Alors que le plein air n’a jamais été si populaire au Québec, des organismes à but non lucratif qui gèrent des sentiers sont aux prises avec des hausses de primes d’assurance spectaculaires.

« Mon objectif était de rentrer dans un conseil d’administration qui allait faire travailler mon cerveau, parce que c’est la partie qui me manque à la retraite », raconte Pauline Toulouse, qui a fait carrière dans le secteur financier et les assurances.

Elle a été servie.

Adepte de vélo de montagne, Mme Toulouse est devenue membre du C.A. de Plein Air Sainte-Adèle, un organisme à but non lucratif (OBNL) qui gère 260 kilomètres de sentiers à usages multiples (vélo, ski de fond, raquette, randonnée, course).

Lorsqu’une occasion d’intégrer quelques kilomètres supplémentaires s’est présentée au printemps, elle a pris contact avec le courtier en assurances de l’OBNL. Avec les sauts et modules techniques déjà présents dans leur propre réseau, la police ne serait pas renouvelable en novembre, a-t-elle appris.

« Les deux jambes m’ont arrêté ! »

Un autre courtier lui a indiqué que leur facture, actuellement autour de 500 $ à 600 $, grimperait à 10 000 $ au minimum. Les membres de longue date du C.A. n’en avaient jamais eu vent.

Si je n’avais pas appelé l’assureur pour lui parler de la nouvelle opportunité de développement, on serait tous tombés en bas de notre chaise en septembre lors du renouvellement !

Pauline Toulouse, membre du C.A. de Plein Air Sainte-Adèle

Ils ne sont pas les seuls à tomber de leur chaise.

« J’hésite à dire que c’est une “crise”, mais ça ne va pas très bien », confirme Francis Tétrault, chargé du programme vélo de montagne chez Vélo Québec.

Des cas d’OBNL placés devant des soumissions de 10 000 $ à 15 000 $ alors qu’ils payaient moins de 1000 $ annuellement, il en a entendu beaucoup dans la dernière année. « J’ai eu des échos de clubs qui sont passés à deux doigts de mettre la clé dans la serrure ! » Les sentiers enneigés étant souvent utilisés pour le vélo à pneus surdimensionnés (fatbike), certains ont été fermés temporairement l’hiver dernier, le temps de négocier le contrat d’assurance, dit-il.

« Le marché de l’assurance est dans une période rigide depuis plus de deux ans, toutes industries confondues », explique Sacha Vaillancourt, vice-président chez BFL Canada, l’un des plus importants cabinets de courtage d’assurances au pays. « Certains secteurs du sport subissent plus d’impact parce que l’appétit des assureurs a grandement diminué », dit ce courtier spécialisé en sport et divertissement. En vélo de montagne, par exemple, jusqu’à cinq assureurs pouvaient, sans nécessairement tous présenter une soumission, accepter au moins de regarder et d’analyser le dossier. Il n’en a plus qu’un en ce moment.

Rendre le sport accessible

« La problématique au niveau des assureurs est générale en ce moment », constate Annick St-Denis, directrice générale de Réseau Plein Air Québec, qui regroupe 11 fédérations de plein air.

Des municipalités hésitent à mettre de l’affichage visant la planche aérotractée (kitesurf) aux abords de leurs plans d’eau « parce qu’elles se sont fait dire par leur assureur que c’est synonyme d’encourager la pratique du kite pour laquelle elles ne sont pas officiellement assurées », signale Laurence Lacerte, coordonnatrice de la Fédération québécoise de kite.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Des municipalités hésitent à mettre de l’affichage visant le kitesurf aux abords de leurs plans d’eau.

En escalade, ce sont les centres intérieurs qui sont touchés pour l’instant, indique-t-on à la Fédération québécoise de la montagne et de l’escalade.

Le plein air est beaucoup une affaire de pratique libre… dont la popularité a explosé avec la pandémie. « C’est ce qu’on veut pouvoir continuer à offrir : que ce ne soit pas juste réservé à des gens qui sont capables de payer une cotisation pour avoir des activités encadrées. Que monsieur et madame Tout-le-Monde puissent aller faire une marche dans le bois », illustre Mme St-Denis.

La police de Plein Air Sainte-Adèle, par exemple, couvre l’ensemble des activités, sans détailler le coût d’assurer chacune d’elles. L’OBNL ne prévoit pas d’instaurer de contribution obligatoire, mais vu le montant de la prime, elle désire avoir au moins trois soumissionnaires.

L’enjeu des assurances, « c’est une menace pour le développement, parce que ceux qui n’ont pas les moyens de payer ces primes astronomiques, ce sont souvent les bénévoles passionnés qui développent les sentiers », note la DG du Réseau Plein Air.

Une enquête à venir

La pratique libre complique l’estimation des risques.

Les assureurs ont bien de la difficulté à dire : on va assurer les quidams qui viendront dans le sentier, dont on ne connaît pas la formation, l’expérience et le nombre.

Francis Tétrault, chargé du programme vélo de montagne chez Vélo Québec

En vélo de montagne, « ça fait des années qu’on ne payait pas assez cher », admet M. Tétrault.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le vélo de montagne est particulièrement touché par l’explosion des primes d’assurance.

Les assureurs posent beaucoup plus de questions, confirme le courtier Sacha Vaillancourt. Des dossiers qui pouvaient se régler en 30 jours doivent être prêts à être travaillés 60 jours d’avance.

« On veut trouver les meilleures solutions pour nos clients, c’est nous qui devons argumenter. C’est une situation que nous ne trouvons pas facile nous non plus. Nous sommes aussi des sportifs et des citoyens qui utilisons les installations », souligne M. Vaillancourt, lui-même diplômé en kinésiologie.

Réseau Plein Air Québec se prépare à commander une vaste enquête auprès de ses membres, de clubs, d’écoles, de parcs régionaux et d’autres acteurs du plein air pour documenter l’ensemble des problèmes et besoins d’assurance. « On aimerait avoir assez d’information pour pouvoir présenter quelque chose aux assureurs avant la fin de l’hiver, pour qu’on ait une solution dès le printemps prochain, afin de ne pas revivre ce qu’on a vécu cette année », résume Mme St-Denis.