Le premier ministre Justin Trudeau a réitéré jeudi qu’il voulait mettre un terme à la « politique de la division », en reconnaissant au passage – comme il l’avait fait la veille pour l’antisémitisme – que l’islamophobie gagne du terrain au Canada et partout dans le monde.

« Ultimement, la politique de la division ne peut pas s’enraciner si nous refusons d’être divisés. Et la haine ne peut s’intégrer si nous nous élevons contre elle », a plaidé le chef libéral en marge du Sommet national contre l’islamophobie, qui se tenait virtuellement jeudi à travers le pays.

En assurant à plusieurs reprises que « l’islamophobie n’a pas sa place au Canada », M. Trudeau est aussi revenu sur les récents reportages selon lesquels des organisations caritatives musulmanes seraient injustement ciblées par l’Agence du revenu du Canada (ARC) pour des audits et des sanctions. « De l’ARC aux agences de sécurité, les institutions devraient soutenir les gens, pas les cibler. Nous entendons cela », a-t-il insisté, en promettant des ajustements.

Cette semaine, une centaine d’organisations musulmanes et groupes de la société civile ont écrit au gouvernement pour lui demander d’annoncer des changements aux pratiques de l’ARC. Ils veulent aussi que le gouvernement annule la décision de l’agence de suspendre, à la suite d’un audit, la possibilité pour la vieille association caritative Human Concern International de remettre des reçus pour fins d’impôt.

« Comme beaucoup d’entre vous l’ont souligné, une partie de la voie à suivre doit être une fonction publique inclusive plutôt que simplement diversifiée. Et les voix de tous ceux qui ont vécu des expériences et une expertise sur l’islamophobie doivent être au centre de notre travail », a aussi plaidé le premier ministre canadien, assurant que le Sommet national voulait « tracer la voie à suivre » à ce chapitre.

« De plus en plus d’exemples de haine »

Le chef libéral a aussi reconnu qu’au cours des dernières années, « nous avons vu de plus en plus d’exemples de haine et de division en ligne et dans le discours public ». « Dans les derniers mois, avec la pandémie, nous avons aussi assisté à une augmentation du racisme antinoir, du racisme anti-asiatique, de l’antisémitisme et de l’islamophobie », a-t-il dit, s’inquiétant tout particulièrement pour les femmes.

Aucune femme au Canada ne devrait se sentir en danger quand elle marche dans la rue, peu importe ce qu’elle porte et peu importe la couleur de sa peau. On peut et on doit prendre un chemin différent.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Dans la communauté musulmane, on accueille bien la tenue du Sommet, mais on espère également qu’il se traduira par des actions concrètes pour lutter contre l’islamophobie.

« Ce sommet, c’était une grande opportunité de préparer une action politique. Mais le vrai travail commence après. On espère que ça débouchera sur de vraies recommandations », a réagi Yusuf Faqiri, le directeur des affaires québécoises du Conseil national des musulmans canadiens. « On a besoin d’actions politiques aux niveaux fédéral, provincial et municipal », a-t-il insisté, en appelant à investir davantage dans les unités de lutte contre les crimes haineux, notamment.

Dialogue

De son côté, le directeur administratif de la Fondation canadienne des relations raciales, Mohammed Hashim, a reconnu que plusieurs membres de la communauté musulmane « sont fatigués d’entendre des mots et veulent voir la violence cesser ». « [Jamais] dans l’histoire moderne je n’ai mesuré un tel niveau d’anxiété », a-t-il dit, en appelant toute la société à s’ouvrir au dialogue pour faire cesser la haine. « Il y a un chemin pour tout le monde », a-t-il insisté.

Plus tôt, la ministre de la Diversité et de l’Inclusion, Bardish Chagger, a soutenu que ce sommet permettrait « de transformer plus d’idées en actions ».

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Bardish Chagger, ministre de la Diversité et de l’Inclusion

Malgré nos efforts, nous devons reconnaître la triste réalité comme celle des attaques de Québec et de London qui se produisent encore. Trop souvent, des musulmans au Canada doivent composer avec la haine et l’intolérance.

Bardish Chagger, ministre de la Diversité et de l’Inclusion

Le ministre des Transports Omar Alghabra, premier Canadien d’origine syrienne au Conseil des ministres, a aussi indiqué que l’islamophobie « découle d’une idée mal avisée que les musulmans et leur foi sont incompatibles avec un certain mode de vie ». « Certains croient cette idée toxique voulant que les cultures ne puissent pas s’entendre et travailler ensemble », a-t-il regretté, appelant lui aussi à « créer des espaces sûrs » pour bâtir des ponts entre les communautés.

Mercredi, lors d’un sommet national sur l’antisémitisme organisé par Ottawa, M. Trudeau avait également soutenu que la montée des crimes haineux était troublante et alarmante partout sur la planète, y compris au Canada. « L’antisémitisme n’est pas un problème que la communauté juive doit résoudre seule. C’est à chacun de relever ce défi », a-t-il déclaré, annonçant du même coup que 150 projets seraient développés dans le cadre d’un programme de soutien aux communautés confrontées aux risques de crimes haineux. Ces initiatives totalisent un financement de plus de 6 millions de dollars.

En chiffres

9 %

Les plus récentes données de Statistique Canada, datant de 2019, font état d’une augmentation de 9 % des crimes haineux visant la population musulmane par rapport à l’année précédente. (Source : Statistique Canada)

42 %

Entre 2010 et 2019, 42 % des crimes ciblant la population musulmane étaient « de nature violente », le plus souvent des menaces et des voies de fait, qui visent plus de femmes que d’hommes. (Source : Statistique Canada)

Recul du nombre de crimes haineux

Bien que le nombre de crimes haineux visant les musulmans ait augmenté, les corps de police canadiens ont observé un « recul du nombre de crimes haineux » visant la religion en général (- 7 %), selon un rapport du gouvernement paru en mars.