Un concierge a été surpris en train d’espionner des étudiantes dans les toilettes des femmes, à McGill. Malgré une première plainte contre lui en décembre, McGill a attendu qu’une deuxième victime se manifeste six mois plus tard – avec une vidéo – pour le congédier. Trois étudiantes témoignent pour éviter que l’histoire ne se reproduise ailleurs.

Courtney Smith, 27 ans, est doctorante en pharmacologie à l’Université McGill de Montréal. L’automne dernier, elle constate qu’un nouveau concierge dans le pavillon McIntyre des sciences médicales a un comportement dérangeant. Il s’attarde dans son laboratoire, fixe du regard les étudiantes et se tient souvent à l’entrée des toilettes des femmes. La Presse ne peut pas identifier cet homme, puisqu’aucune accusation n’a encore été portée contre lui.

« Puis, j’ai commencé à remarquer que quand j’étais seule le soir – je travaille généralement les soirées –, lorsque j’allais aux toilettes, j’entendais la porte s’ouvrir et quelqu’un entrer, raconte Courtney Smith. Quand je tirais la chasse d’eau, la personne ouvrait la porte et sortait. Donc j’ai essayé de voir de qui il s’agissait. »

Dans sa déclaration déposée au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) le 28 juin, Courtney Smith raconte la suite : le 10 décembre 2020, vers 20 h, elle se rend aux toilettes du 13étage du pavillon McIntyre. Comme plusieurs autres fois auparavant, elle entend quelqu’un entrer en catimini derrière elle. Elle sort alors précipitamment du cabinet et surprend le concierge en train de s’enfuir dans les escaliers.

Plainte au Service de sécurité de McGill

Courtney Smith décide de porter plainte au Service de sécurité de McGill et informe, dans un courriel que La Presse a obtenu, son directeur de laboratoire. Le lendemain, elle envoie au Service de sécurité des photos du concierge se tenant devant la porte des toilettes des femmes. Elle attend une réponse, en vain.

PHOTO FOURNIE PAR COURTNEY SMITH

Photo prise en décembre 2020 du concierge, au pavillon McIntyre. Derrière lui, à gauche, se trouve la porte des toilettes des femmes.

Une semaine plus tard, la doctorante rappelle le Service de sécurité. On lui répond que le concierge a nié les accusations. « Ils m’ont dit : ‟Tu n’as aucune preuve », donc tant pis, en fait. Et le lendemain, il était de retour sur mon étage, de retour à la salle de bains », dénonce-t-elle.

Je me suis sentie comme si je n’étais pas en sûreté, comme si personne ne se souciait de notre sécurité, de la sécurité des femmes de notre laboratoire.

Courtney Smith, doctorante en pharmacologie à l’Université McGill

« Après ça, j’avais tellement peur d’utiliser les toilettes de notre étage que j’ai commencé à descendre les escaliers pour utiliser celles du 11étage », ajoute-t-elle dans sa déclaration à la police.

Six mois plus tard, à la mi-juin, Courtney Smith reçoit l’appel d’une autre étudiante, qui vient malheureusement de vivre la même chose. Cette fois, le voyeur a été filmé en pleine action.

Une preuve accablante

La Presse a obtenu une copie de cette vidéo angoissante, dont l’auteure, une deuxième étudiante du même département, a demandé de conserver l’anonymat par crainte de représailles de McGill. Le 12 juin à 16 h 57, alors qu’elle se trouvait dans les toilettes des femmes du 12étage du pavillon McIntyre, cette étudiante a vu une ombre sur le plancher. Instinctivement, elle a utilisé son téléphone pour voir s’il y avait quelqu’un de l’autre côté de la porte de son cabinet.

Dans un silence inquiétant, la vidéo montre pendant presque deux minutes les pieds d’un homme qui piétine de l’autre côté de la porte. Puis, sans bruit, l’homme s’accroupit et penche la tête pour regarder sous la porte. Son regard rencontre directement l’objectif de la caméra, dans le cabinet où se trouve l’étudiante. Elle lui demande de sortir d’une voix tendue et l’intrus quitte les lieux.

Infraction à caractère sexuel

Le voyeurisme est une infraction à caractère sexuel. Au Canada, c’est un crime d’observer « en secret une personne dans une situation où elle a droit à son intimité », selon Éducaloi.

« J’ai eu vraiment peur, parce que je ne savais pas quelles étaient les intentions de cet homme », a affirmé en entrevue cette deuxième étudiante de McGill. Le jour de l’intrusion, elle a averti le Service de sécurité de McGill, à qui elle a envoyé la vidéo et une description des évènements. Elle n’avait pas eu vent de l’histoire de Courtney Smith avant d’être victime de ce voyeur. Elle a aussi porté plainte au SPVM contre le concierge, le 28 juin.

Une troisième étudiante du même département, qui a également demandé l’anonymat par crainte de représailles de McGill, a aussi porté plainte à l’université, le 14 juin. En entrevue avec La Presse, cette jeune femme a expliqué qu’elle se sentait de moins en moins en sécurité en présence de ce concierge, depuis des mois.

Il bloquait l’entrée des toilettes des femmes, et il y a même des fois où je me suis empêchée d’aller aux toilettes tellement j’étais inconfortable.

Une étudiante du département de pharmacologie et de thérapeutique qui a demandé l’anonymat par crainte de représailles de McGill

Dans un courriel de plainte envoyé notamment au directeur du département de pharmacologie et thérapeutique de McGill, elle explique : « Il [le concierge] est entré dans les toilettes des femmes du 13étage pendant que je les utilisais, sans s’annoncer. […] Il vient aussi dans notre lab tous les jours, au moins une fois, il prend nos gants et il nous fixe d’une façon troublante. »

Congédié par McGill

La plainte de la deuxième étudiante, soutenue par la vidéo, a eu un effet rapide – contrairement à la plainte de Courtney Smith. Le concierge a récemment été congédié par McGill, a indiqué l’Union des employés et employées de service. Le représentant syndical Joël Gagnon a affirmé à La Presse que le concierge serait représenté par son syndicat comme tout autre employé et qu’une enquête allait être menée. Du soutien a aussi été offert par McGill aux étudiantes concernées.

McGill a décliné la demande d’entrevue de La Presse. « L’Université n’est pas légalement autorisée à répondre à des questions qui révéleraient des informations personnelles sur un membre de la communauté de McGill, impliquant un étudiant ou un membre du personnel », a indiqué par courriel Cynthia Lee, directrice adjointe des relations avec les médias.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Les actes de voyeurisme se sont produits aux 12e et 13étages du pavillon McIntyre des sciences médicales de McGill.

La Presse a offert au concierge de donner sa version des faits, tant par l’entremise de McGill que de son syndicat, sans réponse de sa part.

« L’Université prend la question du harcèlement et des agressions sexuelles très au sérieux et elle agit immédiatement lorsque des informations sont portées à sa connaissance », a précisé Cynthia Lee. La plainte de Courtney Smith, en décembre, est pourtant restée sans suite, avec les conséquences que l’on connaît. Aussi en décembre, il a fallu une pétition signée par 50 000 personnes pour que McGill lance une enquête sur d’autres allégations d’inconduites sexuelles sur son campus, d’après Radio-Canada.

Besoin d’aide ?

Ligne-ressource provinciale pour les victimes d’agression sexuelle (service d’écoute et de référence pour toute personne touchée par de la violence sexuelle) : 1 888 933-9007

Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS)

Consultez le site du RQCALACS

Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP)

Consultez le site du DPCP