D’après un sondage obtenu en exclusivité par La Presse, les Québécois seraient très majoritairement prêts à partager leurs données de santé pour faire avancer la science. Comme le veut le projet de loi 19 présenté vendredi à l’Assemblée nationale.

Avec ce projet, le gouvernement Legault compte notamment faciliter et sécuriser le transfert de renseignements personnels à l’intérieur du réseau de la santé et des services sociaux. Cela inclut les chercheurs, pour les aider à faire des découvertes plus vite, afin d’améliorer les soins.

Les scientifiques québécois réclament depuis des années un accès plus rapide à des informations dépourvues d’identifiants, ce dont bénéficient déjà leurs confrères ontariens. Mais le gouvernement a longtemps craint que les Québécois n’y voient une intrusion dans leur vie privée.

« Avec Génome Québec, on a demandé à des experts de sonder la population afin d’obtenir des données probantes et de savoir si l’acceptabilité sociale était vraiment un enjeu », explique en entrevue Carole Jabet, directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Santé.

Pour y parvenir, la firme Léger a réalisé un sondage web auprès de 1502 adultes en mai dernier, et ses résultats n’avaient encore jamais été rendus publics*.

« Quand on les a reçus, on était fort enthousiastes, rapporte Mme Jabet. On a le soutien de la population, elle voit la valeur de la recherche. »

Près de 80 % des sondés ont répondu qu’ils accepteraient que les chercheurs aient accès à leurs données de santé, pourvu qu’elles ne permettent pas de les reconnaître.

Et huit sur dix estiment que cela améliorera leur propre qualité de vie et celle de la population. Pour la même proportion d’entre eux, il est « réaliste » de s’attendre à pouvoir ainsi traiter et diagnostiquer les maladies plus facilement, et à pouvoir déterminer les effets indésirables plus efficacement.

Sept sur dix croient que cela permettra de développer des traitements sur mesure, en fonction du bagage génétique de chaque personne.

Et 78 % aimeraient savoir à l’avance qu’ils sont porteurs d’un gène augmentant les risques d’avoir une maladie grave.

Aussi des craintes

Des craintes demeurent toutefois. Quatre personnes sur dix affirment que l’utilisation des renseignements de santé pour la recherche est périlleuse.

Et cinq sur dix pensent qu’une telle utilisation ouvre la voie à des abus.

Parmi les gens défavorables au partage des données de santé, plus de quatre sur dix ont invoqué divers risques : fuites, vol, fraude, profilage, etc. Et près de trois sur dix ont indiqué que cela violait certains principes (liberté, vie privée, etc.).

Pour des raisons inexpliquées, les francophones se sont montrés plus ouverts à l’usage de leurs renseignements que les non-francophones, et plus optimistes quant à ses retombées.

Autre découverte : 70 % des personnes sondées ont dit que l’utilisation des données en santé leur était peu (50 %) ou pas du tout familière (19 %). Elles n’avaient par ailleurs pas vu, lu ou entendu un reportage à ce sujet au cours des derniers mois.

« On voit qu’il y a encore un grand besoin d’information et de formation, commente Mme Jabet. On pourrait organiser, par exemple, des campagnes d’information comme pour la vaccination. »

L’été dernier, La Presse a par ailleurs révélé que le ministère de la Santé et des Services sociaux voulait lancer un nouveau portail web, qui devrait permettre à chaque citoyen de découvrir de quelle manière ses informations médicales sont utilisées par les chercheurs

* D’après Léger, la marge d’erreur maximale pour un échantillon de 1502 répondants est de ± 2,5 %, 19 fois sur 20.

Quoi partager ?

Proportion des sondés prêts à accepter les types de partage suivants :

leurs données de santé (sans aucune information personnelle) : 78 %

leur profil génétique (sans aucune information personnelle) : 74 %

les données de santé (sans aucune information personnelle) de leurs enfants : 67 %

Pour quelles raisons ?

Proportion des sondés trouvant que les objectifs suivants rendent acceptable le partage de données :

Accélérer la recherche et le développement de traitements pour des maladies très répandues ou non : 92 %

Améliorer les actions en santé préventives : 91 %

Mieux planifier les besoins du réseau de la santé en fonction de l’état de santé de la population : 88 %

Adapter les traitements en fonction du profil personnel de la personne malade : 88 %

Prévenir l’abus de médicaments et la dépendance aux médicaments : 87 %

Réduire les visites aux urgences ou les visites inutiles chez le médecin : 85 %

Aviser quelqu’un qu’il est porteur d’un gène augmentant les probabilités qu’il développe une maladie grave à long terme : 78 %

Favoriser l’utilisation de la télémédecine : 71 %

Quelles craintes ?

Proportion des sondés en accord avec les énoncés suivants :

Si mes données de santé sont partagées et utilisées en recherche, j’ai des craintes d’intrusion dans ma vie privée : 47 %

La recherche utilisant les données de santé d’une population comporte un risque pour les populations vulnérables : 32 %

Les risques de la recherche utilisant les données de santé d’une population sont plus nombreux que les avantages : 28 %

Des différences selon l’instruction et le revenu

Proportion des sondés ayant une opinion « à première vue plutôt positive » de l’utilisation des données en santé :

60 % de l’ensemble des sondés (contre 22 % ayant une opinion « plutôt négative »)

65 % des sondés détenant un diplôme universitaire

70 % des sondés ayant un revenu familial annuel de 150 000 $ ou plus

Proportion des sondés estimant que cette utilisation comporte des risques particuliers :

40 % de l’ensemble des sondés

51 % des sondés détenant un diplôme universitaire

53 % des sondés ayant un revenu familial annuel de 150 000 $ ou plus

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