Les ravages du Xanax contrefait prennent de l’ampleur à Montréal, préviennent des experts

De plus en plus présent sur le marché noir, le Xanax, un médicament contre l’anxiété, menace de devenir la « prochaine crise sociale », craignent des intervenants travaillant en dépendance. Dans les rues, le Xanax fait déjà beaucoup de ravages : l’an dernier, les ambulanciers sont intervenus plus que jamais pour des signalements liés à cette substance, potentiellement mortelle.

« Tu arrêtes de vivre quand tu consommes ça, plus rien ne me dérangeait », raconte Éric Tremblay, qui a arrêté de consommer du Xanax il y a environ quatre ans. « Ça me faisait trop du bien », mais ce médicament est un couteau « à double tranchant », poursuit M. Tremblay. « Ça peut t’aider au moment où tu en as besoin, mais à la longue, ça crée une assez forte dépendance », prévient-il.

L’an dernier, le nombre de signalements faits à Urgences-santé en lien avec le Xanax est monté en flèche, passant de 106 appels en 2019 à 144 en 2020. Cette année, les appels liés à cette substance s’élevaient à 96 en date du 3 novembre, selon des chiffres obtenus par La Presse.

Au cours des quatre derniers mois, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a saisi au total près de 190 000 comprimés contrefaits de Xanax dans l’Ouest-de-l’Île.

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La Dre Marie-Ève Morin, médecin de famille travaillant en santé mentale et en dépendance

Des chiffres qui font dire que le Xanax va être « la prochaine crise dont on va parler sur le plan social », soutient la Dre Marie-Ève Morin, médecin de famille travaillant en santé mentale et en dépendance.

Le Xanax, qui fait partie de la famille des benzodiazépines comme l’Ativan ou le Valium, est un médicament prescrit par des médecins pour traiter l’anxiété, les chocs nerveux, les crises de panique ou l’épilepsie. Des laboratoires clandestins fabriquent aussi du Xanax, le nom commercial de l’alprazolam, qui est en croissance sur le marché noir.

Ces comprimés contrefaits ne contiennent pas l’ingrédient actif habituel qu’on trouve dans le médicament, mais plutôt des substances dérivées, qui sont parfois plus fortes et en plus grande quantité. Dans la rue, ils sont habituellement vendus entre 2 $ et 5 $.

Au cours des derniers mois, du Xanax et d’autres dérivés ont été trouvés dans des substances vendues comme de l’héroïne. Du fentanyl, un opioïde 40 fois plus puissant que l’héroïne, a aussi été trouvé dans des comprimés contrefaits de Xanax, explique Jean-François Mary, directeur général de Cactus, organisme communautaire de prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS).

Le fait de consommer ce mélange de substances à son insu est « dangereux », poursuit Jean-François Mary. Puisqu’il s’agit de deux dépresseurs, le risque de faire une surdose augmente. Pour quelqu’un qui n’a aucune tolérance aux opioïdes et qui consomme du fentanyl involontairement, le résultat peut être mortel, prévient-il.

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Jean-François Mary, directeur général de Cactus

La population qui consomme du Xanax sur le marché noir va des « jeunes du secondaire à des gens dans la soixantaine », souligne encore Jean-François Mary. De nombreuses personnes commencent à consommer ces substances pour « alléger le sentiment d’anxiété qui les paralyse », observe aussi M. Mary. Sans être nécessairement au courant de la forte dépendance qui peut venir avec cette impression de « bien-être ».

Si la circulation de « faux » Xanax dans la rue ne date pas d’hier, de nouvelles substances apparaissent au pays. Dans la dernière année, le phénomène a pris de l’ampleur et représente maintenant « une préoccupation de santé publique », estime Carole Morissette, médecin-conseil à la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal.

Dépendance potentiellement mortelle

La dépendance physique au Xanax est plus dangereuse que celle à l’héroïne, assure la Dre Morin. Le fait d’arrêter d’en consommer d’« un coup sec » peut mener à un delirium tremens, syndrome dû au sevrage de cette substance.

Convulsions, agitation au niveau du cœur, pression et fièvre : un delirium tremens est une expérience traumatisante et potentiellement mortelle, résume la Dre Morin.

Des consommateurs d’héroïne se retrouvent à devoir faire des sevrages à l’hôpital parce qu’ils ont consommé du Xanax à leur insu, observe M. Mary. À leur sortie, ils achètent ce qu’ils pensent être de l’héroïne ou des substances similaires, mais ils se retrouvent à nouveau avec un mélange qui contient du Xanax contrefait. Retour à la case départ d’avant l’hospitalisation. « C’est très déprimant pour eux », souligne Jean-François Mary.

Antidote aux surdoses

En plus du mélange avec les opioïdes qui peut être fatal, consommer du Xanax avec de l’alcool ou du GHB augmente fortement les risques de surdose.

Contrairement au monde des opioïdes, où un grand travail de sensibilisation a été fait pour intervenir lors des surdoses, les gens qui consomment du Xanax ne sont pas habitués à réagir lorsque l’un d’eux vit cette situation, note M. Mary. La naloxone, utilisée pour traiter les surdoses de fentanyl, ne fonctionne pas avec le Xanax. Il existe heureusement un antidote, le flumazénil, surtout accessible à l’hôpital parce qu’il doit être administré par voie intraveineuse, explique la Dre Morin.

De moins en moins de Xanax prescrit

En médecine, le Xanax est de moins en moins prescrit parce qu’il peut rendre dépendant en l’espace de 10 jours et a un effet « euphorisant », explique la Dre Claire Gamache, présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec. Pour ces raisons, « on veut vraiment éviter à tout prix d’en prescrire », soutient la psychiatre. Il est donc très rare de retrouver du Xanax prescrit qui est revendu dans la rue, explique Jean-François Mary.

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Nombre d’appels faits à Urgences-santé en lien avec le Xanax, d’août à octobre 2021.

Source : Urgences-santé

165 000

Le 29 juin 2021, 165 000 comprimés de Xanax ont été saisis dans l’arrondissement de L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève, à Montréal.

Source : SPVM

23 000

Le 21 septembre 2021, 23 000 comprimés de Xanax ont été saisis dans l’ouest de l’île de Montréal, à Baie-D’Urfé, à Beaconsfield, à Dollard-des-Ormeaux, à Kirkland, ainsi qu’à L’Île-Perrot.

Source : SPVM

Fiche signalétique

Nom commercial : Xanax

Ingrédient actif : alprazolam

Famille de médicaments : benzodiazépines

But : traiter les crises de panique, les chocs nerveux et l’épilepsie

Date de commercialisation au Canada : 1981

Source : gouvernement du Canada