Vacances au soleil, rénovations, succès… : les réseaux sociaux ont la réputation de nous faire sentir inadéquats en nous exposant aux meilleurs moments de la vie de nos amis. Or, les comparaisons sociales peuvent aussi avoir des effets positifs, explique Adrian Meier, professeur adjoint à l’Université d’Erlangen-Nuremberg, en Allemagne, et coauteur d’une nouvelle étude sur le sujet. La Presse lui a parlé.

Q. Nous entendons souvent dire que les réseaux sociaux nous nuisent en nous laissant voir les meilleurs moments de la vie de nos amis, tout en occultant ce qui va mal chez eux… Vous écrivez que ces comparaisons sociales peuvent aussi être positives.

R. Les recherches nous montrent que le fait de voir des gens raconter leurs succès, leurs vacances et leurs activités de loisirs sur les réseaux sociaux peut provoquer chez les utilisateurs une brève sensation d’envie. Mais l’envie est une émotion complexe : lorsque je vais sur un réseau social et que je vois une personne réussir, je peux être heureux pour elle et même être motivé et avoir envie de l’imiter. C’est ce qu’on appelle l’envie bénigne. Je peux aussi ressentir de la rancune pour cette personne, vouloir la « rabaisser » ou l’éviter. C’est ce qu’on appelle l’envie malveillante.

Plusieurs cultures ont d’ailleurs des mots différents pour désigner ces deux émotions (par exemple, en allemand, nous avons « beneiden » et « missgönnen »). Les recherches montrent que les deux types d’envie se manifestent sur les réseaux sociaux, et certaines études suggèrent que l’envie bénigne pourrait même être la réaction la plus fréquente. La recherche a aussi montré que la comparaison sociale et l’envie bénigne menaient à des résultats positifs, comme le fait de se sentir inspiré par les autres sur les réseaux sociaux.

Q. Nous avons pu lire récemment plusieurs articles sur le fait que les adolescentes qui consultent Instagram disent avoir une mauvaise image d’elles-mêmes, une donnée qui vient directement des recherches internes de Facebook, propriétaire d’Instagram. Mais vous ajoutez que ces mêmes adolescentes estiment également qu’Instagram dans son ensemble leur apporte un bénéfice net. Exagérons-nous la menace que représentent Instagram et les autres plateformes pour la santé mentale des adolescents ?

R. La recherche interne de Facebook (ou de Meta, son entreprise mère) consistait en des sondages d’opinion et des entretiens entre utilisateurs. Essentiellement, on a demandé aux adolescents quelles préoccupations et quels avantages ils associent à leur utilisation d’Instagram. Cela donne un bon aperçu de la façon dont les adolescents se sentent à ce sujet, mais cela ne devrait pas être notre référence pour établir les effets négatifs ou positifs de l’utilisation d’Instagram sur la santé mentale.

PHOTO FOURNIE PAR UNIVERSITÉ D’ERLANGEN-NUREMBERG

Adrian Meier, professeur adjoint à l’Université d'Erlangen-Nuremberg, en Allemagne

Vous ne vous baseriez pas sur les suppositions des gens pour déterminer l’efficacité d’un médicament ou d’une thérapie médicale. Nous avons des normes scientifiques élevées pour les affirmations concernant de tels effets causaux. Il devrait en être de même pour les études affirmant que les réseaux sociaux affectent notre santé mentale ou physique. Les études de Facebook ne doivent donc pas être surinterprétées. Il n’en reste pas moins que de nombreuses recherches universitaires indépendantes confirment que l’utilisation d’Instagram, en particulier celle liée à l’apparence – voir des images corporelles idéalisées –, peut devenir problématique pour certains adolescents.

Cependant, pour l’utilisateur moyen, adolescent ou adulte, des centaines d’études indépendantes suggèrent que le « temps d’écran » général passé sur les réseaux sociaux ne nuit pas substantiellement au bien-être – ni ne lui est bénéfique.

Q. Les réseaux sociaux sont accusés d’avoir un effet nuisible sur leurs utilisateurs. Vous êtes d’avis que nous devrions adopter un point de vue plus nuancé ?

R. Je pense effectivement que nous devrions adopter un point de vue plus nuancé sur la question des réseaux sociaux. Nous n’apprendrons pas grand-chose de plus en faisant des recherches ou en discutant du « temps d’écran », ou en assimilant l’utilisation des réseaux sociaux à une comparaison sociale qui produit des envies néfastes. Les expériences des utilisateurs sont plus diverses, plus nuancées, et nos recherches et notre discours public devraient l’être aussi. Personnellement, je pense que les réseaux sociaux peuvent avoir des effets tant positifs que négatifs sur la santé mentale. Lorsqu’il est question de comprendre comment, et dans quelles conditions, les utilisateurs sont affectés, nous n’avons encore qu’effleuré la surface.

Consultez l’étude « Social comparison and envy on social media : A critical review » (en anglais)

En chiffres

1,1 milliard

Nombre d’utilisateurs d’Instagram dans le monde en 2021

53 minutes

Temps moyen passé sur Instagram par jour par utilisateur

2,91 milliards

Nombre d’utilisateurs de Facebook dans le monde en 2021

58 minutes

Temps moyen passé sur Facebook par jour par utilisateur

10 à 15 %

C’est la proportion d’adolescents qui ont vécu des effets négatifs attribuables à l’exposition aux réseaux sociaux, selon une récente revue de la recherche faite par des chercheurs de l’Université d’Amsterdam. Ils ont aussi relevé que de 10 à 15 % des adolescents avaient vécu des effets bénéfiques, tandis que la majorité n’avait pas vécu d’effets positifs ou négatifs.

Sources : eMarketer, Recode