Le visage de la lutte contre les noyades au Québec, c’est Raynald Hawkins. Directeur général de la Société de sauvetage depuis 31 ans, il travaille à prévenir ces drames épouvantables et imprévisibles. Car « une noyade, c’est une noyade de trop ». Entretien.

« M. Hawkins, vous allez être content. Grâce à vous, on a clôturé notre piscine ! » « M. Hawkins, vous nous avez fait acheter des gilets de sauvetage pour la première fois ! »

Ces témoignages sont de la musique aux oreilles de Raynald Hawkins, impliqué au sein de la Société de sauvetage depuis 35 ans.

« Quand les gens me font part de ça, c’est une bonne nouvelle. Ça veut dire que je ne les verrai jamais dans mes données. »

« Les amis de mes filles m’appelaient Monsieur Noyade… », poursuit-il, mi-figue, mi-raisin, juché sur une table à pique-nique au Centre de la nature de Laval. Au loin, les hurlements stridents des gamins excités par les jeux d’eau se mêlent aux soupirs des parents excédés. La piscine est vide, mais Raynald Hawkins la fixe d’un œil avisé.

Plaisanciers chavirés. Bambins retrouvés au fond d’une piscine. Nageurs disparus après une journée au lac. M. Hawkins décortique tous les drames de noyade depuis des décennies et évalue comment ils auraient pu être évités.

« Je me dis demande fois : qu’est-ce qu’on peut apprendre de ça ? Quelqu’un est mort, mais j’essaye d’intervenir de façon constructive. »

En mode solution

L’enseignant en éducation physique de formation vulgarise avec brio ces épisodes terribles. Raynald Hawkins se considère comme un pédagogue. Est-il fatigué de répéter les mêmes consignes aux Québécois, année après année ?

« Non », rétorque le principal intéressé d’une voix catégorique.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Raynald Hawkins est impliqué au sein de la Société de sauvetage depuis 35 ans, mais déjà, adolescent, il était sauveteur dans les Laurentides.

Expliquer les causes d’une tragédie permet aux gens impliqués de passer au travers. Et d’éviter que le pire ne se reproduise.

Trois décennies de noyades, le nez plongé dans des centaines de rapports du coroner pour décortiquer ces drames ont de quoi rendre blasé et amer n’importe qui. Mais pas Raynald Hawkins. Il carbure à l’espoir et à l’optimisme. Dans les années 1980, on comptait 200 noyades par an au Québec, indique-t-il d’un air pragmatique. À présent, la moyenne est de 80. Signe d’une sensibilisation constante qui porte ses fruits.

Le Québec est d’ailleurs la province où le taux de noyades pour 100 000 habitants a le plus baissé. « On est loin d’être les pires. »

Il aime penser que la Société de sauvetage, organisme à but non lucratif, fait bouger les choses.

Il a connu l’époque du bouche-à-bouche, qui a laissé place à la réanimation cardiorespiratoire, présente dans toutes les formations de sauvetage. « J’ai voulu faire en sorte que ça fasse partie intégrante des enseignements. C’était vraiment important pour moi, donc on a fait pression. »

De sauveteur à expert

Raynald Hawkins a toujours eu un sens aiguisé des responsabilités. À 14 ans, il était sauveteur dans les Laurentides, comme son père avant lui. Puis, à 19 ans, il insiste pour devenir formateur. « J’étais parmi les seuls sauveteurs dans mon patelin à Sainte-Agathe-des-Monts ! Je me disais : il en faut d’autres », explique l’homme de 62 ans.

Ces humbles débuts l’ont conduit à devenir gestionnaire aquatique de la Ville. Il travaille ensuite avec la Société de sauvetage comme directeur, poste qu’il occupe encore aujourd’hui. En plus de collaborer avec le Bureau du coroner, qui émet souvent des recommandations à l’endroit de l’organisme. Son parcours est jalonné de plusieurs formations en Floride et en France.

Il se dévoue ainsi à la cause depuis 35 ans. On lui demande souvent si un de ses proches s’est noyé. Ou s’il vit avec un choc lié à un accident nautique, admet-il avec candeur. La réalité est pourtant dénuée d’histoire déchirante ou de traumatisme de jeunesse. « Je suis toujours surpris qu’on me demande ça. Il n’y a pas de drame. Quand je sens un besoin, c’est comme s’il fallait que je trouve la solution. C’est tout. Pour comprendre le phénomène, on s’est mis à dénombrer [les noyades], à faire de la recherche. »

Derrière chaque noyade, il y a une famille et des proches. Je ne suis pas un témoin et je ne parle pas en leur nom. Mais je peux venir me prononcer avec mon expertise pour que d’autres drames soient évités.

Raynald Hawkins, directeur général de la Société de sauvetage

Les effets de la pandémie

Alors que la semaine de la prévention de la noyade s’amorce, la population démontrera plus de vigilance, espère M. Hawkins.

Les conséquences de la pandémie l’inquiètent également. L’an dernier, 95 noyades sont survenues, soit 15 de plus que la moyenne annuelle provinciale.

Des enfants ont été privés de cours de natation pendant 15 mois. On a aussi formé moins de sauveteurs durant la crise sanitaire. Depuis deux printemps, il ne parvient pas à déployer « Nager pour survivre », un programme sous forme de sortie scolaire créé par la Société de sauvetage pour prévenir la noyade, se désole M. Hawkins.

Mais il ne perd pas espoir. « Quand vous nagez, vous répétez toujours le même mouvement. Apprendre, c’est pareil. Pour que les gens comprennent, il faut répéter. Je ne me tannerai jamais d’éduquer et de sensibiliser. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Ne pas laisser les enfants sans surveillance et porter un gilet de sauvetage sont deux facteurs que Raynald Hawkins considère nécessaires pour éviter une noyade.

Pourquoi se noie-t-on au Québec ?

Toutes les noyades sont évitables : tel est le mantra de Raynald Hawkins. Mais certaines, causées par des éléments anodins, le sont plus que d’autres.

Enfants sans surveillance

« J’ai entendu une femme interdire à son fils d’être dehors en son absence. Je me suis dit : elle, elle a compris. » M. Hawkins a vu passer des dizaines de cas où les enfants étaient seuls, sans surveillance. Il cite le faux sentiment de sécurité par rapport aux piscines hors terre. « La piscine a beau être difficile d’accès ou clôturée, j’ai vu des cas d’enfants qui sont sortis par une fenêtre et ont plongé. »

« Je ne juge jamais les gens à qui ça arrive car chose certaine, je n’étais pas là. »

La peur et la panique

Il y a quelques années, une femme s’est noyée lors d’une activité de rafting. Elle portait pourtant sa veste de flottaison. « On a appris après qu’elle avait une peur bleue de l’eau. Elle paniquait tout au long de l’activité. »

Les gens qui chavirent ou tombent à l’eau ne s’y attendent pas, évidemment. Ils peuvent donc paniquer et hyperventiler. « Pour trouver un point d’accroche, il faut être calme. »

Veste de flottaison

« Je connais des gens qui ont une veste de flottaison pour leur chien, mais pas pour eux », explique M. Hawkins, abasourdi.

Pourtant, le gilet de sauvetage permettrait d’éviter à bien des Québécois de se noyer. Les gens lui confient ne pas penser à enfiler leur gilet durant une activité récréative, tout simplement. « Je fais souvent le parallèle avec une ceinture de sécurité. Peu importe le véhicule – que ce soit une décapotable ou un VUS – et le but du déplacement, on la porte. Pourquoi pas le gilet de sauvetage ? »