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Je vous fais une confidence : les journalistes n’aiment pas citer des sources anonymes.

Et leurs patrons aiment encore moins que les journalistes citent des sources anonymes.

Et pourtant, c’est une évidence : vous lisez régulièrement dans La Presse des informations provenant de personnes qui exigent qu’on taise leur nom…

Samedi, par exemple, Isabelle Hachey citait « une source interne, non autorisée à discuter publiquement » de la crise à la Fondation Pierre Elliott Trudeau1.

Puis, quelques jours plus tôt, Joël-Denis Bellavance révélait que le français serait reconnu au fédéral comme « la langue officielle du Québec » en s’appuyant sur « une source gouvernementale qui a requis l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement des intentions du gouvernement Trudeau »2.

Pourquoi le permet-on… si on n’aime pas le permettre ?

Parce qu’il le faut.

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Notre Guide des normes et pratiques journalistiques, à La Presse, illustre bien notre relation inconfortable avec la confidentialité.

« Dans la mesure du possible, le journaliste doit rencontrer sa source et tenter de la convaincre de parler à visage découvert. »

Une entrevue se fait donc à visière levée. C’est la règle… sauf quand il y a exception. Quand l’information ne peut être divulguée autrement qu’en accordant à la personne qui la détient l’assurance que son nom demeurera confidentiel.

Autrement dit, pas d’info provenant de sources anonymes… sauf quand la source anonyme est la seule façon d’obtenir l’info.

Clarifions d’ailleurs quelque chose d’important : la source est « anonyme » pour le lecteur… mais pas pour le journaliste ni son patron.

Bob Woodward savait qui était Deep Throat, qu’il avait côtoyé avant qu’il ne devienne une de ses sources. Le journaliste Daniel Leblanc connaissait MaChouette, cette personne qui lui a permis de révéler le « scandale des commandites » en 2000.

La source anonyme est donc, habituellement, une personne de confiance que le journaliste connaît, avec qui il échange à visière levée, et qui détient des informations privilégiées.

À Ottawa, par exemple, quantité d’informations sont dévoilées sous le couvert de l’anonymat par des sources qui sont souvent le cabinet d’un ministre… voire le ministre lui-même ! Mais dans un contexte où ils n’ont pas reçu l’autorisation d’en parler avec un journaliste.

C’est fâcheux. Mais comme pour toute source anonyme, nous y avons recours lorsque c’est l’unique façon de divulguer ce qui doit être révélé.

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Mais attention : n’obtient pas l’anonymat qui veut !

Il existe une liste de conditions qui doivent être réunies pour pouvoir citer dans La Presse « une source qui a requis l’anonymat ».

Il faut, par exemple, que ce soit une condition préalable à la divulgation d’une information.

Que l’information soit d’un intérêt public incontestable. Et que l’information divulguée ne puisse se trouver autrement.

Bref, que ce soit un dernier recours après avoir tout tenté pour nommer la personne.

Il faut aussi que le journaliste s’efforce de corroborer l’information. Patrick Lagacé, par exemple, a dû trouver des témoins des scènes de harcèlement qu’il a attribuées à sa source, « Sophie », avant que son texte sur Jean-Pierre Bellemare soit publié début juin3.

Le journaliste doit également donner le plus de détails possible aux lecteurs pour qu’ils jugent de la crédibilité de la source citée. Tommy Chouinard a révélé qu’une troisième phase du REM était envisagée en s’appuyant sur « une source impliquée dans le dossier qui a requis l’anonymat, car elle n’avait pas l’autorisation d’en parler publiquement »4. Marissa Groguhé a révélé qu’une « comédienne bien connue du grand public » dit avoir subi des attouchements sexuels de la part de Maripier Morin5.

Et le journaliste doit être convaincu qu’il existe des motifs valables de protéger l’identité de sa source, tels que la possibilité de représailles.

Pensez à cette enseignante qui a raconté à Patrick Lagacé certains problèmes constatés dans le réseau de l’éducation et qui a aussitôt été visée par une procédure de congédiement simplement pour avoir parlé6.

Les gens qui travaillent pour le public travaillent pour vous et moi. Et la seule façon pour eux de signaler des problèmes dans leur réseau… eh bien, c’est souvent en les confiant sous le couvert de l’anonymat.

Sinon, ils se taisent.

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Cela dit, un bon journaliste doit d’emblée se méfier quand une personne demande l’anonymat. Il doit avoir de sérieuses raisons d’accepter, et la bonne pratique veut qu’il revienne à la charge en fin d’entrevue en demandant s’il peut la nommer.

Mais une fois que le journaliste garantit la confidentialité à une source… il se doit de protéger l’identité de cette personne coûte que coûte (sauf si celle-ci l’a sciemment induit en erreur).

D’ailleurs, ici même au Québec, un juge de la Cour du Québec a rappelé de manière fracassante il y a 10 jours l’importance pour les journalistes de protéger les sources anonymes.

Le juge Alexandre Dalmau a donné raison au Groupe TVA, qui n’aura pas à remettre à la Sûreté du Québec une entrevue faite avec un ex-employé de Desjardins qui est le suspect numéro un dans l’affaire de la fuite de données7.

Mais le juge en a profité pour faire la leçon au journaliste qui avait cité la personne… après lui avoir juré de respecter son anonymat.

La protection des sources confidentielles n’est pas seulement un privilège qu’ont les journalistes, c’est une obligation déontologique. Une obligation qui est à l’origine de la confiance mutuelle qui lie les journalistes et leurs sources… même si les journalistes n’aiment pas citer des sources anonymes.

Écrivez à François Cardinal 1. Lisez la chronique « Microagressions, macroproblème » 2. Lisez l’article « Ottawa reconnaîtra le français comme la langue officielle du Québec » 3. Lisez la chronique « Vous ne connaissez pas le vrai Jean-Pierre Bellemare » 4. Lisez l’article « REM : un autre prolongement à l’horizon » 5. Lisez l’article « Maripier Morin : un retour qui passe mal » 6. Lisez la chronique « Congédier la messagère » 7. Lisez l’article « Un juge écorche TVA sur la protection des sources »