Loin d’être finie, la vague de chaleur extrême dans l’Ouest canadien a vraisemblablement causé des dizaines de décès depuis vendredi, selon des bilans provisoires des autorités locales. Pour de nombreux résidants et commerçants de la Colombie-Britannique, vivre sous cette chaleur impose des défis importants. Le mercure a même atteint 49,6 °C mardi dans le village de Lytton, un record absolu au pays.

Selon un bilan diffusé mardi par la GRC, 233 décès ont été signalés du 25 juin au 28 juin seulement, ce qui surpasse largement la moyenne de 130 morts quand il n’y a pas de canicule. Tous ces décès font l’objet d’enquêtes, mais a priori, la hausse serait en grande partie attribuable à la chaleur.

« Ce nombre augmentera au fur et à mesure que les données seront mises à jour. J’offre mes condoléances à ceux qui ont perdu un être cher pendant cette période sans précédent », a indiqué la coroner en chef de la Colombie-Britannique, Lisa Lapointe, dans un communiqué mardi soir, en précisant que « les coroners rassemblent soigneusement toutes les informations disponibles pour chaque décès signalé, afin de déterminer la cause et le mode de décès, et si la chaleur excessive a joué un rôle ».

Julien Petit, un guide para-alpin québécois qui s’est rendu à Whistler il y a trois semaines, pour s’entraîner, compose au quotidien avec cette chaleur. « Je suis déjà allé en Arizona au mois d’août et c’est très semblable. Au Québec, une petite brise nous rafraîchit, mais ici, c’est le contraire. Le vent rend le tout encore plus chaud », plaide-t-il.

C’est comme ouvrir la porte du four pour voir ce qui est en train de cuire.

Julien Petit, guide para-alpin québécois, à Whistler

La canicule, qualifiée de dangereuse par Environnement Canada, touche plusieurs régions de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba, et se poursuivra encore pendant plusieurs jours. En plus d’un nouveau record pancanadien, près d’une centaine de régions ont enregistré des températures records. Le village de Lytton a d’ailleurs battu pour la troisième journée de suite un record quotidien de température au Canada. À Vancouver, lundi, la température ressentie frôlait les 40 °C dans les secteurs enclavés.

Pour éviter la chaleur extrême, Julien Petit fait son entraînement dès 6 h. « Le gym où nous allons est climatisé, donc c’est plus confortable que dans notre maison », dit-il. Lundi, la station de ski Whistler Blackcomb a modifié son horaire et fermé certaines télécabines en raison de la chaleur.

Dans sa demeure, M. Petit n’a pas d’air conditionné. Il doit donc se contenter d’ouvrir les fenêtres la nuit pour faire baisser la température.

Il fait très chaud. L’après-midi, tu ne veux simplement pas être dehors, même à l’ombre.

Julien Petit, guide para-alpin québécois, à Whistler

Le plus dur, selon lui, est de continuer ses activités avec cette chaleur. « Même marcher pour se rendre quelque part est difficile, c’est lourd, ça fatigue beaucoup », affirme-t-il.

Une température « insoutenable »

Accompagnés de leurs quatre amis, Éléonore Lachance et Mathieu Dugal cueillent des cerises dans la vallée de l’Okanagan depuis deux semaines. « On commence à travailler tôt, dès 4 h du matin, parce qu’à partir de 8 h, c’est vraiment insoutenable », dit Éléonore Lachance. Ces derniers jours, ils finissent de travailler à 10 h, plutôt qu’à midi. Lorsque leur journée est terminée, ils en profitent pour se rafraîchir à la plage. « On n’a pas le choix, on ne peut rien faire d’autre », lance Mathieu.

PHOTO FOURNIE PAR ÉLÉONORE LACHANCE

Éléonore Lachance et Mathieu Dugal cueillent des cerises dans la vallée de l’Okanagan.

Loin d’être à l’air conditionné, les six cueilleurs québécois dorment dans des tentes. « La chaleur est très intense. On ne dort pas dans notre sleeping », dit Mathieu Dugal en riant. La famille qui les accueille leur a prêté un ventilateur qu’ils ont installé à l’extérieur entre leurs chaises de camping.

« On voit passer des ambulances environ 15 fois par jour. Selon nous, c’est pour des coups de chaleur », suppose Éléonore Lachance. L’air dans la vallée est très sec. « Dès qu’on voit le soleil, on commence à sentir la chaleur, et il n’y a pas de vent », dit-elle.

Des cultures affectées ?

Au sud de l’île de Vancouver, la propriétaire de la ferme South Island Saskatoons, Sharon Vanhouwe, s’attend à une « saison beaucoup plus courte », surtout si la chaleur persiste. « Ce qui est certain, c’est qu’il va falloir travailler beaucoup plus vite pour cueillir les fruits et les réfrigérer rapidement, sinon on pourrait en perdre. Je m’attends à une saison d’environ 10 à 14 jours, alors que normalement, on parle davantage de 3 semaines », illustre-t-elle.

« Malgré tout, de notre côté, on s’en tire bien jusqu’ici. Je pense qu’on est chanceux, parce que j’entends déjà des histoires d’horreur de fruits qui tombent trop tôt et qui ne sont plus vendables », poursuit la femme d’affaires.

Quand on sort à l’extérieur, on peut sentir une pression au visage tellement il fait chaud. C’est à la fois étrange et déstabilisant. Je n’ai jamais vécu ça avant.

Sharon Vanhouwe, propriétaire de la ferme South Island Saskatoons

« C’est impossible de rester à l’extérieur très longtemps. J’ai l’air climatisé chez moi et mes parents, qui ne l’ont pas, sont venus vivre chez moi temporairement », ajoute Mme Vanhouwe, qui rappelle que de nombreux résidants n’y ont pas accès dans la région métropolitaine.

À la GRC, le porte-parole Christopher Manceau rappelle à tous que l’application des règles de base est essentielle. « Si vous le pouvez, ne sortez pas ou bien restez à l’ombre. Ayez beaucoup d’eau avec vous, et surtout, ne restez pas dans votre voiture. Quand il fait plein soleil, il faut vraiment éviter d’aller à l’extérieur. Si vous ne vous sentez pas bien, appelez le 911 pour qu’on vienne vous chercher. Et si vous avez un ami ou un proche âgé, appelez-le pour voir comment il va », souligne-t-il.

Des nuits pénibles

Pendant la journée, Maxence Baudry, enseignant au primaire à North Vancouver, tente de trouver les endroits les plus frais. « Il y a une vraie différence entre les parties végétalisées et les rues sans arbre, alors j’essaie de sortir dans les endroits les plus dans la nature, proche des rivières ou de la mer », dit-il.

Environnement Canada a prévenu les citoyens que la canicule est « inquiétante », car les températures demeurent élevées pendant la nuit, avec des minimums nocturnes de plus de 20 degrés. Pour Maxence Baudry, les nuits chaudes rendent la canicule particulièrement difficile.

PHOTO FOURNIE PAR MAXENCE BAUDRY

Maxence Baudry, enseignant au primaire à North Vancouver

Le soir, l’enseignant prend jusqu’à quatre douches froides pour se rafraîchir. « Je dors aussi sur une serviette humide et j’ai un vaporisateur à portée de main. Malgré tout, les nuits sont difficiles, et il est dur de trouver le sommeil. Au réveil, on n’a pas l’impression d’être reposé », raconte-t-il. La chaleur extrême qui sévit en Colombie-Britannique a forcé certains districts scolaires à annuler les cours. Plusieurs cliniques de vaccination ont également pris la décision de reporter les rendez-vous.

« C’est complètement absurde »

Pour Charles Thibodeau, infirmier auxiliaire à Vancouver et ancien résidant de Montréal, la canicule est particulièrement pénible en temps de pandémie. « Nous n’avons pas le droit de boire à l’intérieur de l’hôpital, puisque nous ne pouvons pas retirer le masque. C’est complètement absurde », s’exclame l’infirmier, qui a préféré taire le nom de l’hôpital où il travaille par peur de représailles.

Le personnel a seulement l’autorisation de sortir à l’extérieur toutes les deux heures pour prendre l’air, enlever l’équipement médical et boire.

Mon équipe médicale et moi souffrons de la chaleur pour porter assistance à des personnes en situation de détresse.

Charles Thibodeau, infirmier auxiliaire à Vancouver

La situation n’est pas plus réjouissante pour les patients, qui n’ont pas accès à l’air conditionné dans leur chambre, à moins de débourser 300 $ par mois. « Si le bénéficiaire hospitalisé ne veut pas payer pour un service d’air conditionné dans sa chambre, malheureusement il est à risque de tomber dans les pommes au moment des grosses chaleurs », déplore M. Thibodeau.

En dehors de ses heures de travail, M. Thibodeau va se rafraîchir à la plage. « Je vais à la plage avec mon paddleboard et je me jette à l’eau. C’est ce qui me permet de passer à travers la canicule », dit-il. À son avis, les températures ne se comparent pas du tout à celles du Québec. « Montréal, c’est humide. Vancouver et le reste de la Colombie-Britannique, c’est chaud et très sec », indique-t-il.

La vague de chaleur en chiffres

49,6 °C

La région de Lytton, au nord-est de Vancouver, a enregistré mardi une température de 49,6 °C, soit la température la plus élevée jamais mesurée au Canada. La précédente marque de 45 °C avait été enregistrée dans deux villes de la Saskatchewan, le 5 juillet 1937. « C’est la plus chaude température jamais enregistrée au nord du 55e parallèle dans le monde », affirme Simon Legault, météorologue chez Environnement Canada.

25 incendies de forêt

À l’heure actuelle, il y a 25 incendies de forêt actifs en Colombie-Britannique, dont 16 nouveaux dans les deux derniers jours. Ils se situent principalement dans la région de Kamloops, dans le sud de la province. « Ce ne sont pas des feux problématiques pour le moment, mais ça pourrait le devenir rapidement. Avec autant de chaleur et de sécheresse, le risque d’incendie de forêt est très élevé, et il pourrait y avoir des propagations très rapides », affirme M. Legault.

10 régions

Au total, 10 régions de la Colombie-Britannique et de l’Alberta ont battu un record historique de chaleur lundi. Par ailleurs, 95 régions de l’Ouest canadien ont battu un record de température pour un 28 juin. « Le dôme de chaleur est tellement intense que des records ont été battus partout », soutient le météorologue.

3 jours

Les températures torrides devraient se poursuivre encore trois jours dans l’ouest du pays. La vague de chaleur se poursuivra ensuite dans les Prairies jusqu’à la semaine prochaine. « Le dôme de chaleur se déplace tellement lentement vers l’est qu’il ne se rendra pas au Québec », précise M. Legault.

Un dôme de chaleur

La vague de chaleur s’explique par un phénomène appelé « dôme de chaleur », soit une masse d’air très chaude qui s’installe sur une région et qui ne bouge pas. « Le courant atmosphérique, censé chasser cette masse d’air, fait plutôt le tour du dôme de chaleur, créant un blocage », explique Simon Legault, météorologue chez Environnement Canada. L’intensité du dôme est également accentuée par le phénomène climatique La Niña. Cette masse d’air chaud se déplace très lentement vers l’est, ce qui explique la longue durée de la canicule. Bien que l’intensité de cette vague de chaleur soit exceptionnelle, de tels phénomènes pourraient se reproduire de plus en plus fréquemment avec les changements climatiques, indique le météorologue. « Ce dôme de chaleur bouge jusqu’à l’Alberta mercredi. Autour de Vancouver, ça pourrait être un peu plus tolérable, mais encore significatif », a prévenu Christopher Manceau, de la GRC.