidence : je ne hurle pas devant cette nouvelle. Voici pourquoi.

Ça tient en trois mots : « réduction des méfaits ».

C’est un principe bien connu en matière de santé publique1. Une des applications les plus connues – et controversées – du principe de réduction des méfaits, c’est les sites d’injection supervisée. L’idée peut sembler immorale : l’État qui permet aux gens de s’injecter des drogues illégales, WTF 2 ?

C’est une stratégie de réduction des méfaits. Plutôt que de s’injecter des drogues avec des seringues souillées, dans des conditions sanitaires épouvantables, on permet à ces malades de s’injecter dans un environnement sécuritaire avec des seringues propres.

Si ces malades ne partagent pas de seringues sales, ils auront par exemple moins de chances de propager des virus comme celui de l’hépatite B, virus hautement contagieux… Qui peut finir par contaminer des gens qui ne sont pas eux-mêmes toxicomanes.

Les méfaits s’en trouvent donc réduits. Pas « éliminés », mais bien « réduits ».

Revenons à la fameuse Prestation canadienne de maladie pour la relance économique. C’est une aide fédérale destinée aux travailleurs qui doivent s’isoler, le temps d’une quarantaine.

L’idée est simple : réduire l’impact financier de la quarantaine. Créer un incitatif à rester chez soi. Sinon, si les gens doivent choisir entre ne pas risquer de propager le virus ou payer les factures, certains vont faire des choix qui mettent la société à risque.

Évidemment, la PCMRE n’est pas destinée aux voyageurs du Sud qui font la manchette ces jours-ci. Mais ceux-ci, s’ils y sont admissibles, y ont droit. C’est ce que La Presse révélait samedi.

Et c’est ce qui a déclenché des hurlements que je comprends parce que l’image est forte : tu vas dans le Sud (même si c’est légal, ça demeure contraire aux conseils de la Santé publique), et au retour, l’État va te payer pour rester chez toi… WTF !

* * *

Je précise à ce point de la chronique que j’ai écrit mon désaccord sur ces voyages d’agrément, il y a quelques jours3. Je pense aussi qu’Ottawa devrait fermer les frontières à ce type de voyage et (ou) imposer une quarantaine surveillée au retour, à la sud-coréenne, comme l’a expliqué la journaliste de Radio-Canada Anyck Béraud4, ce qui en aurait découragé beaucoup de partir.

Ça, ce serait une sacrée réduction des méfaits.

Le problème fondamental est qu’on puisse voyager pour le plaisir et revenir au pays sur la base d’une quarantaine qui ne sera à peu près pas surveillée.

Quand on sait le sacrifice qu’on s’impose depuis neuf mois, ce laxisme d’Ottawa ne résiste à aucune analyse.

Fin de la parenthèse.

* * *

Je disais des sites d’injection supervisée que c’est une idée qui paraît encore immorale à bien des gens. Mais au bout du compte, qu’elle soit morale ou pas, c’est une idée efficace de réduction des méfaits : elle contribue à réduire les multiples effets indésirables de la toxicomanie, pour le malade lui-même et pour la société en général.

Car si le toxicomane s’injecte avec une seringue propre, la chaîne de transmission de l’hépatite B a moins de chances de se rendre jusqu’à votre fille, jusqu’à votre ami, jusqu’à votre voisin qui, eux, ne sont pas toxicomanes…

Bref, moins de dommages pour le malade ; moins de dommages pour la société. Choix de société efficace.

Je vois sensiblement la même dynamique avec l’aide de 1000 $ donnée aux voyageurs du Sud qui pourraient en avoir besoin pour passer leur quarantaine.

Ça peut sembler immoral qu’Ottawa « récompense » un comportement à risque, celui d’être allé dans le Sud en voyage d’agrément. J’en conviens.

Mais personnellement, à ce point de la pandémie, je suis pour les « moins pires » options, quand il n’y en a pas de parfaites.

Je suis pour qu’on fasse tout ce qu’il faut pour réduire les méfaits de la pandémie, méfaits qui sèment de la souffrance individuelle et qui finissent par ajouter de la pression sur nos hôpitaux.

Pour moi, la question n’est pas de savoir si c’est « juste » ou « immoral » d’aider financièrement ces gens-là. La question, la question à 1000 $, est ailleurs…

Est-ce une aide efficace ?

Il y a deux choix de réponse à cette question :

A. On exclut ces voyageurs de toute aide, et on prend le risque qu’eux-mêmes prennent le risque d’aller travailler… et d’infecter des gens.

B. On leur permet de toucher l’aide de 1000 $ et, espérons-le, ils resteront chez eux… et le risque de contamination s’en trouvera réduit. Pas « éliminé », mais bien « réduit ».

Même si ça me heurte, même si je trouve ça exaspérant, même si je me bouche le nez en vous disant cela : dans mon cas, la réponse est claire, c’est B.

Je sais que beaucoup de lecteurs seront en désaccord avec moi. Je vois bien l’imposante chorale qui crie depuis samedi son désaccord face à cette aide de 1000 $ pour des gens qui n’auraient pas dû partir à l’étranger.

Je dis aujourd’hui que la prestation de 1000 $ aux travailleurs qui doivent se mettre en quarantaine est une idée efficace : la PCMRE vise à empêcher les gens de faire de mauvais deals avec leur conscience, mauvais deals qui nous mettent tous à risque…

Ça inclut ceux qui sont allés dans le Sud, malheureusement.

1. Consultez l’explication de l’approche de réduction des méfaits de l’INSPQ

2. L’expression WTF signifie : « What the fuck », comme dans « Ben, voyons donc ! ? »

3. (Re)lisez la chronique « Cher voyageur, chère voyageuse… »

4. Visionnez le reportage d’Anyck Béraud