La communauté LGBTQ+ s’inquiète de ne plus pouvoir fréquenter les chutes Sainte-Marguerite, dans les Laurentides, un lieu qui a une importance historique pour ce groupe. Des baigneurs dénoncent s’être fait bloquer l’accès au plan d’eau lors de leur passage à une guérite installée dans le stationnement le plus près des lieux. La MRC des Pays-d’en-Haut fait valoir que l’ajout de gardiens répond à des problèmes de sécurité sur le sentier du P’tit Train du Nord, à proximité des fameuses chutes.

Avec la forêt luxuriante et le bruit de l’eau qui coule, les chutes situées à Sainte-Adèle sont véritablement le « havre de paix » dont parle Christian Tanguay, directeur général du centre communautaire LGBTQ+ de Montréal. Mais depuis l’an dernier, la présence de gardiens de sécurité inquiète la communauté qui considère l’endroit comme un espace sûr pour se rencontrer, loin des préjugés. Situées à 1,5 km du stationnement, les chutes font le bonheur des baigneurs et des naturistes.

Lors de son passage le samedi 10 juillet, La Presse a pu observer une guérite de sécurité à l’entrée du stationnement, gérée par la MRC des Pays-d’en-Haut. Le sentier du P’tit Train du Nord était ouvert aux cyclistes, aux coureurs et aux marcheurs.

L’accès aux chutes était interdit pour tous, puisque les terrains qui les bordent appartiennent à des propriétaires privés et à la Ville de Sainte-Adèle. Des baigneurs interrogés sur place ont contourné le problème en affirmant à la guérite qu’ils venaient plutôt marcher.

En 2020, de gros rassemblements ont eu lieu à ces mêmes chutes. La mairesse de Sainte-Adèle, Nadine Brière, explique que « la MRC a dû intervenir l’année dernière suite au fait que les utilisateurs du petit train du Nord n’avaient plus accès au stationnement pour faire du vélo ou de la course à pied ».

« Discrimination fondée sur l’orientation sexuelle »

Des membres de la communauté LGBTQ+ se sentent visés par l’ajout d’une guérite. Félix* (prénom fictif), raconte s’être fait refouler à l’entrée du sentier du P’tit Train du Nord, l’été dernier. « C’était facile de savoir ce que j’allais faire, ce n’était pas du vélo. Je voulais aller aux chutes », se rappelle-t-il. Ce dernier parle du plan d’eau comme « d’un petit paradis sur terre » où les gens sont respectueux et ouverts d’esprit. Cette année, le jeune homme a décidé de changer d’endroit de baignade, pour éviter que le même scénario se produise.

Le 9 juin, Automne, qui désire garder l’anonymat, a déposé un pourvoi en contrôle judiciaire pour demander le retrait de la guérite. Le document stipule qu’en plus des refus en raison des chutes, « d’autres personnes ont également été éconduites du Stationnement par l’agent de sécurité de la [MRC] en raison de leur âge et du fait qu’ils soient ou semblaient être des personnes LGBTQ+, sans qu’ils signalent leur intention de se rendre aux chutes Sainte-Marguerite ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

En plus des cyclistes, des baigneurs empruntent le sentier du P’tit Train du Nord pour se rendre aux chutes Sainte-Marguerite, un plan d’eau désigné comme espace sûr pour la communauté LGBTQ+.

« C’est vraiment le contrôle par les agents de sécurité à l’entrée du parc qui nous préoccupe, a indiqué MMark Phillips, qui représente le demandeur. Comme on allègue dans notre procédure, il a été fait pour des fins de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. »

Une collecte de fonds, mise en ligne le 27 juin par le demandeur du recours judiciaire, a pour but de financer l’action en justice. Elle a rapporté 560 $ jusqu’à présent. Automne a indiqué à La Presse qu’il serait actuellement possible d’emprunter le sentier, si l’on ne mentionne pas les chutes. Ce dernier avance que ces changements seraient dus au dépôt du pourvoi en contrôle judiciaire. « Cela étant dit, il est fort probable qu’une fois que la mobilisation communautaire et légale aura cessé, la sécurité recommencera à refuser toute personne qu’elle soupçonne d’être sur le point de queeriser les sentiers », redoute-t-il.

Controverse autour de la guérite

« On ne veut pas restreindre l’accès, se défend André Genest, préfet de la MRC des Pays-d’en-Haut. Ce n’est pas chez nous. » Ce dernier explique que les gardiens de sécurité informent les marcheurs et les cyclistes de la forte pente dans le secteur. « Notre préoccupation est au niveau de la sécurité », martèle ce dernier en pointant l’achalandage accru depuis l’an dernier.

Christian Tanguay est sceptique. Il évoque l’historique tendu de l’endroit. En 2017, des interventions policières ont mené à la distribution de constats pour nudité et grossière indécence. Les évènements ont fait l’objet d’un reportage de Radio-Canada. M. Tanguay soulève la crainte de se faire interpeller en allant aux chutes.

PHOTO FOURNIE PAR CHRISTIAN TANGUAY

Christian Tanguay, directeur général du centre communautaire LGBTQ+ de Montréal

Ce dernier souhaite l’ouverture d’un dialogue entre les parties prenantes. « Il y a des façons de faire pour que les gens ne sentent pas qu’on essaie de leur rendre la vie pas possible », soutient-il. D’après lui, on demande aux gens de la communauté LGBTQ+ de marcher à la queue leu leu, mais pas aux familles.

« Havre de paix » historique

L’an dernier, Christian Tanguay raconte s’être rendu sur place avec un aîné de la communauté, qui visite l’endroit depuis 40 ans. « C’est un lieu où il est possible d’aller sans se faire examiner du regard ou se faire passer des commentaires », souligne-t-il. Selon lui, ce plan d’eau permet à la communauté d’avoir un lieu de socialisation, tout en profitant d’un site naturel hors des grands centres.

Ces espaces sûrs existent pour une raison, soulève de son côté Daniel Gosselin, directeur général de Diversité 02.

C’est un symptôme de l’homophobie et de la transphobie. Si on était dans une société acceptante et tolérante envers la communauté LGBTQ+, je ne pense pas que ces sites-là existeraient.

Daniel Gosselin, directeur général de Diversité 02

Des mesures de sécurité comme les guérites empêchent de trouver de réelles solutions et d’écouter les besoins des collectivités, selon lui. « Les gens vont juste se déplacer à un autre endroit », affirme Daniel Gosselin.

Ce dernier dénonce le traitement inégal que subit la communauté LGBTQ+. « Il existe aussi des sites [de rencontre] dans le bois pour les hétéros, mais on n’en entend jamais parler, et ça ne semble pas déranger la population. Aussitôt que ça concerne des personnes queers, on dirait que ça dérange plus », conclut-il.

Scénario semblable au Saguenay

Selon Daniel Gosselin, de Diversité 02, la controverse des chutes Sainte-Marguerite rappelle les problèmes vécus à Saint-Jean-Vianney, un espace sûr pour la communauté LGBTQ+ dans la ville de Saguenay. Depuis le 4 mai dernier, un monument et des rochers y ont été installés pour commémorer un glissement de terrain qui a eu lieu en 1971. « Pour moi, c’est vraiment clair dans ma tête, on a mis de grosses roches pour que les gens n’aillent plus sur le site », affirme M. Gosselin. Stéphane Bégin, attaché de presse du cabinet de la mairesse de Saguenay, Josée Néron, rétorque que la présence des rochers veut empêcher la circulation de véhicules, afin de créer un lieu de recueillement. « Rien de tout cela n’a été fait pour bloquer des accès aux groupes LGBTQ+ », a-t-il indiqué.