Le marché locatif leur sourit et on les dit insensibles à la réalité des locataires. Pourtant, les propriétaires ne sont pas étrangers aux récits cauchemardesques. Défauts de paiement, locataires insalubres ou non-respect des conditions du bail : La Presse est allée à la rencontre de propriétaires ayant connu l’horreur.

« Pour se venger, ils ont tout saccagé »

Rénovictions, loyers exagérés, immeubles mal tenus : beaucoup a été dit sur les mauvais propriétaires. Mais qu’en est-il des locataires impossibles, ceux qui laissent les logis dans des états qui dépassent tout ce qu’on peut imaginer ? À l’approche du 1er juillet, coup d’œil sur l’envers de la médaille.

Les jeunes « avaient l’air corrects » et ils avaient les moyens de payer le loyer pour un mois. Ça ira sûrement, s’est dit la propriétaire qui s’apprêtait à vendre son condo de luxe et qui avait plus de mal qu’à l’habitude à trouver des locataires en pleine pandémie. Ce qu’elle ignorait, c’est que ces jeunes, en quête de popularité sur l’internet, y feraient une petite mise en scène pour démontrer à quoi ça ressemble, un appartement dont on laisse déborder le bain et tout inonder jusqu’au salon.

Ce que ça donne, dans les faits ? Des accusations de vandalisme pour les locataires qui devront se présenter devant les tribunaux et quelque 40 000 $ de dégâts pour la propriétaire qui a demandé l’anonymat en raison du processus en cours.

Dans la vie de propriétaires, il n’y a pas que les gros dégâts d’eau, comme en témoignent les décisions rendues par le Tribunal administratif du logement (ancienne Régie du logement) au cours des derniers mois.

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Un logement laissé dans un état déplorable

Il y a parfois « l’animal domestique du locataire, un rat, qui cache la nourriture qu’il trouve, entre autres dans les tiroirs ». Ou alors un serpent qui inquiète les voisins ou une moto dans la cuisine.

Certains extraits de jugements témoignent du quotidien pas toujours joyeux de certains propriétaires.

Il y a même des excréments de cochon d’Inde et de chien sur les planchers et plusieurs seaux ouverts contenant de l’urine (vu les problèmes d’incontinence du locataire). Les voisins se plaignent des odeurs.

Extrait d’un jugement rendu par le Tribunal administratif du logement

Dans ce dossier, le Tribunal a d’abord rendu « une ordonnance de la dernière chance », faisant promettre au locataire d’être propre à l’avenir. « La preuve révèle que le logement était dans un état insalubre, mais que la situation s’est améliorée récemment. Il y a une lueur d’espoir […]. »

Quelques mois plus tard, le propriétaire a dû retourner devant le Tribunal administratif du logement. Le logement était toujours aussi sale. Le locataire a finalement pu être expulsé.

Des deuxièmes et troisièmes chances, Donata De Luca, dont la famille loue des appartements depuis 40 ans, assure en avoir donné beaucoup au fil des ans, sachant que la vie porte souvent des coups durs comme des pertes d’emploi ou des maladies.

Mais là, la pandémie a le dos trop large. « Quand je vais chercher le loyer, il y en a qui me disent de ne pas passer, qu’ils ont la COVID. À les croire, il y en a qui ont la COVID à répétition ! »

Là, ça suffit, je ne serai plus gentille. Ça m’a coûté trop cher. Mais c’est difficile d’être comme ça, ce n’est pas dans ma nature.

Donata De Luca, propriétaire

Récemment, l’un de ses locataires a laissé son logement dans un état lamentable, « avec des crottes d’animal partout, un gros stock de bouteilles de bière » et un grand nombre de pneus. « C’est tellement compliqué d’aller à la Régie, on ne le fait plus trop, dit Mme de Luca. On n’a plus confiance. »

« Il y a peut-être un feu chez nous… »

En pleine entrevue, Stéphanie – qui demande de ne pas révéler son nom de famille, mais qui a accepté d’être prise en photo – s’interrompt. Un ami vient de lui envoyer une photo d’un incendie qui semble provenir de son immeuble.

Finalement, c’était plus loin. « Je suis tout le temps sur le qui-vive. »

En janvier, elle consent à louer son condo alors qu’elle souhaite elle-même vivre sa pandémie en région. Les locataires et elle s’entendent verbalement pour une occupation initiale d’un mois, à réévaluer.

En mars, Stéphanie reçoit une « facture d’électricité faramineuse ». Les forts effluves de cannabis l’amènent à se demander si les locataires n’en font pas la production.

Des visites au condo – qu’elle doit annoncer et pour lesquelles elle se fait accompagner par des policiers obligés de rester en retrait – ne la rassurent pas. Les placards ne lui sont pas accessibles et elle n’a pas pu soulever ce qu’il y avait sous une grande nappe.

Au début de mai, les locataires n’ont pas payé et ils devaient partir le 31. Ils ne l’ont pas fait.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

« Je suis tout le temps sur le qui-vive », raconte Stéphanie, propriétaire.

J’ai l’impression que mon condo est pris en otage. J’ai bon espoir d’obtenir gain de cause, mais à la Régie, où je serai entendue en juillet, il faut que j’attende qu’on soit rendu à mon dossier.

Stéphanie, propriétaire

Elle s’en veut beaucoup d’avoir compati avec ce couple qui, en plein janvier, n’arrivait pas à se loger. « C’est pour cela que je tenais à témoigner. À combien d’autres personnes ont-ils fait le même coup avant moi ? »

Selon Véronique Tremblay, propriétaire d’appartements au Saguenay, « un locataire pourrait aller de logement en logement pendant 20 ans sans payer, mais sans jamais avoir de répercussions », chaque cause étant prise isolément.

Ce qui l’a pour sa part traumatisée, c’est ce couple qui se disputait si violemment que les voisins craignaient que « ça finisse par un mort », dit-elle.

La résiliation de bail a été obtenue après de longs délais, note Mme Tremblay. « Mais avant de partir, pour se venger, ils ont tout saccagé. »

« Un rôle social » qui n’est pas celui des proprios

Hans Brouillette, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), fait observer qu’avec le vieillissement de la population et le nombre croissant de personnes démunies qui habitent seules, on demande de plus en plus souvent « à des propriétaires de plex […] de jouer un rôle social qui n’est pas le leur ».

Il cite les exemples de personnes souffrantes qui sont incapables de laver leur salle de bains ou celles avec des problèmes de santé mentale, notamment celles atteintes du syndrome de Diogène les amenant à accumuler des biens de façon compulsive.

Avant d’accepter un locataire, tout propriétaire doit certes faire une enquête sérieuse à son sujet, relève M. Brouillette. Et cela ne se résume pas à l’enquête de crédit. « Il faut voir si la personne a des sources de revenus, vérifier ses antécédents d’emploi, vérifier son dossier judiciaire. Autrement dit, a-t-il la capacité de payer et a-t-il un bon comportement ? »

Bien sûr, il peut toujours y avoir des surprises, mais de façon générale, entre propriétaires et locataires, la majorité du temps, ça se passe bien, fait observer M. Brouillette. Or, quand ça ne va pas, les longs délais laissent les victimes seules à elles-mêmes.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Hans Brouillette, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec

Nous avons été informés d’un cas de logement si encombré que le logement avait été mis sous scellé en raison du risque d’incendie. Le processus pour la résiliation de bail a quand même pris trois mois.

Hans Brouillette, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec

Il faut en finir avec l’image du gros méchant propriétaire richissime, dit pour sa part Mylène Beaudoin, gestionnaire immobilière, qui souligne que c’est loin d’être le cas de tous. « J’ai des employés à payer, des concierges à temps plein, des hypothèques à rembourser. Juste cet été, je fais refaire deux toits et des balcons. »

Extraits de décisions rendues depuis le début de 2021 par le Tribunal administratif du logement

  • « Le concierge affirme que plusieurs personnes différentes entrent et sortent du logement. Certains de ces visiteurs sont des itinérants qu’il a déjà vus dormir à la station de métro. »
  • « Le fait de recevoir des invités augmente indéniablement le nombre de bouteilles vides, ce qui, selon l’exterminateur, constitue un facteur aggravant la présence de coquerelles. »
  • « Le locataire […] reconnaît cet état des faits, admettant avoir possiblement eu près de 200 sacs poubelles remplis de canettes chez lui jusqu’à la fin juillet 2020. C’est vrai, admet-il, il y avait des sacs jusqu’au plafond. Il explique disposer de ressources financières limitées et, avec un adolescent à charge, les revenus tirés de la consigne de canettes vides lui sont nécessaires. »
  • « Le locataire a trois chiens et il ne ramasse pas les excréments qui se trouvent dans la cour, ce qui dégage une odeur nauséabonde. Puis, afin d’éviter que les chiens aillent sur les étages supérieurs, le locataire condamne l’escalier de secours, ce qui ne respecte pas les règles de sécurité. » 

« Un enjeu de santé publique »

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Un logement à louer au centre-ville de Montréal

Le Tribunal administratif du logement – anciennement appelé Régie du logement – est très sollicité. Au total, 27 431 demandes (à 85 % faites par les propriétaires) sont en attente, selon le plus récent décompte disponible. Le délai moyen entre l’ouverture et la fermeture d’un dossier, toutes catégories confondues, est de 6,9 mois.

Dans les statistiques, les nombreuses causes de non-paiement de loyer, qui, elles, sont traitées en moins de deux mois, masquent cependant le fait que les causes ayant trait à l’insalubrité « prennent des années », dit Martin Gallié, professeur au département de sciences juridiques de l’UQAM.

Avec des délais aussi longs, on peut comprendre que ni les propriétaires ni les locataires n’aient confiance dans le système judiciaire.

Martin Gallié, professeur au département de sciences juridiques de l’UQAM

Si ses recherches ont surtout porté sur le sort des locataires, Martin Gallié estime que les propriétaires n’ont pas à assumer le rôle d’assistants sociaux. Mais quand ils sont autorisés à expulser un locataire, la question reste entière : où pourra-t-il se reloger ? « Le problème est politique », insiste M. Gallié.

Quand il est question de moisissures ou d’insalubrité de façon générale, M. Gallié souligne qu’il s’agit d’un enjeu de santé publique.

Davantage de logements sociaux

Véronique Tremblay, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), relève pour sa part que certains locataires n’ont pas les revenus nécessaires pour se payer un logement décent – « ce qui est un droit » – et que de cela découle un certain nombre de dossiers du genre au Tribunal administratif du logement.

Non, dit-elle, « les propriétaires privés ne devraient pas répondre à tous les besoins ». La solution, à son avis, passe par davantage de logements sociaux.

M. Gallié plaide pour que le Québec adopte à tout le moins un système gouvernemental d’inspection semblable à celui dont se sont dotées de grandes villes américaines comme Chicago, Philadelphie ou Washington, les fix-it courts. « Il nous faut un service public compétent, avec un nombre suffisant d’inspecteurs qui se déplacent sur les lieux rapidement. »

Le porte-parole de la CORPIQ, Hans Brouillette, rappelle que la loi a été modifiée en 2019. C’est alors que la Régie du logement a changé de nom et que certaines façons de faire ont été modifiées. Mais selon M. Brouillette, le gouvernement n’est pas allé assez loin et les problèmes de fond n’ont pas été réglés. Par exemple, la loi « a donné le pouvoir aux juges de fermer la porte à certains recours abusifs, comme les demandes de remise à répétition, mais c’est laissé à la discrétion du juge ».

La CORPIQ aurait préféré, dit-il, que des dommages punitifs soient imposés aux locataires qui y vont de recours abusifs.