La deuxième vie d’un immeuble de la rue Sainte-Catherine ravagé par un incendie en 2018

Après une histoire marquée par des activités criminelles, la drogue et la prostitution, une ancienne crackhouse d’Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, change de vocation. Vendredi, le 3629, rue Sainte-Catherine ouvrira de nouveau ses portes pour accueillir des gens de la rue qui ne cadrent dans aucun autre projet d’habitation sociale. Une première au Québec.

En couple, sans papiers d’identité, toxicomanes, travailleurs du sexe, avec des animaux ou des problèmes de santé mentale : toutes ces personnes seront les bienvenues dans la nouvelle maison de chambres inaugurée par l’organisme L’Anonyme à Montréal ce vendredi. Une première au Québec, selon le maire de l’arrondissement, Pierre Lessard-Blais.

L’édifice se trouve dans une zone particulièrement chaude du quartier de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, où la consommation de drogue et la prostitution font partie du quotidien.

Cette adresse – le 3629, rue Sainte-Catherine – était fréquentée jusqu’en 2018 par une quarantaine de personnes, dont seulement une poignée étaient locataires. L’immeuble est connu pour avoir abrité des piqueries ainsi que des activités criminelles liées à la prostitution et pour avoir été le lieu d’homicides et en proie à de l’insalubrité.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le 3629, rue Sainte-Catherine était fréquenté jusqu’en 2018 par une quarantaine de personnes, dont seulement une poignée étaient locataires.

Ravagé par un incendie en 2018, l’édifice a ensuite été racheté par l’organisme communautaire L’Anonyme grâce au soutien de la Ville de Montréal. Après des travaux de rénovation échelonnés sur plusieurs années, l’organisme est prêt à accueillir ses premiers locataires.

Le projet d’un quartier

La maison de chambres abrite 14 logements, dont deux doubles, répartis sur trois étages. Chacun d’eux contient un lit, une petite table en bois avec deux chaises, un comptoir doté d’un évier, un micro-ondes et un petit réfrigérateur. Les futurs locataires auront aussi un accès commun à une cuisine, des salles d’eau, des douches et des toilettes.

Cette scène n’a rien à voir avec les images des lieux avant l’incendie. Des photos consultées par La Presse montrent un capharnaüm de meubles empilés, de toilettes sales et de bidons de peinture.

PHOTO FOURNIE PAR L’ANONYME

Le 3629, rue Sainte-Catherine, avant que l'immeuble ne soit ravagé par un incendie en 2018

L’idée d’acquérir l’immeuble pour le transformer en projet communautaire date d’environ quatre ans. L’Anonyme – qui distribue partout à Montréal des seringues et des préservatifs dans son autobus d’intervention – connaissait bien les individus qui fréquentaient le 3629, rue Sainte-Catherine. « Plusieurs de ces personnes cherchaient de l’hébergement ou un logement, mais on n’était pas capables de les [diriger vers des organismes d’hébergement] », explique Julien Montreuil, directeur adjoint de L’Anonyme. « Soit parce qu’ils consommaient, soit parce qu’ils étaient en couple, parce qu’ils avaient des enjeux de santé psychologique ou même physique. »

PHOTO FOURNIE PAR L’ANONYME

Le 3629, rue Sainte-Catherine, avant que l’immeuble ne soit ravagé par un incendie en 2018

En 2018, L’Anonyme est ainsi devenu porteur d’un projet qui ralliait tout le quartier. « Tout le monde s’est mobilisé pour créer quelque chose qui n’existait pas, le poste [de police] de quartier, les organismes, tous les élus », raconte Pierre Lessard-Blais, maire de l’arrondissement.

Le projet a bénéficié d’une subvention de près de 3,3 millions de dollars de la Ville de Montréal dans le cadre de sa stratégie 12 000 logements ainsi que d’un financement du gouvernement fédéral et du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Apprivoiser le voisinage

La Presse a discuté avec deux commerces situés tout près dans le quartier, qui ne croyaient pas que l’arrivée de cette nouvelle maison de chambres était problématique pour eux. « Il y en a encore, des crackhouses », a expliqué le propriétaire de La Bonne Bouffe Créole. « Ce n’est pas fini. Cette adresse, peut-être, mais il y en a d’autres, plein d’autres. »

« Je n’ai aucun problème avec ça », a aussi affirmé un voisin qui habite à proximité depuis 13 ans. « On est dans un quartier où il devrait y en avoir encore plus pour combattre l’itinérance et pour ceux qui voudraient se sortir de la rue. »

Selon Geneviève Groulx, qui réside un coin de rue plus loin, cette habitation est nécessaire. « Je suis absolument d’accord pour qu’il y ait des initiatives comme ça dans les quartiers où les gens se trouvent », a-t-elle affirmé.

Conscient que la cohabitation avec le voisinage peut parfois être difficile, L’Anonyme a fait du porte-à-porte en amont pour expliquer le projet. « Il faut voir le travail qui a été fait depuis trois ans pour préparer le terrain », explique Julien Montreuil.

Aider sans forcer

Dans la dernière semaine, L’Anonyme a mené de courtes entrevues pour choisir les futurs résidants du projet. Le processus de sélection est à l’opposé de ce qui se fait partout ailleurs. « Moins tu as d’options de logement, plus tu réponds aux critères », résume Julien Montreuil. Certains candidats choisis sont même des personnes qui fréquentaient auparavant le 3629, rue Sainte-Catherine.

Le projet a la particularité d’offrir du logement sans obliger les gens à recevoir de l’aide.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Julien Montreuil, directeur adjoint de L’Anonyme

Souvent, le logement [social] devient conditionnel à des démarches d’amélioration de conditions de vie. Mais il y a une partie des personnes qui ne sont pas là-dedans du tout.

Julien Montreuil, directeur adjoint de L’Anonyme

Dans cette veine, aucun intervenant de L’Anonyme ne sera sur les lieux en tout temps. Un coordinateur viendra visiter l’édifice et offrir du soutien à la demande des résidants. Les autres organismes du quartier seront aussi impliqués dans la vie communautaire.

Si le projet fonctionne, il pourrait tracer la voie à d’autres du genre dans la province. « Il y a beaucoup d’yeux qui sont tournés vers le 3629, fait observer Pierre Lessard-Blais. Il y a un fort intérêt dans tout le Québec pour ce type d’habitation. »

40 %

Proportion du parc de maisons de chambres ayant disparu à Montréal de 1977 à 1987, selon un rapport du comité des sans-abri de 1987

Nombre de chambres individuelles à Montréal

En 2006 : 2915

En 2017 : 2400

Source : Rapport sur la sauvegarde des maisons de chambres du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal