L’ajout de milliers de logements au projet Royalmount provoque des frictions à Mont-Royal. De grandes entreprises du parc industriel voisin craignent que la cohabitation soit difficile dans ce secteur où le risque de fuite d’ammoniac peut entraîner des évacuations d’urgence et où des centaines de camions lourds circulent jour et nuit, a appris La Presse. Déjà, le promoteur a dû s’ajuster.

Aucun des occupants du parc industriel n’a accepté d’accorder une entrevue. Plusieurs sources confirment toutefois que des réunions et des échanges ont eu lieu à ce sujet entre des entreprises privées, des fonctionnaires et des élus à l’approche des consultations publiques qui débutent ce mardi sur le gigantesque projet de développement.

Le Royalmount était initialement prévu comme un centre commercial. Le zonage pour cette première version a déjà été approuvé par la Ville de Mont-Royal. La consultation est toutefois le préalable à un nouveau changement de zonage, qui permettrait au promoteur de bonifier son projet en ajoutant 3250 condos sur le site.

Deux conseillers municipaux, qui jugeaient la procédure trop expéditive, ont été expulsés du parti du maire de Mont-Royal le mois dernier, provoquant une crise au conseil qui pourrait d’ailleurs repousser encore davantage la construction.

Alertes téléphoniques au besoin

Selon nos sources, l’un des voisins ayant manifesté son inquiétude est le géant de l’alimentation Kraft Heinz, qui produit dans son usine de Mont-Royal 90 % des aliments vendus par l’entreprise au Canada, incluant le macaroni Kraft Dinner.

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L’usine Kraft Heinz de Mont-Royal

Comme bien des usines de transformation alimentaire, les installations de Kraft Heinz utilisent des systèmes de refroidissement à l’ammoniac. En cas de fuite, le gaz peut irriter les voies respiratoires, les poumons, les yeux et la peau.

Des plans d’urgence existent pour alerter ou évacuer les personnes présentes dans un rayon d’environ un kilomètre au besoin. Selon nos sources, les autorités municipales ont été avisées que la tâche serait alourdie par l’apparition de tours de condos à proximité.

Questionnés à ce sujet, la Ville de Montréal et le ministère de la Sécurité publique se sont faits rassurants. Des mesures ont été prises pour que tous les occupants du secteur soient avertis rapidement, peu importe leur nombre.

« Montréal travaille en étroite collaboration avec l’usine Kraft afin de prévenir et prévoir les actions à prendre en cas de fuite toxique », assure Mélanie Gagné, porte-parole de la Ville de Montréal. Selon elle, des appels téléphoniques automatisés pourraient être utilisés pour joindre un grand nombre de personnes rapidement.

« Des démarches ont également été effectuées avec le Centre des opérations du ministère de la Sécurité publique afin de préparer un message d’alerte à la population, lequel pourrait être diffusé par l’intermédiaire du système Québec En alerte », ajoute Marie-Josée Montminy, porte-parole du Ministère.

Bruit, poussière et circulation

D’autres entreprises entrevoient une cohabitation difficile si des condos apparaissent au Royalmount. C’est le cas de Dollarama, dont le centre de distribution est situé juste à côté du site. La Presse a obtenu une lettre envoyée au maire de Mont-Royal par une vice-présidente de l’entreprise, Josée Kouri, dans laquelle elle s’inquiète « du bruit, de la poussière et de la circulation des véhicules lourds » qui sont des réalités normales d’un parc industriel, mais risquent de provoquer « des enjeux de cohabitation évidents » avec les futurs résidants.

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Josée Kouri, vice-présidente de Dollarama, s’est inquiétée dans une lettre envoyée au maire de Mont-Royal « du bruit, de la poussière et de la circulation des véhicules lourds ».

Le fabricant de cartons et d’emballages WestRock, installé à proximité, a aussi soulevé la question de la circulation de camions, selon nos informations.

Une source a confirmé à La Presse qu’un grand cabinet d’avocats a été sollicité par un voisin à ce sujet. L’avis juridique fourni par deux avocats précisait qu’en vertu de la jurisprudence actuelle, les industries pourraient être forcées de dédommager les nouveaux résidants pour les désagréments causés, même si elles étaient présentes dans le secteur avant eux.

Des pistes de solution

Le maire de Mont-Royal, Philippe Roy, dit être au courant des inquiétudes. Il assure que le projet a déjà été ajusté pour en tenir compte. Les tours de condos seront érigées le plus loin possible du parc industriel, promet le maire, qui ne se représente pas aux élections l’automne prochain.

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Philippe Roy, maire de Mont-Royal

Au début, Carbonleo voulait du résidentiel beaucoup plus à l’ouest, mais notre vision ne concordait pas avec la leur. On a dit que c’était trop près de Kraft et Dollarama. On ne va jamais accepter que les résidants aillent là. Il va y avoir une zone tampon entre l’usine Kraft et le résidentiel.

Philippe Roy, maire de Mont-Royal

Le président et chef de la direction de Carbonleo, Andrew Lutfy, souligne que c’est précisément pour être à l’écoute des groupes citoyens et de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, qu’il a bonifié son projet de simple centre commercial pour ajouter des logements. Il croit qu’une zone tampon formée de commerces entre ses tours de condos et le parc industriel éliminera les frictions. Il souligne que 7000 personnes travaillent déjà dans ce secteur chaque jour, sans crainte des fuites d’ammoniac.

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Andrew Lutfy, président et chef de la direction de Carbonleo, en 2018

Des camions, oui, ça fait du bruit. Mais dans des tours résidentielles, l’occupation peut commencer au quatrième ou au cinquième étage, et monter sur une quarantaine ou une cinquantaine d’étages. Si tu mets de bonnes fenêtres, ça va bien.

Andrew Lutfy, président et chef de la direction de Carbonleo

Il croit que seule une infime minorité des entreprises du secteur s’inquiète. « Je dirais que 99 % des voisins nous supportent. Pourquoi ? Parce que présentement, c’est plate dans le quartier. Nous, on va amener des restaurants, des espaces verts, des parcs, du magasinage, des gyms, des spas, des hôtels et, espérons-le, des résidants. Pour les travailleurs de jour, c’est le plus beau cadeau qu’on peut leur offrir. »

Prévisible, selon un professeur

Pour David Wachsmuth, professeur d’urbanisme à l’Université McGill, il était prévisible que l’ajout d’une portion résidentielle au projet déjà existant se heurte à des obstacles. « Pour moi, ça revient au fait que le logement a toujours été un peu de second ordre dans ce projet, entre autres parce que ça ne faisait pas du tout partie du plan original », explique l’expert.

Le professeur constate que le projet a été ajusté plusieurs fois, sans trop de remises en question. « Depuis le début, le promoteur me semble apporter des changements qu’il sent devoir faire pour garder le projet en vie, au lieu d’avoir un vrai débat public, soutient-il. Ils font un peu le minimum, à mon sens. »