La facture pour équiper les policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de caméras d’intervention sera salée : près de 240 millions de dollars au cours des six prochaines années.

Et cette facture, le gouvernement Trudeau a accepté de l’assumer entièrement. Idem en ce qui concerne les coûts récurrents de 50 millions de dollars par année, à compter de 2027-2028, de ce programme visant à améliorer « la transparence et la reddition de comptes » de la GRC, notamment quand il s’agit des interventions des policiers auprès des communautés racisées et autochtones.

Des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information révèlent en effet que la commissaire de la GRC, Brenda Lucki, a clairement fait savoir au ministre de la Sécurité publique Bill Blair que la GRC n’avait guère les moyens de payer la facture liée à l’achat et à l’entretien des caméras d’intervention ainsi qu’à la formation des policiers.

Dans une note qu’elle a fait parvenir au ministre Blair, en septembre dernier, elle a plaidé pour que le gouvernement fédéral s’acquitte de toute la facture. Cette note a été envoyée quelques semaines après que le premier ministre Justin Trudeau eut fortement suggéré à la commissaire d’accorder de l’importance à une telle initiative à la suite de la diffusion d’une vidéo montrant des agents de la GRC en train de malmener le chef de la Première Nation des Chipewyan de l’Athabasca, Allan Adam, près de Wood Buffalo, en Alberta.

« La GRC n’a pas les fonds nécessaires pour aller de l’avant avec cette initiative. Il faut donc l’appui financier du gouvernement du Canada », affirme la commissaire Brenda Lucki dans sa note au ministre.

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Brenda Lucki, commissaire de la GRC

S’il y a un désir de déployer ces caméras, et de le faire d’une manière rapide, il faudra un financement complet du gouvernement du Canada.

Brenda Lucki, commissaire de la GRC

Elle évaluait alors les coûts initiaux à 160,5 millions de dollars pendant les cinq premières années et établissait à 23 millions de dollars les coûts annuels récurrents par la suite. En tout, elle estimait qu’il faudrait de 10 000 à 15 000 caméras d’intervention. La GRC compte quelque 700 détachements au pays. Chaque caméra coûte de 2000 $ à 3000 $, selon la note de la commissaire.

Elle concluait en disant que les premiers policiers de la GRC pourraient commencer à être équipés de caméras d’intervention dans un horizon d’un an, soit en septembre 2021.

Son plaidoyer a porté ses fruits. La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a en effet annoncé dans sa mise à jour économique et financière de novembre dernier qu’une somme de 238,5 millions de dollars serait affectée à cette fin. L’annonce, qui tenait en un petit paragraphe dans la mise à jour économique de 275 pages, est passée inaperçue.

Au bureau du ministre Bill Blair, on a confirmé que le financement avait été approuvé et que la GRC aurait les moyens d’équiper l’ensemble de ses policiers au cours des cinq prochaines années.

En février, le syndicat représentant les policiers de la GRC a indiqué que ses membres redoutaient une charge de travail accrue liée à de grandes quantités de séquences vidéo et des problèmes de confidentialité. La Fédération de la police nationale a toutefois déclaré qu’elle soutenait les caméras d’intervention comme un moyen d’améliorer la transparence.

Résultats contradictoires

Au pays, seul le corps policier de Calgary a adopté cette technologie pour ses agents de première ligne. Un projet pilote de caméra corporelle a débuté l’année dernière pour les policiers de la GRC à Iqaluit, au Nunavut.

De nombreux services de police ont lancé des projets pilotes depuis 2010, dont un à Montréal en 2016. Mais la plupart les ont abandonnés, faute de « résultats concluants ». En outre, le prix des appareils et les frais de stockage des données étaient jugés trop élevés.

Certains experts estiment qu’il n’y a pas suffisamment de données prouvant que ces caméras améliorent le travail des policiers.

Des études au Canada et dans le monde ont montré des résultats contradictoires sur une réduction réelle de la violence. Une étude publiée en 2019 dans la revue Criminology and Public Policy a examiné 70 autres études sur les caméras d’intervention. Les auteurs ont conclu que cette technologie a eu des effets statistiquement négligeables sur le comportement de la police et du public lors d’interventions.

Pour le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, les caméras d’intervention sont un outil important. Mais il faut aussi changer selon lui « la culture au complet de la GRC ».

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Alexandre Boulerice, chef adjoint du NPD

Ce qui est essentiel, c’est réformer la culture de la GRC pour mettre fin à toutes les formes de discrimination que la population peut expérimenter en présence de policiers.

Alexandre Boulerice, chef adjoint du NPD

« Le phénomène de militarisation de la GRC doit cesser. Ce qu’il faut vraiment, c’est une transition d’une force paramilitaire vers un modèle de service policier civil », a-t-il indiqué.

« Le comité de la sécurité publique publiera jeudi un rapport sur la lutte contre le racisme systémique au sein de nos forces policières et nous aurons plus à dire lorsque ce rapport sera publié. Pour le NPD, c’est une priorité de lutter contre le racisme systémique dans la GRC », a-t-il ajouté.

Avec La Presse Canadienne