La violence conjugale ne s’arrête pas après la rupture. Les déménageurs de l’organisme Transit Secours en savent quelque chose. Ces valeureux bénévoles offrent leurs services de déménagement et d’entreposage aux femmes et aux enfants qui fuient la violence. La Presse les a suivis le temps d’une journée.

Michèle Sandiford, déménageuse en chef et gestionnaire des opérations de l’organisme Transit Secours, et un tandem de volontaires se tiennent près d’une maison d’hébergement de Montréal-Nord, un samedi matin. L’abri temporaire de Rosalie* et de ses enfants. La jeune femme et sa marmaille ont dû fuir leur appartement. L’ex-conjoint de Rosalie a trouvé sa nouvelle adresse.

« Monsieur a essayé d’entrer en communication avec les enfants, allant à l’encontre d’une ordonnance de la cour. Il fallait vite se relocaliser, vu l’historique de violence », explique l’intervenante présente sur place. Un scénario typique auquel elle s’est habituée au fil de sa courte carrière.

Assis dans la cage d’escalier, un petit bonhomme à la tête bouclée survole les pages d’une BD d’un air nonchalant. Il salue un des déménageurs du regard. À ses côtés, un autre enfant, le visage entre les genoux. Ce n’est pas le premier départ précipité pour la famille.

Quand une femme quitte un conjoint violent, elle laisse son foyer dans le chaos et la précipitation. Pas le temps de rassembler – encore moins d’emballer – ses effets personnels et ceux des enfants. L’organisme Transit Secours comble un besoin criant : celui d’offrir gratuitement aux victimes de violence conjugale de déménager leurs biens en toute sécurité.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Les bénévoles Kamran Shojaei (à droite), Charles Vinson et Michèle Sandiford

Les bénévoles sont de passage dans la vie des victimes. L’un d’entre eux, Charles Vinson, voit des familles brisées chaque fois. Mais surtout des enfants traumatisés et désemparés, ajoute le retraité sensible à la cause. « Quand ton père était violent avec ta mère, qu’est-ce qui t’arrive dans la vie ? Ça vient me chercher. »

Il visite les appartements délabrés des secteurs défavorisés et les manoirs opulents des quartiers cossus. Une fois, c’était une maison luxueuse de la Rive-Sud. « Je me disais : pour moi, on s’est trompés d’endroit. Mais ça arrive partout, tout le temps », explique Charles Vinson, les mains sur le volant d’une camionnette louée.

J’ai grandi avec des femmes autour de moi. Je me suis dit, avec le nombre de féminicides, comment, en tant qu’homme, je peux aider concrètement ?

Charles Vinson, bénévole

La pointe de l’iceberg

Il y a la tension et le malaise de la cliente, mais « on ne voit que la pointe de l’iceberg », explique Kamran Shojaei, l’autre bénévole présent sur place. « Des fois, on a juste le goût de les prendre dans nos bras. Mais on reste discrets. Je ne veux pas en rajouter… »

« Les clientes sont toujours au bord de l’épuisement », poursuit l’immigrant iranien qui jongle entre deux boulots durant la semaine. Il s’implique au sein de Transit Secours les week-ends. Il évoque une expérience personnelle.

Je n’ai pas de tolérance pour la violence conjugale. Aucune.

Kamran Shojaei, bénévole

Il demeure marqué par sa première journée au sein de l’organisme. « La femme avait l’air complètement détruite. »

Les cinq enfants présents hésitaient à laisser M. Shojaei entrer. « Ils étaient vraiment méfiants. Finalement, ils ont réussi à nous faire confiance et ils nous guidaient, car on doit faire les boîtes. Elles n’ont jamais le temps de faire des boîtes. »

À la fin de la journée, il apprend que l’ex-conjoint de la victime lui avait bloqué l’accès à ses comptes bancaires. Elle ne pouvait pas se payer un ticket de métro ou un taxi. Alors un déménagement… « C’est incompréhensible de vouloir autant de contrôle sur la vie de quelqu’un », commente M. Shojaei.

Ils retrouvent souvent des foyers chaotiques, où la victime est partie en vitesse car sa vie en dépendait. « Ce n’est pas un déménagement normal. Le congélateur est plein, on le vide nous-mêmes. Les tiroirs aussi. Elle a laissé tous ses biens et revenir les chercher, c’est un danger. »

Évaluation du risque

Le plus choquant, c’est le nombre de cas où revenir récupérer ses affaires devient trop risqué pour les victimes, poursuit Michèle Sandiford, déménageuse qui chapeaute l’opération lors du passage de La Presse. Une femme est toujours sur place pour que la cliente se sente à l’aise.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Michèle Sandiford

Certains déménagements sont « à haut risque ». Une fois sur deux, des policiers ou des agents de sécurité les accompagnent quand le conjoint se trouve sur place.

Pour éviter que ça dégénère. On a trois niveaux de risque et on reçoit cette information à l’avance. On évalue alors le degré de dangerosité.

Michèle Sandiford, déménageuse en chef et gestionnaire des opérations de l’organisme Transit Secours

Certains conjoints sont collaboratifs. D’autres sont carrément hostiles.

Les déménageurs revoient souvent des visages familiers, pris dans un logis temporaire, trimballant leurs effets personnels. D’autres fois, c’est plus joyeux : la femme a enfin trouvé un endroit sécuritaire à long terme. La victime devient alors survivante.

« C’est le volume que je trouve dérangeant. De voir à quel point c’est répandu », explique la jeune femme.

Le plus difficile, c’est de mettre des clientes sur la liste d’attente. « Elles ont besoin d’aide rapide. C’est là, aujourd’hui, qu’il faut partir. » Les cinq entrepôts de l’organisme sont pleins. « Je vois aussi l’impact de la crise du logement. Les femmes se sortent d’un foyer abusif, mais elles restent longtemps en transition le temps de trouver un nouveau logement. »

* Prénom fictif

Besoin d’aide ?

SOS violence conjugale : 1 800 363-9010, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7

CAVAC : 1 866 532-2822

Transit Secours : 1-855-203-6252 (ext. 5)

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