Ses anciens professeurs d’université le décrivent comme un étudiant extrêmement brillant, cultivé et même charmant. Mais quand il brandit son porte-voix devant les écoles pour inciter les élèves à ne pas se faire vacciner, ou qu’il talonne des politiciens en direct sur Facebook en les traitant de « nazis », François Amalega Bitondo devient un autre homme.

Le militant anti-vaccin, qui a démissionné de son poste de professeur de mathématiques au Collège Jean-de-Brébeuf en février dernier – par refus de porter le masque –, admet lui-même qu’il a « tout perdu » dans son combat contre les mesures sanitaires. « Je suis prêt à aller en prison pour mes convictions, dit-il. J’aime mieux être entre quatre murs qu’avoir la conscience emprisonnée en collaborant au mensonge. »

Spécialiste de la géométrie arithmétique qui a entamé des études doctorales à l’Université de Montréal après avoir émigré du Cameroun, l’homme de 43 ans a récolté pour plus de 35 000 $ de contraventions pour refus de se conformer aux décrets sanitaires depuis le début de la pandémie. En juillet, il a passé une nuit en prison après avoir manifesté deux jours d’affilée dans un magasin à grande surface de Joliette, où il s’est filmé sans masque en train d’invectiver les employés, refusant de quitter les lieux sans être arrêté par les policiers. Son geste lui a valu au total quatre chefs d’accusation d’avoir troublé la paix et refusé de se conformer à des promesses de libération.

Devant les tribunaux, où il clame son innocence et se défend sans avocat pour contester ses billets d’infraction, il n’a qu’un but : faire témoigner le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, qu’il cite comme unique témoin. « Tout part d’Arruda. Il reconnaît qu’il n’y a pas de preuve scientifique que le masque protège contre la COVID-19 et il a dit que le couvre-feu est une mesure de guerre, mais il a imposé ces deux mesures pareil. Il s’est planté sur toute la ligne », prétend François Amalega.

Sa lecture des chiffres comme moteur

Depuis qu’il a commencé à faire des vidéos « live » sur Facebook en janvier, il est vite devenu un leader des plus influents du mouvement anti-mesures sanitaires. Il est régulièrement entouré d’un petit groupe de supporters, dont plusieurs ne cachent pas leur adhésion à des idées complotistes. Mais François Amalega préfère ramener le débat à une stricte affaire de chiffres. Il martèle que l’âge moyen des personnes mortes de la COVID-19 au Québec est de 84 ans. « Je ne renie pas le fait qu’il y a des gens qui meurent à cause de la COVID-19 ! Je ne dis pas le contraire. Mais je crois que les mesures implantées par le gouvernement sont inutiles et détruisent notre tissu social. Je veux mettre fin à ça », dit-il.

Selon lui, le gouvernement pourrait facilement créer de nouveaux hôpitaux de fortune pour traiter les personnes atteintes de la COVID-19. « Ce n’est pas le personnel médical qui manque », balance-t-il, écartant du revers de la main que de nombreuses ruptures de service touchent le système de soins de santé. Pour François Amalega, c’est le gouvernement lui-même qui crée des pénuries en interdisant aux employés non vaccinés de travailler dans les hôpitaux. La vaccination sera obligatoire pour les travailleurs de la santé à partir du 15 octobre.

La semaine dernière, en patientant pendant plus de sept heures devant le palais de justice de Joliette parce qu’il refusait de mettre un masque pour comparaître lors d’une audience dans le cadre de son procès criminel, il a fait une vidéo invitant ses quelque 14 000 fans sur Facebook à inonder la centrale d’appels du 911 pour protester contre les mesures sanitaires.

Si la police reçoit 100 appels 911, ils seront débordés. C’est comme ça qu’on peut pacifiquement paralyser [le système].

François Amalega, dans une vidéo Facebook

Chaque année, les corps de police partout au pays déplorent que de faux appels du genre mobilisent des ressources précieuses et retardent les interventions véritablement urgentes.

Yvan Saint-Aubin, professeur de mathématiques à l’Université de Montréal qui lui a enseigné un cours à la maîtrise, s’explique mal comment cet étudiant « extrêmement intelligent et absolument charmant » s’est ainsi « radicalisé ». « Je ne me rappelle pas de lui comme d’un élève qui aimait la confrontation », dit-il.

« Il doit être très convaincu de ses arguments, au point où je me suis demandé : est-ce qu’il s’est créé un monde parallèle, ou si c’est simplement qu’il analyse les chiffres différemment, au point de considérer qu’autant de gens qui meurent, ce n’est pas beaucoup à ses yeux ? se demande M. Saint-Aubin. Je n’arrive pas à m’expliquer. »

D’autres anciens professeurs et ex-collègues qui ont accepté de parler à La Presse à condition de ne pas être nommés l’ont aussi décrit comme un homme très poli et d’une grande intelligence.

Manifestations devant les écoles et accusations de nazisme

François Amalega n’a lui-même pas d’enfant. Quand on lui demande s’il juge normal de hurler son argumentaire anti-vaccin dans un porte-voix à des enfants qui ne sont pas les siens, il répond avoir l’appui de plusieurs parents. « Le message du gouvernement est beaucoup plus agressif que mon propre message, qui est plus doux », prétend-il, tout en remettant en question la légitimité du gouvernement de mener des campagnes de vaccination. « Le gouvernement s’est arraché la légitimité d’imposer le masque sans preuve scientifique », lance-t-il.

Quand on lui souligne que des gouvernements légitimement élus imposent partout sur la planète des mesures semblables, il ramène la chose au nazisme. « Hitler aussi est arrivé démocratiquement en place », argumente-t-il. Plus tôt cet été, il était aussi allé jusqu’à porter des étoiles de David jaunes sur son chandail, un symbole imposé de force aux juifs sous l’Allemagne nazie, pour manifester contre l’arrivée du passeport vaccinal.

Devant l’école secondaire de Montréal-Nord où il manifestait mardi midi en diffusant ses propos en direct sur Facebook, beaucoup d’élèves étaient médusés. « Cet homme nous filme sans notre consentement, en disant n’importe quoi. Il ne se rend juste pas compte que ce n’est pas normal », a déploré Mouna, une élève de 14 ans qui voulait rapporter l’incident à ses parents.