Depuis le printemps, les lapins gambadent et se multiplient à Sainte-Julienne, dans Lanaudière. Si certains se réjouissent de voir ces herbivores dans leur cour, d’autres déplorent les plates-bandes et jardins dévorés. Au-delà des considérations humaines, le sort des lapins inquiète des gens qui veulent leur venir en aide.

À Sainte-Julienne, difficile de trouver d’où viennent les lapins domestiques à l’origine de la colonie. Ont-ils été abandonnés ou se sont-ils enfuis ? Chose certaine, les résidants ont constaté l’an dernier la présence accrue de ces mammifères sur leurs terrains, et cette année est pire. « Au début du printemps, on parlait d’une colonie de 80 lapins », estime Jenyfer Charron, bénévole au refuge Sauvetage lapins et compagnie de Lanaudière. Depuis, une trentaine d’entre eux ont été secourus, selon elle.

Puisque les lapins sont les champions de la reproduction, la situation peut vite dégénérer. « Une femelle peut se reproduire chaque mois et avoir de grosses portées », explique Jean-Pierre Tremblay, professeur au département de biologie de l’Université Laval. Avec une moyenne de six lapereaux par portée et une maturité sexuelle rapide, les lapins présentent en tous points les caractéristiques d’une espèce envahissante, selon lui.

La cohabitation avec les lapins ne laisse personne indifférent. Nelly Therrien, une résidante de 19 ans, dit aimer se réveiller avec la vision de quatre ou cinq lapins qui bondissent sur sa pelouse. « J’espère que ça ne s’arrêtera pas », dit-elle.

PHOTO FOURNIE PAR NELLY THERRIEN

Des lapins photographiés au printemps 2021, devant chez Nelly Therrien, résidante de Sainte-Julienne

« Il y a deux clans, résume la résidante Lyne Robin. Un qui s’en fout et un qui veut sauver les lapins. » Elle-même à l’occasion famille d’accueil pour des lapins, elle constate que la grogne monte chez les résidants dont les jardins sont détruits.

Que les lapins plaisent ou non, la chercheuse en éthique animale Valéry Giroux rappelle qu’ils sont là à cause des humains. Notre responsabilité envers eux est donc indéniable.

Le fait de trouver ça cute, des lapins en liberté, ou au contraire d’être emmerdé par eux parce qu’ils causent certains dommages, ce sont des considérations qui ne font pas le poids devant les intérêts liés à leur bien-être.

Valéry Giroux, chercheuse en éthique animale

Avec son équipe, Jenyfer Charron s’est rendue à Sainte-Julienne le 19 juin pour recueillir des lapins errants. Car contrairement aux lièvres, ces animaux domestiques ne sont pas faits pour la vie sauvage. « Beaucoup de lapins sont mangés par des renards ou des coyotes », déplore la bénévole, qui s’implique soirs et fins de semaine auprès des lapins, en plus de son emploi à temps plein.

C’est qu’en plus des prédateurs animaux, les petits herbivores ne sont pas à l’abri des humains. Dans d’autres municipalités, des citoyens décident de s’en débarrasser eux-mêmes parce qu’ils les jugent nuisibles, raconte Jenyfer Charron. Sans compter l’hiver, où les lapins peinent à subvenir à leurs besoins et meurent en grand nombre.

Besoin criant dans les refuges

Le manque de places dans les refuges met un frein aux missions de sauvetage. Puisque Sauvetage lapins et compagnie affiche complet jusqu’en septembre, difficile de fournir un toit aux lapins afin qu’ils soient ensuite adoptés. « Présentement au Québec, c’est un fléau », déplore Jenyfer Charron. Et le problème ne se limite pas aux lapins déjà errants. « Les gens qui nous appellent pour abandonner leurs lapins domestiques sont mis sur une liste d’attente », précise-t-elle.

Pour Valéry Giroux, la situation est intenable. Une volonté politique et des ressources sont nécessaires afin de créer des sanctuaires de lapins, affirme cette dernière.

Contactée par La Presse, la mairie de Sainte-Julienne a indiqué n’avoir mandaté personne pour s’occuper des lapins. « La municipalité recommande aux citoyens de faire appel à la SPA régionale (notre contrôleur animalier) pour la location de cages s’ils désirent capturer les lapins », a écrit à La Presse Carol Foley, directrice du service aux citoyens et des relations employés de Sainte-Julienne.

En attendant, des familles de Sainte-Julienne se portent volontaires pour accueillir des herbivores. Pistache, le lapin de la résidante Annie Carrier, visitait régulièrement son terrain avant qu’elle décide de l’adopter. D’abord réticent, il est vite devenu un membre de la famille. « Il vient se coller avec moi sur le divan », raconte-t-elle.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

D’abord réticent, Pistache est bien vite devenu un membre de la famille d’Annie Carrier.

Qui dit surpopulation de lapins dit augmentation de prédateurs pour les chasser. « Moi, je ne laisse plus sortir mon chat », souligne Lyne Robin, inquiète. Jean-Pierre Tremblay craint plutôt pour la vie d’espèces indigènes comme des rongeurs ou des oiseaux. « Mais ça dépend si la population de lapins se maintient ou non », relativise-t-il.

Ailleurs dans le monde, le phénomène des lapins à l’assaut des villes n’est pas nouveau. « Sous nos latitudes, nous avons été préservés de ces problèmes, constate Jean-Pierre Tremblay. Avec l’hiver, cela limite les reproductions. » Par ailleurs, cela pourrait changer avec les changements climatiques, prévient le professeur.

Abandon de lapin, que dit la loi ?

Selon l’article 5,6 de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, le propriétaire ou la personne ayant la garde de l’animal se doit de veiller à ce qu’il ne soit pas blessé, malade ou souffrant. « Ce n’est donc pas le fait de relâcher en nature qui serait illégal, mais les conséquences », résume Élise Desaulniers, directrice générale de la SPCA de Montréal.