Le fallait-il ?

Il le fallait.

Pour ruminer sur son sort, Pierre Fitzgibbon peut méditer ces bonnes vieilles paroles de Beethoven. Mercredi, le destin lui a tapoté l’épaule en lui montrant la porte. Allez, par ici la sortie, monsieur le ministre de l’Économie.

Même si personne n’osait l’avouer à la CAQ, son sort était scellé depuis longtemps. François Legault n’avait d’autre choix que de le suspendre.

Il en allait de la crédibilité de son gouvernement et de celle de la commissaire à l’éthique. M. Fitzgibbon ne pouvait encaisser le supplice des rapports à la chaîne que lui préparait la commissaire Ariane Mignolet.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Pour notre chroniqueur, il n’y a pas de doute : le premier ministre François Legault et le ministre des Finances Pierre Fitzgibbon ont pris la bonne décision en suspendant le deuxième de ses fonctions.

Reste que cela ne fait pas de lui un homme malhonnête. À force de chasser les scandales, on finit par oublier de les mettre en perspective. Celui-ci doit être ramené à sa juste mesure.

C’est moins un problème d’intégrité qu’une question de principe.

Il y a une façon courte et une façon compliquée d’expliquer le dossier.

La courte, c’est que M. Fitzgibbon violait le Code d’éthique, car il détenait des placements dans des sociétés ayant des relations avec l’État. La commissaire lui a demandé à plusieurs reprises de les vendre.

Il lui a répondu en somme : je ne crois pas être en conflit d’intérêts, mais je vais le faire quand même, madame, à mon rythme, en essayant d’obtenir un bon prix…

Ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent. Même si le ministre juge la loi mauvaise, même s’il a l’impression de n’avoir rien fait de mal, il doit respecter la loi. Plate de même.

La commissaire Mignolet le lui avait dit en juin 2019. Puis à nouveau en octobre et en décembre 2020. Et mercredi encore, dans un quatrième rapport. Cette fois, il contenait une recommandation exaspérée : a) que M. Fitzgibbon respecte la loi ou, b), qu’il soit suspendu.

Ce fut b).

M. Legault et lui ont pris la bonne décision. Je le dis sans trop les en féliciter. Ils avaient refusé de se conformer aux deux premiers rapports de la commissaire et avaient été arrogants au début de son enquête.

Leur bonne conscience arrive un peu tard.

* * *

Mais il y a aussi une version longue à cette histoire.

D’importantes nuances doivent être rappelées.

D’abord, on ne parle pas ici de corruption ou de malversation. Il s’agit d’une apparence de conflit d’intérêts, sous une forme théorique.

Avant de se lancer en politique, M. Fitzgibbon détenait 13 placements privés. Contrairement à des actions en Bourse, il ne suffit pas de les mettre dans une fiducie sans droit de regard. Le Code exige de les vendre. Or, le marché ne s’y prête pas toujours.

Il a réussi à en vendre 11 depuis son élection. Il ne lui en reste donc que 2 : dans un fonds de White Star Capital (WSC) et dans la société ImmerVision.

Leurs relations avec l’État sont très limitées. Investissement Québec a pris une participation dans WSC en 2014. Quant à ImmerVision, elle a obtenu un prêt en 2016, qu’elle rembourse depuis.

Cela précède l’élection de M. Fitzgibbon en 2018, et rien n’a changé depuis. Comme ministre, il n’a pas essayé d’influencer une décision ou d’en tirer un avantage personnel. Et comme petit investisseur, il n’avait pas de pouvoir décisionnel dans WSC ou ImmerVision.

Le ministre estime qu’il renoncerait à un gain d’« environ un million de dollars » en vendant ses actifs dans le marché actuel.

Il aurait pu accepter les offres d’amis qui voulaient « emprunter » ses actions, en les achetant pour les lui revendre à un prix semblable peu après son départ de la politique. Mais il ne l’a pas fait.

Son intégrité n’est donc pas en cause. Mais son jugement, un peu, oui.

Pour éviter les critiques, M. Fitzgibbon est intervenu en début de mandat pour refuser un prêt à une société dans laquelle il investissait. Il ne voulait pas être accusé de profiter de son poste pour s’enrichir. Cela restait néanmoins une ingérence flagrante.

Certes, il s’est bricolé un « pare-feu » en demandant aux entreprises de ne plus lui envoyer les résultats financiers de ses placements. Et le gouvernement a aussi adopté un décret pour que la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, gère tout dossier lié à WSC et à ImmerVision.

Mais là encore, les caquistes faisaient preuve de la même arrogance : au lieu de respecter le Code d’éthique, ils agissaient en fonction de leur propre définition du conflit d’intérêts. Venant de François Legault qui promettait la tolérance zéro, c’était ironique.

Imaginez ce que les caquistes auraient dit si ç’avait été un adversaire…

D’ailleurs, je me mets dans la peau de l’ex-ministre libéral Pierre Arcand. En 2008, il avait dû vendre ses parts dans Métromédia Plus. La perte s’élevait à plusieurs centaines de milliers de dollars, sans qu’il s’en plaigne publiquement.

* * *

L’opposition ne laissera pas le premier ministre changer le Code d’éthique pour régler le problème de son ami Fitzgibbon.

Sur le fond, M. Legault a raison. Si un ministre détient des parts minoritaires dans une société privée qui rembourse un prêt accordé en vertu d’un programme normé, le risque de conflit d’intérêts pourrait être gérable. Par exemple, ce ministre pourrait transférer le dossier à un autre collègue et quitter la salle chaque fois que le dossier est abordé.

À tout le moins, cela se discute. Mais pas maintenant. Il est trop tard. L’entourage de M. Legault aurait dû mieux conseiller M. Fitzgibbon à son entrée en politique et proposer une mise à jour du Code d’éthique dès le début du mandat.

Ce sera pour la prochaine législature.

D’ici là, si M. Fitzgibbon revient au gouvernement — et il assure le vouloir —, ce sera après avoir vendu ses participations.

Pas le choix. Il le faut. La loi s’applique à tout le monde, même à lui.