Saint-Faustin–Lac-Carré veut sortir de l’ombre de son célèbre voisin Mont-Tremblant. Des résidants sont prêts à tout, même à changer le nom de la municipalité pour… Mont-Blanc. Comme le haut sommet des Alpes. Mais surtout, comme la station de ski locale. Génial plan de marketing ? Ou gaspillage de temps et d’argent ? La municipalité des Laurentides tiendra un référendum le 7 novembre pour trancher la question. Sur le terrain, les avis sont partagés.

« J’aimerais que le nom reste pareil. Il me semble qu’il y aurait mieux à faire avec notre argent », lance Cindy Lirette. La résidante de Saint-Faustin–Lac-Carré promène sa chienne Luna devant l’église Saint-Faustin, sur le gazon tapissé de feuilles mortes. Derrière elle, des arbres matures et des maisonnettes aux devantures champêtres qui font la renommée de ce coin des Laurentides prisé par les amateurs de plein air.

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Cindy Lirette, résidante de Saint-Faustin–Lac-Carré

Voir sa ville natale devenir Mont-Blanc ? Rien d’autre qu’un vulgaire coup de marketing pour attirer les gens de la métropole. « On dirait qu’ils veulent faire ça pour avoir plus de touristes. C’est un peu absurde, ce gros changement qu’on fait pour les autres », poursuit Mme Lirette.

Le nom d’une municipalité est un témoin de l’histoire et sert à préserver le patrimoine municipal et la culture locale, plaide Normand Diotte, auteur d’un mémoire en faveur du maintien de toponymie intitulé « Mes racines, ma fierté ». Pour M. Diotte, qui présente sa candidature comme conseiller aux élections du 7 novembre, le conseil municipal « renie notre histoire, il s’entête, il fait preuve d’arrogance et de mépris à l’égard de la population, il rejette l’opinion des citoyens, son but étant à l’évidence de tuer notre identité. Tout ça pour être plus moderne, plus sexy, plus in ».

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Diane Lachaine, résidante de Saint-Faustin–Lac-Carré et ex-conseillère municipale

Diane Lachaine, citoyenne impliquée et ex-conseillère municipale, voit pour sa part ce possible changement d’un bon œil. Une trentaine de lacs entourent sa ville, explique-t-elle.

Pourquoi avoir seulement Lac-Carré dans le nom ? Mont-Blanc, c’est plus représentatif de la richesse du territoire. Je pourrais en parler des heures.

Diane Lachaine, résidante de Saint-Faustin–Lac-Carré et ex-conseillère municipale

Elle s’inquiète d’ailleurs de l’issue du référendum tenu en même temps que les élections municipales. « Plusieurs personnes seront élues par acclamation, alors ça n’encouragera pas les gens à se déplacer », dit-elle en soupirant.

La majorité des villégiateurs sont d’accord pour le nouveau nom. Ils pourraient voter, mais le processus pour s’enregistrer leur donne du fil à retordre, ajoute Mme Lachaine.

Un débat qui persiste

Le nom de l’endroit suscite les débats depuis les fusions municipales, il y a une vingtaine d’années. « Il y avait comme une chicane entre les gens de Saint-Faustin et ceux de Lac-Carré. Quand on a fusionné, ça ne pouvait pas juste s’appeler Saint-Faustin, car ça ne faisait pas l’affaire de Lac-Carré. Et vice versa », se remémore Diane Lachaine. « J’aimerais qu’on tourne la page sur cette histoire-là. En plus, je trouve ça long, Saint-Faustin–Lac-Carré. »

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Carmelle Bénard, résidante de Saint-Faustin–Lac-Carré

Le nouveau nom aux sonorités européennes va relancer l’économie de la ville où elle réside depuis plus de 40 ans, estime Carmelle Bénard, avec une pointe d’humour. « Ça fait changement. Ça va être comme une renaissance. La montagne, c’est l’attraction principale. Il faut être fiers de nos montagnes dans les Laurentides. »

Ce qui la fait un peu moins trépigner de joie ? « Le changement d’adresse. Mais bon, on dealera avec… »

« Vent de changement »

L’idée de troquer Saint-Faustin–Lac-Carré pour Mont-Blanc a surgi en 2015, quand un comité composé de résidants, d’entrepreneurs et de commerçants qui souhaitait repositionner l’image de ce lieu de villégiature a embauché la firme de consultation Urbacom.

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La station de ski Mont Blanc

Le but d’un changement de nom ? « Insuffler un vent de changement. Amener des investisseurs à venir s’installer. Repartir le développement de notre belle ville », énumère Jean-Simon Levert, maire suppléant et candidat à la mairie de Saint-Faustin– Lac-Carré.

Le groupe de réflexion a choisi Mont-Blanc. La montagne fait partie de l’ADN des gens du coin.

Ça fait partie du patrimoine. Quand on entend Mont-Blanc, on entend nature, panorama, plein air, bien-être… C’est très à la mode, toutes ces choses-là.

Jean-Simon Levert, maire suppléant et candidat à la mairie de Saint-Faustin–Lac-Carré

Le mont Blanc, où est installé un centre de ski, est un indéniable point de repère pour les touristes et les gens de l’extérieur.

M. Levert demeure très clair : la nouvelle appellation fait référence à la montagne, pas à la station de ski. Il ne s’agit pas ici de faire de la publicité à une entreprise récemment vendue.

« On fait référence à la nature ici. D’ailleurs, je ne connais pas les nouveaux investisseurs et j’ignore s’ils vont garder ce nom », précise le maire, ancien conseiller municipal de Saint-Faustin–Lac-Carré.

Cette migration vers une identité nouvelle ne vient pas avec un coût faramineux pour la population, assure M. Levert. Les dépenses liées au changement de nom sont estimées à 50 000 $, une somme déjà mise de côté par la municipalité.

Les changements d’adresse appréhendés par certains résidants se feront automatiquement avec Postes Canada, assure-t-il.

« En tant que maire, je n’ai pas d’opinion. J’attends le résultat du référendum. Si les citoyens ne veulent pas du nouveau nom, on va juste tourner la page. »

Des traces de l’histoire menacées, selon un expert

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Pancarte rappelant aux électeurs de Saint-Faustin–Lac-Carré de voter lors du référendum portant sur le changement de nom de leur municipalité

La transformation de Saint-Faustin– Lac-Carré en Mont-Blanc suffirait-elle à faire mieux connaître la municipalité ? La ville s’est engagée dans un véritable parcours à obstacles qui risque de lui faire oublier une partie de son histoire, dit un expert.

« Changer un toponyme, c’est toujours un peu dommage, parce qu’il y a quand même une histoire [associée au nom] », estime Gérard Beaudet, professeur d’urbanisme à l’Université de Montréal. La paroisse de Saint-Faustin a été érigée en 1978, selon la Commission de toponymie du Québec. Lac-Carré, petit village adjacent, a pour sa part obtenu son nom en 1946. Il le tient d’un lac en forme de losange comprimé.

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Vue du lac Carré

Et des lacs, il y en a dans cette région reconnue pour ses bassins et ses montagnes. L’une d’elles – le mont Blanc – accueille une station de ski.

« Comme beaucoup d’autres dans les Laurentides, la municipalité est à l’ombre de Tremblant, au nord, et de Saint-Sauveur, au sud, analyse Gérard Beaudet. Mais il faut être vraiment optimiste pour penser que juste un changement de nom peut vraiment modifier la dynamique de ce qui est en cours depuis de nombreuses années », estime-t-il.

Des changements coûteux

Le maire sortant de Saint-Faustin–Lac-Carré évalue le budget associé à la nouvelle vision et au changement de nom à 50 000 $. Or, c’est une démarche qui peut s’avérer assez coûteuse pour la municipalité, pense Gérard Beaudet. D’abord, les procédures sont longues, puisque la Commission de toponymie doit donner son aval au projet. Une fois le changement de nom opéré, toutes les entités régionales et touristiques doivent aussi changer leur documentation.

Quand on a toutes sortes de pièces d’identité qui portent le nom de notre municipalité, il faut que tout ça soit mis à jour.

Gérard Beaudet, professeur d’urbanisme à l’Université de Montréal

Là où le bât peut blesser, c’est dans la résistance de la population à s’adapter à la nouvelle identité. Les fusions municipales des années 2000 ont été difficiles à avaler pour certains, rappelle Gérard Beaudet. « Les gens de Chicoutimi n’ont pas apprécié du tout que le nom disparaisse, cite-t-il en exemple. Les citoyens sont attachés au nom de leur ville. Ça ne se fait pas facilement, ces changements de nom », résume l’urbaniste.

Ces villes qui ont fait peau neuve

Des villes au Québec ont pourtant réussi à faire cette métamorphose toponymique avec succès. L’exemple le plus récent est celui d’Asbestos, en Estrie, devenu Val-des-Sources au tournant de 2021. « Dans le cas d’Asbestos, on peut toujours comprendre, estime Gérard Beaudet. Comme c’est ‟amiante” en anglais, et comme c’est une ressource qui a très mauvaise presse, les gens ont décidé qu’ils ne voulaient plus porter le nom qui a fait la fortune de la ville, mais qui a aussi accéléré son déclin », explique-t-il.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Vue de la ville d’Asbestos, en janvier 2018

Changer le nom des lieux peut être tentant pour effacer une partie de son histoire ou lui donner une connotation plus moderne, mais ce n’est pas toujours nécessaire, croit Gérard Beaudet. « À Thetford Mines, manifestement, on n’a pas senti le besoin de changer de nom parce qu’il n’y a pas une association aussi explicite à la ressource [l’amiante] », remarque-t-il.

Trois municipalités qui ont changé de nom

Mirabel : une histoire d’expropriation

Mirabel, auparavant Sainte-Scholastique, a été nommé en 1973, juste avant l’arrivée de l’aéroport international de Mirabel, inauguré en 1975. Même si aucune des huit municipalités constituantes de la région ne s’appelait ainsi, Mirabel était déjà utilisé dans la région. Un bureau de poste, en activité de 1880 à 1914, avait porté le nom, aussi utilisé sur des cadastres du XIXe siècle. Son origine ? La fusion des noms de deux filles – Myriam et Isabelle – d’un habitant écossais. Ou encore de petites prunes, les mirabelles, cultivées en France. Le mystère demeure.

Portneuf-sur-Mer : se rappeler l’air marin

Portneuf-sur-Mer, sur la Côte-Nord (ne pas confondre avec Portneuf, en amont de Québec), a une toponymie qui a largement évolué, passant de Saint-Georges (1848) à Portneuf Mills (1882), Hamilton Cove (1883) et Sainte-Anne-de-Portneuf (à partir de 1875). La municipalité a finalement opté pour un toponyme rappelant son histoire maritime en 2004.

Val-des-Sources : « tourner la page » de l’amiante

La mine d’amiante (asbestos en anglais) de la société Canadian Johns-Manville a entrepris son exploitation en 1881. Le bureau de poste nommé Asbestos a vu le jour en 1884 et la ville a reçu le même toponyme. La découverte des effets néfastes de l’amiante a entraîné le déclin de la demande mondiale. La mine a fermé ses portes après environ 130 ans d’activité, en 2012. Le nouveau nom de Val-des-Sources a été attribué à la municipalité en 2021. Il fait référence au territoire vallonné et au fait que la ville se situe dans la MRC des Sources. « Les gens se disaient que tant qu’à tourner la page – la ville a connu un bon regain d’activité dans les dernières années –, tournons-la complètement », explique Gérard Beaudet, de l’Université de Montréal.

Source : Commission de toponymie du Québec