En 2004, Jeffrey Harris a acheté son petit coin de paradis, une maison à Gore, dans les Laurentides, entre Lachute et Morin-Heights, une région alors peu touchée par la flambée des prix des chalets. Neuf ans plus tard, il a eu une mauvaise nouvelle : sa fosse septique devait absolument être remplacée pour respecter les nouvelles normes environnementales.

« On parlait d’au moins 8000 $ juste pour le réservoir », dit M. Harris, qui est serrurier à domicile.

S’il avait habité dans une ville avec un réseau d’égouts, la mise aux normes aurait été financée en grande partie par des subventions gouvernementales. Depuis près de 15 ans, Scott Pearce, maire de Gore, milite pour un financement public de la mise aux normes des installations sanitaires individuelles.

« C’est une question d’équité entre les milieux urbains et ruraux », dit M. Pearce, qui est également vice-président de la Fédération canadienne des municipalités (FCM) et porte-parole des régions à la Fédération québécoise des municipalités (FQM). Tant la FCM que la FQM ont embrassé le combat du maire de Gore, qui a obtenu un nouveau mandat, le 7 novembre dernier.

Il y a quelques années, Lachute a fait des réfections majeures à des égouts desservant 64 bâtiments, grâce à des subventions de 1,8 million.

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Scott Pearce, maire de Gore

Ça donne plus de 25 000 $ par bâtiment, ce qui est comparable à une installation septique neuve.

Scott Pearce, maire de Gore

Il existe des programmes ponctuels de crédits d’impôt, mais beaucoup de propriétaires en région ont de faibles revenus et ne peuvent assumer une telle dépense sans réhypothéquer leur maison, selon M. Pearce. « À Gore, on a mis sur pied un programme où la municipalité fait la mise aux normes et le contribuable rembourse sur ses taxes municipales sur dix ans. D’autres municipalités ont copié notre programme. » Une quarantaine de personnes, dont M. Harris, ont profité de ce programme à Gore. La fosse septique de M. Harris a été mise aux normes en 2018.

Les campagnes ne sont pas seulement le domaine des propriétaires aisés de chalets luxueux, confirme Pierre Hamel, spécialiste des finances municipales à l’INRS-Urbanisation. « Les ménages à faible revenu en campagne sont souvent propriétaires de leur maison », dit M. Hamel.

Le financement public des installations septiques individuelles fait partie des revendications de la FQM depuis 2006, selon son président Jacques Demers, maire de Sainte-Catherine-de-Hatley. « La mise aux normes est un problème financier pour plusieurs de mes contribuables, dit M. Demers. Des gens pensent à vendre leur maison. Au-delà de l’équité urbanité-ruralité, il y a aussi la question de la qualité de l’eau. Un financement public des installations autonomes aiderait à protéger l’environnement. »

C’est pour cette raison que l’ancienne mairesse suppléante de Québec Michelle Morin-Doyle appuie la demande de M. Pearce et de la FQM.

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Michelle Morin-Doyle, ancienne mairesse suppléante de Québec

« Dans la dernière campagne, on avait fait une demande de subventions de 100 millions sur 10 ans pour mettre aux normes les installations sanitaires près de la rivière Saint-Charles en amont du lac Saint-Charles, où Québec a sa prise d’eau. Elle est menacée par la sédimentation liée aux cyanobactéries. On voulait financer la mise aux normes de deux stations d’épuration près de la rivière Saint-Charles, raccorder 900 installations autonomes aux réseaux d’égout et remplacer 1000 installations autonomes. »

Étalement urbain

Isabelle Thomas, spécialiste du développement durable à l’Université de Montréal, prévient par contre qu’un financement public pour les installations sanitaires autonomes pourrait exacerber l’étalement urbain. « Je pense que l’urbanisation devrait se concentrer là où il y a des systèmes d’aqueducs et d’égouts existants, aux normes et ayant les capacités d’intégrer les nouveaux aménagements, dit Mme Thomas. C’est important pour contrer l’étalement urbain et assurer la protection de l’environnement. »

Son collègue à la faculté d’urbanisme de l’Université de Montréal Jean-Philippe Meloche ajoute que le financement public pour les égouts a parfois des effets pervers. « Les municipalités se dotent parfois d’un système trop cher dont elles ne peuvent assumer l’entretien, dit M. Meloche. Ça risque de faire la même chose pour les propriétaires privés. »

Pierre Hamel, de l’INRS-Urbanisation, estime quant à lui que financer les installations sanitaires individuelles contribuerait très peu à l’étalement urbain.

On parle de régions trop éloignées pour que les gens habitent là et travaillent en ville, bien au-delà de la banlieue. Ce qu’il faut, pour contrer l’étalement urbain, c’est protéger les zones agricoles.

Pierre Hamel, professeur à l’INRS-Urbanisation

Scott Pearce est aussi très sceptique face à la menace de l’étalement urbain. « On parle de protéger l’environnement, pas d’étendre la banlieue jusqu’à Gore. » À Québec, Mme Morin-Doyle pense qu’au-delà de la banlieue, l’important est de limiter les risques pour les bassins versants. « Plutôt que de chercher à densifier les campagnes, à la Communauté métropolitaine de Québec, nous préférons protéger les bassins versants, qui sont la source de l’eau potable des villes. »

David Fletcher, de la Coalition verte, une ONG écologiste, pense lui aussi qu’un financement public des installations sanitaires autonomes aurait plus d’avantages que d’inconvénients. « L’environnement, c’est un bien public », dit M. Fletcher.

Les fosses septiques en chiffres

1 million 

Nombre d’installations sanitaires autonomes au Québec

57 %

Proportion des installations sanitaires autonomes du Québec supervisées directement par les municipalités

Sources : ministère de l’Environnement du Québec, Université de Sherbrooke