Des aliments frais, cultivés ici : depuis le début de la pandémie, les Québécois vivent une véritable histoire d’amour avec les produits locaux. Pourtant, les agriculteurs qui les produisent continuent à voir les terres les plus fertiles disparaître au profit des promoteurs, des autoroutes et, même, de sépultures, dénoncent Hélène Choquette et Nicolas Mesly dans leur documentaire choc, Québec, terre d’asphalte.

« Les meilleures terres se trouvent dans la région de Montréal et dans la vallée du Saint-Laurent, et c’est là qu’on gaspille les yeux fermés », explique Luc-Normand Tellier, professeur émérite au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, dans Québec, terre d’asphalte.

Le reporter et agronome Nicolas Mesly, qui creuse le sujet depuis plus de 10 ans, en montre de multiples exemples dans l’île Jésus. « Laval, c’est un peu le potager de Montréal », a souligné M. Mesly en entrevue avec La Presse. Et même si la municipalité se targue de ne pas avoir empiété sur son territoire agricole depuis 33 ans, ses producteurs ne sont pas à l’abri des pressions.

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Le producteur agricole Louis Forget

« Une fois que tu es enclavé, les perspectives sont minimes », résume le producteur Louis Forget, dont la famille est l’une des premières à avoir cultivé la terre de l’île.

Les plaintes des voisins contre le bruit de son compresseur à lait ont coûté à Louis Forget 22 000 $ en constats d’infraction en moins d’un an.

Il lui a fallu sept années de bataille juridique pour parvenir à une entente à l’amiable avec la Ville. Aujourd’hui, c’est la station-service projetée au bout de l’un de ses champs qui lui fait craindre une contamination de son soya.

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Nicolas Mesly s’entretient avec le maraîcher Raynald Paquette dans le documentaire Québec, terre d’asphalte.

Quand le maraîcher Raynald Paquette montre l’un de ses meilleurs champs disparus sous l’asphalte de l’autoroute 19, puis la moitié d’un autre condamné par une future sortie de la même autoroute, on comprend la perte nette pour l’approvisionnement local.

Et que dire de la belle grande terre qui a échappé au neveu du maraîcher Normand Legault, incapable d’offrir un prix aussi élevé que le cimetière voisin ? « Nos terres agricoles, ce sont des morts en sursis », prévient M. Mesly.

Des pouvoirs de protection limités

Certes, avant qu’une terre agricole puisse être asphaltée, bétonnée, recouverte de bungalows, de condos ou de bâtiments commerciaux, il faut demander un changement de zonage à la Commission de protection du territoire agricole du Québec. Mais ses pouvoirs de protection ne sont pas illimités. Et les développeurs comptent là-dessus. Le dézonage des millions de pieds carrés annoncés au bord des autoroutes du Grand Montréal est inévitable, expliquent candidement plusieurs vendeurs dans le reportage.

Ce qu’on espère du documentaire, c’est que ça crée un débat public.

Nicolas Mesly, agroéconomiste et reporter

Les citoyens, plaide l’agronome, sont les « dindons de la farce », les grands perdants de cette spéculation qui, en faisant disparaître les meilleures terres agricoles, menace les objectifs d’autonomie alimentaire du Québec. « C’est comme scier la branche sur laquelle on est assis. »

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Image tirée du documentaire Québec, terre d’asphalte

François L’Italien, professeur à l’Université Laval et chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine, n’y va pas par quatre chemins. « C’est évident que des pots-de-vin circulent pour pouvoir faciliter le dézonage. Il y a tellement d’intérêts », affirme-t-il à l’écran.

Une ceinture verte intouchable, inspirée de celles de Toronto et d’Ottawa, serait une piste de solution. Mais surtout, il faudrait que Québec s’en mêle en haut lieu, suggèrent plusieurs intervenants dans le documentaire. « Quand le gouvernement dézone, c’est parce que le premier ministre ne croit pas à ça », assurait le défunt ministre de l’Agriculture Jean Garon, dans une entrevue inédite réalisée en 2010.

Québec, terre d’asphalte sera diffusé à Doc humanité le samedi 16 octobre, à 22 h 30, sur ICI Radio-Canada Télé et offert en ligne sur ICI Tou.tv.