En Belgique, au Royaume-Uni et en France, des centaines de femmes brisent le silence sur les violences sexuelles subies dans des bars, souvent au vu et au su de tous. Un mouvement qui pourrait bien traverser l’Atlantique et se répandre au Québec.

Après les mouvements #metoo et #balancetonporc, c’est au tour de #balancetonbar de prendre de l’ampleur en Europe. Par ce mot-clic, des centaines de femmes européennes ont choisi de témoigner sur les réseaux sociaux des agressions vécues dans des milieux festifs. Elles ont ainsi créé une véritable onde de choc.

« Ça a commencé à Bruxelles, avec deux [bars] où des femmes ont dénoncé un serveur qui droguait des personnes », explique Florence Hauteclaire, bénévole pour le collectif féministe Et ta sœur ?, responsable du mouvement #balancetonbar à Liège.

« Quand ça s’est su, le patron a juste changé le serveur de bar, dénonce Florence Hauteclaire. La police et les autorités n’ont pas vraiment réagi aux différentes accusations. À un moment, les Bruxelloises ont eu envie de faire entendre leur voix. »

Ces voix, ce sont une soixantaine de témoignages glaçants sur la page Instagram Balance ton bar, créée à la mi-octobre.

IMAGE TIRÉE D'INSTAGRAM

Témoignages anonymes sur la page Instagram de Balance ton bar

« Je me souviens avoir bu la moitié de mon verre et puis plus rien… trou noir. »

« Ce sont eux qui m’ont informée que j’avais très probablement été agressée sexuellement au Rock Classic. »

« Je me réveille des heures plus tard, seule et allongée sur le sol à l’étage, mon pantalon et ma culotte abaissés. »

Si les victimes sont anonymes, le nom des bars, lui, est bien visible. La page Instagram a rapidement fait des petits, apparaissant sous le nom d’autres villes un peu partout en Belgique et en France.

Vendredi, un appel collectif au boycottage des bars a été lancé en Belgique.

Un mouvement qui prend de l’ampleur

« C’est vraiment un mouvement hyper spontané de visibilisation de violences qui existaient déjà depuis des années, mais qui n’étaient pas entendues », explique Florence Hauteclaire.

Paris, Liège, Toulouse, Marseille, les femmes de nombreuses villes ont ajouté leurs témoignages de mauvaises expériences dans des bars à celui des Bruxelloises. En parallèle, au Royaume-Uni, des étudiantes ont affirmé en octobre avoir été droguées par injection à leur insu sur des pistes de danse et dans des boîtes de nuit. Depuis, un boycottage des clubs et des bars, rassemblé sous le terme Girls Night In, a fait son apparition. Une pétition a d’ailleurs été remise au Parlement britannique pour que les fouilles deviennent obligatoires à l’entrée des établissements.

PHOTO FOURNIE PAR FLORENCE HAUTECLAIRE

Florence Hauteclaire, bénévole pour le collectif féministe Et ta sœur ?, responsable du mouvement Balance ton bar à Liège

On essaie vraiment de faire passer le message que les victimes ne doivent pas se sentir coupables. C’est un problème plus grand qu’elles.

Florence Hauteclaire, bénévole pour le collectif féministe Et ta sœur ?, responsable de Balance ton bar à Liège

Et au Québec ?

« C’est un mouvement européen, peut-être, mais on en a beaucoup des cas comme ça [d’agressions dans les milieux festifs], ici, au Québec », estime Catherine Rossi, professeure de criminologie à l’Université Laval spécialisée en violences faites aux femmes.

« Je pense que n’importe quelle personne qui a l’âge de consommer de l’alcool dans un établissement ou un club [au Québec] a entendu des histoires d’horreur dans son entourage », croit aussi Alexandra Dupuy. Elle est cofondatrice du collectif québécois #jaichangémoiaussi, qui vise à donner la parole aux victimes d’agressions à caractère sexuelle ou raciste.

PHOTO FOURNIE PAR ALEXANDRA DUPUY

Alexandra Dupuy, cofondatrice du collectif #jaichangémoiaussi

Selon elle, l’ampleur exacte du phénomène n’est pas connue au Québec. « C’est le temps, pour ces établissements-là, de se questionner sur leurs pratiques, dit Alexandra Dupuy. Et de ne pas fermer les yeux s’ils sont au courant que quelque chose se passe. »

Une vision partagée par Peter Sergakis, président de l’Union des tenanciers de bars du Québec. « Les tenanciers ne peuvent pas être négligents non plus », croit-il.

En 2015, Mélanie Lemay a soumis à l’Assemblée nationale une pétition visant le déploiement d’une campagne pour rappeler qu’« alcool n’égale pas consentement ». Cofondatrice de Québec contre les violences sexuelles, elle se réjouit de l’émergence du mouvement #balancetonbar. « Ce qui m’intéresse depuis toujours, c’est comment on peut faire en sorte de retirer l’impunité et les terrains de chasse de ces personnes-là [les agresseurs] », raconte-t-elle.

« La drogue du viol, c’est l’alcool, observe Mélanie Lemay. Plus de 80 % des victimes adultes [d’agression sexuelle] ont cette substance-là dans leur corps, dans le milieu festif », souligne-t-elle. « L’agression par intoxication, c’est une stratégie pour rendre le consentement flou aux yeux des gens », dénonce-t-elle aussi.

« Une femme ne devrait jamais avoir à choisir le bar où elle peut aller. Elle ne devrait jamais avoir à penser à la manière dont elle est vêtue – on ne le fait jamais pour un homme, croit aussi Catherine Rossi. Et c’est ça qui est en train d’être dit [avec le mouvement #balancetonbar] ! »