Une dizaine de milliers de manifestants se sont réunis au parc Jeanne-Mance, jeudi après-midi, pour honorer la mémoire des enfants autochtones disparus et réclamer l’annulation des célébrations de la fête du Canada. Cet évènement s’inscrivait dans le mouvement #CancelCanadaDay, parmi une douzaine d’évènements semblables partout au pays.

Au pied du Monument à George-Étienne Cartier, une marée de chandails orange où l’on pouvait lire « Chaque enfant compte » était rassemblée. Contre le socle, une affiche proclamait « Cancel Canada Day ». « Bring our Children Home » (« Ramenez nos enfants à la maison »), exigeait une autre, juste au-dessous.

« Nous sommes leurs voix »

« Nous sommes ici pour rendre hommage aux enfants des pensionnats qui ne sont jamais rentrés à la maison. Des générations ont été éliminées, ces enfants auraient pu avoir des enfants », se désole Jen Jerome, membre de la communauté mi’kmaq de Gesgapegiag, qui a participé à l’organisation de l’évènement.

En entrevue avec La Presse, cette dernière demande que les institutions responsables des pensionnats fassent l’objet de procédures judiciaires. « Nous sommes la voix des enfants disparus, nous sommes ici pour parler pour eux », conclut-elle.

Cette manifestation survient dans la foulée des tristes découvertes des dernières semaines. La communauté aq’am, de la Première Nation ktunaxa, en Colombie-Britannique, a annoncé mercredi avoir découvert 182 dépouilles enterrées dans des tombes anonymes dans un terrain jouxtant l’ancien pensionnat St. Eugene pour enfants autochtones, près de Cranbrook.

Une semaine avant la fête du Canada, la Première Nation de Cowessess avait révélé qu’un radar avait repéré 751 tombes non marquées sur le site du pensionnat de Marieval, en Saskatchewan. Quelques semaines plus tôt, la Nation tk’emlúps te secwépemc avait annoncé avoir détecté ce que l’on croit être les restes de 215 enfants, dans des sépultures non marquées au pensionnat de Kamloops.

PHOTO ALEXIS AUBIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Dans la foule réunie au parc Jeanne-Mance pour honorer la mémoire des enfants autochtones disparus, des gens essuyaient leurs larmes.

« On le sait que les gens ont le droit de célébrer le Canada, c’est correct, on comprend. Mais c’est important de reconnaître ce qui s’est passé », a souligné Jen Jerome. Cette dernière souhaitait que les mairies des arrondissements de Montréal décrètent une minute de silence lors du 1er juillet. Pour elle, il était important d’agir en ce jour symbolique.

Tristesse et indignation

Dans la foule réunie autour du feu au pied du Monument à George-Étienne Cartier, des gens essuyaient leurs larmes. Un homme distribuait du tabac à jeter dans les flammes, afin que les prières montent au ciel.

« Avant j’étais fière d’être sino-canadienne de troisième génération, mais plus maintenant », lance Janet Lumb, au sujet des découvertes de sépultures d’enfants autochtones près des pensionnats. La manifestante distribuait des affiches autour d’elle pour la marche.

Malika Sabri, présente à la manifestation, espère que les tristes découvertes des dernières semaines canaliseront l’énergie des alliés non autochtones pour agir. « Je pense que c’est important de dénoncer [les injustices] et de soutenir les peuples autochtones. Ce n’est plus suffisant de demander pardon, des actions doivent être faites », a-t-elle soutenu. Emily Thorne abonde en ce sens. « Je suis ici parce que je crois qu’il est important de donner le plus d’attention possible à cette cause », a-t-elle souligné.

Une marche de solidarité et de recueillement

Vers 14 h, des klaxons en soutien aux manifestants ont provoqué un tonnerre d’applaudissements et les tambours ont résonné de plus belle. « Les véhicules de Kahnawake sont arrivés », a-t-on alors annoncé au micro. Le communiqué de l’évènement indiquait qu’un convoi de véhicules de Kanesatake allait aussi participer à l’évènement.

Après quelques chansons et témoignages, les marcheurs ont amorcé leur trajet à partir du parc Jeanne-Mance. La foule a ensuite longé l’avenue du Parc au son des tambours, jusqu’au boulevard René-Lévesque. La place du Canada a été le point final de la marche, où les manifestants se sont recueillis pour entendre à nouveau des orateurs et des musiciens. L’évènement s’est déroulé dans le calme, a confirmé le Service de police de la Ville de Montréal.

Ce que disent les élus

Le député péquiste de Matane-Matapédia, Pascal Bérubé, était présent à la marche de jeudi et a souligné l’importance historique de l’évènement. « C’est important d’être présent et d’écouter », a-t-il déclaré à La Presse. « Le Canada a des zones d’ombre importantes, qui sont connues des autochtones. Maintenant, je pense que les non-autochtones réalisent l’ampleur des sévices infligés aux autochtones et aux enfants autochtones », a ajouté l’élu.

Sur son compte Twitter, la mairesse de Montréal Valérie Plante s’est exprimée au sujet du 1er juillet. « C’est l’occasion de célébrer ce qui nous unit, mais cette année, c’est aussi le moment de réfléchir aux blessures que portent certains de nos compatriotes et d’amorcer une véritable réconciliation », a-t-elle écrit.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a célébré la fête du Canada avec sa famille, en visitant notamment un marché public d’Ottawa.

Dans son communiqué de presse du 1er juillet, le premier ministre Justin Trudeau a souligné l’importance de reconnaître les injustices qui persistent envers les peuples autochtones.

« En tant que Canadiens, nous devons être honnêtes avec nous-mêmes au sujet de notre passé. Nous devons également reconnaître qu’ici, au Canada, certaines personnes ne se sentent toujours pas en sécurité lorsqu’elles parcourent les rues de leur communauté. Il y a encore des gens qui n’ont pas accès aux mêmes possibilités que les autres et qui sont victimes de discrimination et de racisme systémique au quotidien », a-t-il déclaré.

Avec Nicolas Bérubé, La Presse